Correspondance 1812-1876, 2/1836/CLII


CLII

À MADAME D’AGOULT, À GENÈVE


Nohant, 20 août 1836.


Quoi qu’il arrive désormais, et sans aucun prétexte de retard que ma propre mort, je serai à Genève dans les quatre premiers jours de septembre. Je quitte Nohant le 28, je passe vingt-quatre heures à Bourges, et je me lance par Lyon. Les diligences sont pitoyables et ne vont pas vite. C’est pourquoi je ne puis vous fixer le jour de mon arrivée. Répondez-moi courrier par courrier où il faut que je descende à Genève. Nos lettres mettent quatre jours à parvenir. Vous avez le temps juste de me répondre un mot.

Nous ferons ce que vous voudrez. Nous irons ou nous nous tiendrons où vous voudrez. Pourvu que je sois avec vous, c’est tout ce qu’il me faut. Je vous avertis seulement que j’ai mes deux mioches avec moi. S’il m’eût fallu attendre la fin de leurs vacances pour vous aller voir, c’eût été encore six semaines de retard. Je les emmène donc. Ils sont peu gênants, très dociles, et accompagnés d’ailleurs d’une servante qui vous en débarrassera quand ils vous ennuieront. Si j’ai une chambre, que vous donniez un matelas par terre à Maurice, un même lit pour ma fille et pour moi nous suffiront. À Paris, nous n’en avons pas davantage quand ils sortent tous deux à la fois. La servante couchera à l’auberge.

Quand je voudrai écrire, si l’envie m’en prend (ce dont j’aime à douter), vous me prêterez un coin de votre table. Si toute cette population que je traîne à ma suite vous gêne, vous nous mettrez tous à l’auberge, que vous m’indiquerez la plus voisine de votre domicile. En attendant, vous me direz où est ce domicile, car je ne m’en souviens plus, et j’écris au hasard Grande Rue sur l’adresse, sans savoir pourquoi.

Adieu, mes enfants bien-aimés. Je ne retrouverai mes esprits (si toutefois j’ai des esprits), je ne commencerai à croire à mon bonheur qu’auprès de vous.