Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 449-450).


XIX

À GRIMM, À GENÈVE


Eh bien ! mon ami, êtes-vous arrivé, êtes-vous un peu remis de votre frayeur ? Je ne sais pas ce que vous aviez dit à Mme d’Esclavelles, mais elle envoya chez moi le surlendemain de votre départ, dès les six heures du matin, pour me faire part des nouvelles qu’elle avait reçues de sa fille. Il nous faut un mot de votre main qui remette un peu nos esprits, qui m’apprenne votre arrivée en bonne santé, et qui me dise que Mme  d’Épinay est mieux. Oh ! que je serais content d’elle, de vous et de moi, si nous en étions quittes pour une alarme. Cependant je sèche d’ennui ; que voulez-vous que je fasse avec les autres ? Je ne sais que leur dire. Je vous envoie le reste de la besogne que vous m’avez laissée. À tout hasard j’ai pris des doubles, et vais tâcher de faire contre-signer cet énorme paquet.

Tandis que vous alliez, nos amis nous supposaient tous deux à la campagne ; ils n’ont su qu’hier votre départ. J’apparus comme un revenant, chez le Baron, au milieu de la grande assemblée. Je le pris d’abord à part. Je lui contai ce qui vous était arrivé, et, au milieu du dîner, il le répéta tout haut. Je n’ai été réellement content dans cette occasion que du marquis de Croismare. Chacun bavarda à sa guise sur cet événement.

Bonjour, mon ami : bonjour, jouissez de votre voyage, écrivez-moi tout ce que vous ferez. J’ai eu trop de peine à vous voir partir, pour que vous croyiez que votre retour me soit indifférent ; mais je veux d’abord votre satisfaction. Revenez quand il vous plaira ; si c’est bientôt, vous serez content de vous ; si ce n’est pas bientôt, vous serez encore content de vous : quoi que vous fassiez, vous serez toujours content, parce que vous avez dans le cœur un principe qui ne vous trompera jamais. N’écoutez que lui où vous êtes, et, de retour à Paris, n’écoutez encore que lui. Heureusement, cette voix crie fortement en vous, et elle étouffera tout le petit caquetage de la tracasserie qui ne s’élèvera pas jusqu’à votre oreille. Je vous souhaite heureux partout où vous serez. Je vous aime bien tendrement, je le sens, et quand je vous possède et quand je vous perds. Ne m’oubliez pas auprès de M. Tronchin ; présentez mon respect à M. de Jully et à Mme  d’Épinay ; dites à son fils que je l’aimerai bien s’il est bon, et que c’est de la bonté surtout que nous faisons cas. Lisez et corrigez les paperasses que je vous envoie, et que je sache, du moins, que je n’ai plus rien à y faire et que vous êtes content. Adieu, encore une fois.