Correspondance (d’Alembert)/Correspondance avec Voltaire/089

Œuvres complètes de D’AlembertBelinTome V (p. 176).


Paris, 26 mai 1768.


Jai reçu, mon cher et illustre maître, le poème et la relation que M. de La Borde m’a envoyés de la part du jeune Franc-Comtois qui me paraît avoir son franc-parler sur les sottises de la taupinière de Calvin et les atrocités du tigre aux yeux de veau. Ce Franc-Comtois peut, en toute sûreté, tomber sur le janséniste apostat, sans avoir à redouter les protecteurs dont il se vante, et qui sont un peu honteux d’avoir si mal choisi. On donne l’aumône à un gueux, et on trouve très bon qu’un autre lui donne des étrivières quand il est insolent. M. le comte de Rochefort n’est point à Paris ; il est actuellement dans les terres de madame sa mère, avec sa femme ; je crois qu’ils ne tarderont pas à revenir. Votre ancien disciple vient encore de m’écrire une assez bonne lettre sur l’excommunication du duc de Parme. Il me mande que si l’excommunication s’étend jusqu’ici, les philosophes en profiteront ; que je deviendrai premier aumônier ; que Diderot confessera le duc de Choiseul, et Marmontel le dauphin ; que j’aurai la feuille des bénéfices, et que je vous ferai archevêque de Paris ou de Lyon, comme il vous plaira : ainsi soit-il ! Que dites-vous de l’expédition de Corse ? n’avez-vous point peur qu’il n’en résulte une guerre dont l’Europe n’a pas besoin, et nous moins que personne ? Que dites-vous aussi du train que fait Wilkes en Angleterre ? il me semble que le despotisme n’a pas plus beau jeu dans ce pays-là que la superstition. Adieu, mon cher et illustre maître, le ciel vous tienne en joie et en santé ! je vous embrasse comme je vous aime, c’est-à-dire ex toto corde et animo.