Correspondance 1812-1876, 1/1827/XVII


XVII

À M. CARON, À PARIS


Nohant, 22 novembre 1827.


Il y a bien longtemps, mon bon ami, que je veux vous écrire, et ma mauvaise santé, de jour en jour plus détraquée, m’empêche de faire rien qui vaille, de m’appliquer même au travail qui m’est le plus agréable, c’est-à-dire de m’entretenir avec les gens que j’aime. Au lieu de cela, il faut m’ennuyer en cérémonie depuis une semaine avec des gens occupés de politique et d’élections, que je comprends fort peu, mais qu’il faut avoir l’air de comprendre sous peine d’impolitesse, et devant qui il faut sembler s’intéresser prodigieusement au succès de choses dont on entend parler pour la première fois. Casimir avait l’air tout ce temps d’un chef de parti, et, grâce à ses efforts, des députés parfaitement libéraux ont été nommés dans tous les collèges environnants. J’en suis charmée, et je le suis encore davantage de voir cette corvée terminée et de ne plus voir la fièvre sur tous les visages.

Casimir m’a dit que vous aviez été malade, mon cher Caron. Donnez-nous de vos nouvelles ; vous nous oubliez tout à fait, et vous avez tort ; car vous avez toujours en nous de vrais et fidèles amis.

Ne craignez donc aucun refroidissement de notre part : ma mauvaise santé et les ennuyeuses élections ont été la seule cause de mon long silence. Casimir m’a dit que vous aviez éprouvé beaucoup de chagrins. Quelle qu’en soit la cause, croyez que je les partage du fond du cœur et qu’ils ne me trouveront jamais indifférente.

Voici l’ami Dutheil et le beau docteur[1] qui me chargent de vous assurer de leur amitié et me forcent de vous dire adieu. Mais, auparavant, nous nous réunissons en corps pour vous prier de venir vous reposer ici de tous vos ennuis et boire sur eux le fleuve d’oubli, composé de vin de Champagne dont Casimir a découvert une nouvelle source dans sa cave.

Je crois que je serai obligée d’aller passer une huitaine à Paris pour consulter sur ma santé. Vous seriez bien aimable de me ramener ici et d’y passer une partie de l’hiver. Vous êtes bien sûr que j’emmènerai Pauline.

Adieu, mon cher Latreille ; je vous embrasse de tout mon cœur et compte que vous accueillerez ma proposition favorablement.

AURORE.
  1. Charles Delaveau.