Correspondance 1812-1876, 1/1826/X


X

À LA MÊME


Nohant, 9 octobre 1826.


Ma chère petite maman,

Pardonnez-moi d’avoir été si longue à vous remercier des peines que vous avez prises pour moi. J’ai été si occupée, si dérangée, et vous êtes si bonne et si indulgente, que j’espère ma grâce.

Vous avez bien voulu courir pour vous occuper de ma toilette et de celle de Maurice. Ces emplettes étaient charmantes et font l’admiration d’un chacun dans le pays. Quant à la parure d’or mat, je nomme Casimir pour l’aimable présent, et vous pour le bon goût. Il m’a empêchée jusqu’à présent de vous écrire, disant qu’il voulait s’en charger. Mais ses vendanges l’occupent à tel point, que je me fais l’interprète de sa reconnaissance. C’est un sentiment que nous pouvons bien avoir en commun. Agréez-la et croyez-la bien sincère.

Vous nous avez mandé que vous étiez souffrante d’un rhume. Je crains que le froid piquant qui commence à se faire sentir ne contribue pas à le guérir. J’en souffre bien aussi et je commence l’hiver par des douleurs et des rhumatismes. Pour éviter pourtant d’être aussi maltraitée que l’année dernière, je me couvre de flanelle, gilet, bas de laine. Je suis comme un capucin (à la saleté près) sous un cilice. Je commence à m’en trouver bien et à ne plus sentir ce froid qui me glaçait jusqu’aux os et me rendait toute triste.

Ayez aussi bien soin de vous, ma chère maman ; à mon tour, je vais vous prêcher.

Maurice, grâce à Dieu, annonce une santé robuste. Il est grand, gros et frais comme une pomme. Il est très bon, très pétulant, assez volontaire quoique peu gâté, mais sans rancune, sans mémoire pour le chagrin et le ressentiment. Je crois que son caractère sera sensible et aimant, mais que ses goûts seront inconstants ; un fonds d’heureuse insouciance lui fera, je pense, prendre son parti sur tout assez promptement. Voilà ses qualités et ses défauts, autant que je puis en juger, et je tâcherai d’entretenir les unes et d’adoucir les autres. Quant à Léontine[1], vous la verrez. Elle était charmante entre mes mains. Je savais la prendre. J’ai eu beaucoup de chagrin à me séparer d’elle et je m’inquiète de son voyage. Je sens qu’elle me manque et je crains qu’elle ne soit pas aussi bien qu’avec moi.

Hippolyte vous dira que nous attendons le retour de James avec sa femme ; mais il ne vous dira peut-être pas les folies qu’il faisait toute la journée ici avec son ancien, son commandant Duplessis[2]. J’aurais bien envie de vous régaler d’une certaine histoire de portemanteau, si je ne craignais de vous fatiguer de ces enfantillages. Vous pourrez cependant le taquiner vertement, lorsque vous le verrez boire à table, en lui disant : Est-ce que tu as envie de faire ton portemanteau aujourd’hui ? C’est le mot d’ordre, et vous obtiendrez sa confession.

Adieu, ma chère maman. Clotilde est donc décidément grosse ? j’en suis ravie. Caroline ne m’écrit point. Oscar est-il mieux portant et plus fort ? Je vous embrasse bien tendrement ; donnez-moi de vos nouvelles et croyez en vos enfants.

AURORE.

Comment traitez-vous l’ami vicomte ? Faites-lui mes amitiés sincères, si toutefois vous êtes contente de lui.

  1. Fille d’Hippolyte Chatiron et nièce de George Sand.
  2. Ex-colonel de chasseurs à cheval, ami du colonel Maurice Dupin, de George Sand et du colonel Dudevant, son beau-père.