Correspondance - Lettre du 11 mars 1917 (Asselin)
Je passe aujourd’hui mon premier dimanche dans les tranchées. Partis de Shoreham mardi, nous arrivions à destination le surlendemain — voyage rapide, dans les circonstances, mais fatigant. Au port anglais, bon gîte et bon lit, mais ensuite, la guerre. Il y avait, à part avec moi, le colonel Dansereau et Laferrière un nommé Laferrière. Nous sommes entrés dans les tranchées jeudi soir. J’ai appris en arrivant que mon affaire était réglée selon mes vœux ; Dansereau et Laferrière retournent la semaine cette semaine. J’ai trouvé ici un groupe d’officiers très sympathiques. D’abord le commandant, mélange extraordinaire de fermeté, de douceur, de bravoure, portant le nom de ma mère et respirant dans toute son intelligente physionomie l’air de Charlevoix. Ensuite son second, un garçon de la rue Sherbrooke que tu connais. Puis l’adjudant, jeune avocat montréalais dont le nom a souvent figuré dans les journaux. Puis le payeur, un garçon d’Ottawa dont le père est secrétaire de Roy à Paris. Puis le quartier-maître, frère d’un ministre d’Ottawa. J’ai pris mes quartiers avec Dansereau dans xxxxxxx un réduit souterrain de neuf pieds sur xxxxxxx six, pourvu de deux lits superposés et d’un poêle. Le xxxxxxx poêle a quelquefois du combustible. Les lits sont deux carreaux de xxxxxxx treillis en xxxxxxx fil de fer tendus, celui d’en bas sur une fosse, celui d’en haut xxxxxxx entre quatre poteaux. En face est un petit mess d’officiers où nous écrivons nos lettres, jouons aux cartes, tuons le temps, dans les moments de loisirs. Je n’ai encore aucune fonction bien définie ; évidemment, le commandant veut d’abord voir ce que je puis faire. Je crois que je pourrais me rendre utile de plusieurs xxxxxxx manières. xxxxxxx J’ai fait hier après-midi avec le commandant le tour des tranchées. xxxxxxx À deux ou trois reprises nous avons été éclaboussés par des explosions de bombes ou xxxxxxx d’obus. Malgré un temps maussade, les hommes étaient presque tous de bonne humeur. L’excellence de plus en plus grande de l’artillerie anglaise leur a donné une confiance merveilleuse ; ils sont sûrs d’enfoncer la ligne ennemie à la première grande offensive. Quant à moi, tout ce que je vois autour de moi ⁁semble dépasser tout ce qu’on m’avait dit des progrès réalisés par l’armée anglaise dans tous les sens. Le spectacle, en attendant qu’il devienne plus dangereux, m’amuse. À deux reprises nous xxxxxxx avons vu des xxxxxxx combats d’avions. Ce matin même une vingtaine de nos machines xxxxxxx évoluaient au-dessus du champ de bataille, parmi les shrapnels allemands : il y en a eu trois d’abattus, mais grâce à la tranquille bravoure des autres la grosse artillerie anglaise a pu établir sur des positions ⁁sans doute importantes un tir implacable, qui a duré toute la journée. Il y aura certainement d’ici à trois semaines des événements qui comptent dans l’histoire de l’armée expéditionnaire canadienne.
Demain, notre bataillon retourne en réserve, pour (censuré). Il passera ensuite (censuré) en support, puis rentrera dans la tranchée. Je serai alors tout à fait acclimaté. Dès maintenant, cependant, j’entends xxxxxxx siffler une balle sans frémir, et je puis observer en vrai badaud les shrapnels qui éclatent au-dessus de nos têtes à des milliers de mètres d’altitude. Un de ces soirs j’irai avec les éclaireurs reconnaître le terrain du mort. Je ne veux pas faire de bravades, ni risquer ma vie inutilement ; mais je veux voir tout de suite jusqu’à quel point je puis dompter mes nerfs. Je porte dans un gousset une médaille de Jeanne d’Arc, sur la xxxxxxx poitrine votre portrait, toi et les enfants. Je pense souvent à vous.
J’oublies le jour Ton cousin de La Naudière est au quartier divisionnaire, comme Claims Officer, ou officier préposé au règlement des réclamations. Il n’a pas grand chose à faire, et ne court aucun risque. Sur la même ligne est Thomas Caron, d’Ottawa, en qualité chef de casernement. Mailhiot, parti une journée avant nous, doit être en ce moment après raser l’état-major de je ne sais plus quelle brigade de je ne me rappelle plus quelle division, non loin d’ici ⁁à Shoreham ; personne ne pouvait plus le sentir, tant il était xxxxxxx sous ses airs xxxxxxx paternes, devenu vénéneux.
J’ai déjà dit dans une lettre antérieure que LeRoyer, Lelièvre et Pérodeau étaient passés à l’aviation. Ils ⁁en étaient très fiers, surtout Pérodeau, très ambitieux. LeRoyer, dans sa demande de permutation, avait fait valoir son fautless physique, un mot qui a eu, entre nous, beaucoup de succès. Ils toucheront $7 par jour, paraît-il. C’est $1 de plus que la solde d’un major d’infanterie. Ils sont en ce moment à Reading.
(paragraphe censuré)
Macdonald, Chevalier doivent être maintenant xxxxxxx avoir passé leur capitainat. Cela ne veut pas dire que Macdonald sera nommé capitaine, car il n’y a pas de vacance en ce moment ; mais il aura de bonnes chances de promotion prochaine.
Notre ligne de réserve est située à (censuré) d’ici. Je t’écrirai xxxxxxx de là, et j’en profiterai pour t’envoyer encore quelques piastres – probablement soixante-quinze. À la fin du mois je ferai encore quelque chose. Je verrai s’il n’y a pas moyen d’envoyer aux enfants, pour les faire rire, ma photographie en tenue de tranchées. Parlent-ils quelquefois de moi ? Il xxxxxxx me semble que tu xxxxxxx ne me parles pas autant d’eux qu’autrefois. Et Pierre ne m’écrit plus?. Aurait-il oublié comment ?
Pendant que je t’écris, la voûte du dug-out ne cesse de vibrer ; mais nous, nous sommes, du moins pour le moment, bien à l’abri. Les sentinelles sont moins fortunées. Tous les jours il y en a quelques-unes d’attrapées.
Madame DesRosiers m’a xxxxxxx de nouveau chargé de t’envoyer ses amitiés. Si Tu pourrais lui écrire aux soins de son mari.
Il se peut que Plante passe d’ici peu au _____. Il en fait la demande, et je l’ai fortement recommandé au colonel.
Va voir ma mère pour la rassurer, et salue bien affectueusement ta famille et la xxxxxxx mienne.
Ton mari qui t’aime…
P. S. – J’écrirai à la première occasion à Pierre et, à Williams, aux Huguenin, aux Biron, au père DeSerres, à tous ceux qui nous ont rendu ou ont voulu nous rendre service.
Rien aux gazettes.