Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXX (p. 76-77).


LXXII

À MADAME NECKER[1].
À Paris, ce 1er mars 1781.
Madame,

Je ne sais si c’est à vous ou à M. Thomas que je dois la nouvelle édition de l’Hospice ; mais, pour ne manquer ni à l’un ni à l’autre, permettez que je vous remercie tous les deux. J’ai désiré l’Hospice afin de le joindre au Compte rendu et de renfermer dans un même volume les deux ouvrages les plus intéressants que j’aie jamais lus et que je puisse jamais lire[2]. J’ai vu dans l’un la justice, la vérité, le courage, la dignité, la raison, le génie, employer toutes leurs forces pour réprimer la tyrannie des hommes puissants, et dans l’autre la bienfaisance et la pitié tendre leurs mains secourables à la partie de l’espèce humaine la plus à plaindre, les malades indigents.

Le Compte rendu apprend aux souverains à se préparer un règne glorieux, et à leurs ministres à justifier aux peuples leur gestion. L’Hospice enseigne leurs devoirs à tous les fondateurs et directeurs d’hôpitaux, grandes leçons qui resteront longtemps infructueuses ; mais ceux qui les ont données marcheront sur la terre au milieu de l’admiration et des éloges de leurs contemporains, et n’en mériteront pas moins, de leur vivant ou après leur mort, un monument commun où l’on nous montrerait l’un instruisant les maîtres du monde, et l’autre relevant le pauvre abattu. Voilà, madame, ce que je pense, avec tous les citoyens honnêtes, de ces deux productions. S’il arrivait toutefois qu’on vous dît que je suis resté muet devant quelques malheureux personnages en qui le sentiment de l’honneur fut étouffé ou ne poignît jamais, et qui auraient eu l’imprudence de les attaquer, croyez-le, l’indignation et le mépris, lorsqu’ils sont profonds, se manifestent, mais ils ne parlent pas, et je suis persuadé qu’il est des circonstances où ce n’est pas honorer dignement la vertu que d’en prendre la défense.

Je suis, avec respect, etc.



  1. Inédite. Communiquée par M. le duc Albert de Broglie.
  2. Il s’agit du règlement de l’hôpital qui porte le nom de Mme Necker ; Hospice de charité, institution, règles et usages de cette maison. Imp. royale, 1780, in-4o, et du fameux Compte rendu présenté au roi au mois de janvier 1781, par Necker. Imp. royale, 1781, in-4o.