Correspondance 1812-1876, 1/1834/CXVII


CXVII

À M. FRANÇOIS ROLLINAT, À CHÂTEAUROUX


Paris, 15 août 1834.


Mon ami,

J’ai trouvé à Paris ta brave lettre du mois d’avril, hier en arrivant de Venise, où j’ai passé toute l’année. Je pars dans cinq ou six jours pour le pays, et j’espère bien te trouver à Châteauroux. Tâche de ne pas être absent du 24 au 26, et de venir avec moi à Nohant. Il le faut absolument pour que je sois complètement heureuse.

Je ne sais rien te dire de moi ; sinon que j’étais malade de l’absence de mes enfants, que je suis ivre de revoir Maurice et impatiente de revoir Solange, que je t’aime comme un frère, et que, sous les belles étoiles de l’Italie, je n’ai pas passé un soir sans me rappeler nos promenades et nos entretiens sous le ciel de Nohant.

Je ne t’ai pas écrit ; il eût fallu te raconter ma vie entière. C’est un triste et long pèlerinage que je n’avais pas le courage de retracer. Je te raconterai tout, sous les arbres de mon jardin ou dans les traînes d’Urmont. Ne me retire pas ce bonheur-là, mon ami, quelque affaire que tu aies. Songe que les affaires se retrouvent et que les jours heureux ne pleuvent pas pour nous.

Adieu, mon ami. J’ai trois cent cinquante lieues dans les jambes, car j’ai traversé la Suisse à pied ; plus, un coup de soleil sur le nez, ce qui fait que je suis charmante. Il est bien heureux pour toi que nous soyons amis ; car je défie bien tout animal appartenant à notre espèce de ne point reculer d’horreur en me voyant. Ça m’est bien égal, j’ai le cœur rempli de joie.