Correspondance - Lettre du 3 avril 1917 (Asselin)
Mon cher ami,
Attaché au 22e pour trois mois, il faut que je me hâte de vous écrire, car le temps passe si vite ici que je cours risque de me retrouver à Shoreham avant d’avoir eu seulement le temps d’y xxxxxxx penser. Dans trois jours il y aura déjà xxxxxxx un mois de trente et un jours que je quittai ce côteau inhospitalier, où le vent soufflait toujours de la mer, comme à Québec. J’ai déjà fait deux jours tours de tranchées (la première fois quatre jours et la deuxième six), déjà pris quelques bibites (je ne les vois pas encore, mais je les xxxxxxx sens), déjà rempli presque tous les devoirs des d’un officier combattant du front. Il ne me manque plus que la charge mais et, si j’en juge par les titres ⁁manchettes si discrètes du Star, de La Patrie ( « The Coming Offensive », « The great Spring offensive », « The big push » — « Notre offensive », etc.), cela même non plus ne saurait tarder.
Je fais chaque jour de mon nouvelles et intéressantes expériences. Pendant quinze jours j’ai mangé des beans et du bacon tous les matins, sans en xxxxxxx manquer un seul (de matin). Depuis mon arrivée je cherche, dans tous les villages où nous cantonnons, une maison qui ne soit pas un débit, une cantine xxxxxxx ⁁ou estaminet ; xxxxxxx un puits de ferme qui ne reçoive, en même temps que les eaux du ciel, le jus de la crotte de poule et le pipi des enfants ; xxxxxxx une cour qui ne serve également aux gens et aux bébés pour y faire vaquer et, de temps à autre, s’y soulager. Hier j’ai conduit au bain soixante hommes au bain à quatre milles de distance. Nous, les officiers, nous pouvons, moyennant deux francs, nous baigner à six dans un estaminet du voisinage, la moitié du corps à la fois dans un fond de tonne qu’une main féminine a rempli d’eau tiède. L’eau sale, vidée dans la cour, regagne le puits à toute jambe jambe, pour servir de nouveau quelques heures après. Je n’ai jamais vu d’eau aussi durable ; il a beau en coller à notre peau sous forme de lèpre, il en reste toujours xxxxxxx un peu pour ceux qui suivent. Mais elle est aussi de plus en plus grasse. Pendant les deux jours qui suivent le bain, on ne mange presque pas. Le spectacle d’une demi-douzaine de mâles de vingt-cinq à quarante ans assis chacun dans sa cuve, les jambes par-dessus bord, est assez réjouissant ; je regrette que l’interdiction de la photographie ne me permette pas de le prendre sur le vif pour en faire la réclame d’un nouveau savon. Cette scène vaudrait cher à un industriel entreprenant. Mais il faudrait aussi le xxxxxxx décor : au mur des portraits de famille, dans un coin le bar, derrière lequel xxxxxxx une douzaine de bouteilles de faux champagne ; sur un côté de la pièce, une banquette pour les clients ; naturellement, pas de tapis ⁁sur le carreau limoneux. Je me suis rencontré là avec un officier canadien-anglais qui, xxxxxxx comme moi, saisissait xxxxxxx l’humour de la situation. Nous avons failli crever de rire dans la cuve, ce qui, assurément, n’eût pas nettoyer l’eau. Heureusement, tout s’est borné à un débeanage plus bruyant que dangereux. Nous en avons encore pour 24 heures de cette existence avant de rentrer dans les tranchées, où au moins il n’y les latrines sont, bien aménagées entre les bombardements, bien aménagées.
La vie L’existence des tranchées ne manque pas de charme. Dans les dug-outs, vous goûtez jouissez d’une sécurité doucement relative, en ce sens qu’un 77 mm 5 pouces 9 vous rabattra certainement le toit xxxxxxx et les poutres sur la tête, mais qu’un 77 mm, vulgairement appelé whizbangg, ne fera pas plus qu’agrandir de dix pour un le trou de la cheminée. Dans les tranchées vous pouvez vous endurcissez l’oreille graduellement contre la surdité ; le bruit le plus intéressant à observer est celui des obus de 6 à 8 pouces, xxxxxxx que, les yeux fermés, on confondrait avec le passage d’un train-express à cinquante pieds de distance, et qui ⁁ne reste autant pas moins longtemps dans l’oreille. Il y a aussi les combats d’aéroplanes, où nos amis d’Outre-Manche (en regardant d’ici) xxxxxxx ont le dessous plus souvent qu’à leur tour. Pour nous protéger contre le shrapnel des canons anti-aériens, nous avons nous notre casque en acier — sorte de cuvette à larges bords qui tiendrait admirablement sur la tête si nous marchions sur la tête, mais qui, quand on regarde en l’air, prend à peu près cette position =
Après une heure de ce genre d’observation, le casque déborde de shrapnel.
Le soir on censure les lettres. En général, les lettres aux parents et aux amis du Canada ne disent rien, à cause de la censure. Les lettres aux marraines sont hautes en bravoure et de belle allure, avec tout juste assez la teinte de tristesse ⁁qu’il faut pour faire venir la provision de tabac ou de chaussettes. Les lettres aux petites amies des anciens secteurs sont tendres et volontiers libidineuses. Presque pour toutes Dans presque toutes, le Canayen reste fidèle à son habitude de mêler un peu de religion à ses exubérances. Il y en a un qui écrivait l’autre jour à sa femme, « Cher bel ange », « cher beau bec », « beau bec de mon cœur », « bel ange de mon âme », il avait repassé à peu près toute la litanie. Il continuait, s’échauffant : « Tu dis que ton morceau est toujours à la même place. Garde-le bien, ton morceau, je le xxxxxxx ferai travailler, chère belle petite à moi tout seul. Oui, cher beau bec, cher bel ange, amour de mon cœur, prions ensemble la divine Providence qu’elle nous remette bientôt ensemble, cher beau cul adoré. » Mais ce n’est pas toujours aussi amusant : ce garçon-là, c’est un artiste.
Nos officiers ont toute la semaine, ⁁sans trop s’en douter, mêlé les choses de la même façon. À la de très rares exceptions près, ils ont sont allés voir leurs petites maîtresses avant de faire leurs Pâques et en prévision sans xxxxxxx doute en prévision d’autres événements. Ils sont tous bien résolus à recommencer xxxxxxx sitôt le danger passé.
Je ne crois pas que vous connaissiez un seul de mes officiers, à l’exception peut-être du major Dubuc et de Vanier. Celui-ci est maintenant tout entier au travail de bureau. L’autre est de même trop occupé pour sortir. Il n’y a que le colonel qui, malgré ses accablantes occupations, trouve toujours moyen de faire chaque jour le tour des tranchées. Celui-là est un homme comme il s’en fait peu. Il m’a promis aujourd’hui que je serais de la première affaire où il commanderait en personne ; et j’ai raison de croire qu’elle se produira bientôt. Nous aurons peut-être avec nous, à cette occasion, un certain nombre d’officiers et bon nombre d’hommes du 163e. J’ai hâte de voir comment ils marchent au feu. Ils éprouvent sans doute la même curiosité à mon endroit.
Pendant que j’écrivais, j’ai renversé mon encrier (car je n’ai pas encore trouvé xxxxxxx ma plume à réservoir) xxxxxxx et j’ai dû, pour pouvoir continuer ma lettre, xxxxxxx fabriquer de mes mains, avec des tablettes, ce pâle liquide digne de servir à la rédaction de la Revue canadienne. Comme ce n’est pas avec de l’eau de vaisselle qu’on peut xxxxxxx marquer sa pensée à un homme d’esprit ; que du reste je dors debout de la fatigue de la journée (il est 11 heures), je vous embrasse et xxxxxxx prends congé. Dites à mes créanciers que je ferai fortune après la guerre à vendre des lots aux Américains xxxxxxx dans la charmante petite ville xxxxxxx d’os qui nous sert de secteur depuis quelque temps, et où nous retournons demain. $’ils ne veulent pas entendre raison, je les enfermerai, xxxxxxx avec l’aide de mon sergent de peloton xxxxxxx (un ancien policeman), dans les latrines de la place Jacques-Cartier, et xxxxxxx je les y enterrerai vivants en bouchant les issues xxxxxxx avec des bombes. Nous leur adjoindrons, pour le fun, Eddie Lepage, Médéric, le chanoine Lepailleur, Napoléon Giroux, Bourassa. Ils ⁁Tous ensemble ils s’amuseront martyr, comme on dit au 22e au profond étonnement de ceux de Paris qui viennent étudier sur place ces xxxxxxx héroïques verrats d’enfants de la Nouvelle-France.
Je vous la resserre. Saluez pour moi Madame Biron et votre aimable petite famille. Cordialement.
P.S. – Veuillez saluer ⁁aussi pour moi DeSerres, si cela peut lui faire plaisir, ainsi que Victor Morin.