Correspondance, 1914

Correspondance, 1914
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 22 (p. 700-708).


On nous excusera de publier le morceau suivant qui n’est pas dans notre ton habituel. M. Mathiez nous en a imposé la dure obligation par ministère d’huissier, parce que M. Albert-Petit, dans une étude qui a paru ici le 1er mai a parlé d’un de ses livres mêlé à plusieurs autres de qualité fort supérieure. M. Mathiez, qui est directeur d’une revue historique, y a déjà publié sa réponse à M. Albert-Petit ; mais il a estimé que cette réponse aurait plus de retentissement dans la nôtre, et, pour en forcer la porte, il a invoqué une loi mal faite, qui n’aurait pas été viable, si elle avait souvent donné lieu à des abus aussi révoltans que celui dont M. Mathiez nous accable. Si M. Mathiez a cru d’ailleurs qu’il n’y avait pas pour lui d’autre moyen d’écrire dans la Revue des Deux Mondes, il s’est rendu justice : nos lecteurs ne sont pas accoutumés à ce pédantisme arrogant et agressif à la Molière. Nous ne qualifierons pas le procédé de M. Mathiez et nous ne discuterons pas sa lettre ; il en prendrait prétexte pour se faire introduire de nouveau chez nous par un huissier et pour venir y dire de très haut ce qu’il pense de lui. Il avoue ingénument, dès ses premières lignes, que son livre, vieux de trois ans, n’avait pas encore été discuté par une plume libérale avant l’honneur que lui a fait M. Albert-Petit. Nos confrères avaient été plus prudens que nous, mais nous le serons autant qu’eux à l’avenir et il est à craindre pour M. Mathiez que la réserve où nous nous tiendrons à son sujet ne trouve beaucoup d’imitateurs. En parlant de lui dans la presse, on saura désormais à quoi on s’expose.

F. C.


Monsieur le Directeur,

J’aurais fort mauvaise grâce de me plaindre de l’article que la Revue des Deux Mondes a consacré dans son numéro du 1er mai à mon livre Rome et le clergé français sous la Constituante. Je m’en félicite au contraire, et cela d’autant plus que je commençais à craindre que les « libéraux » de nos jours n’eussent à m’opposer que la réponse du silence. Mon livre est vieux de trois ans, et c’est la première fois qu’une plume libérale le discute. Si l’étude de M. Albert-Petit était une étude originale, je ne me permettrais pas de vous demander d’insérer cette lettre. Mais cet article n’est qu’un compte rendu de mon ouvrage. Son auteur n’est informé des faits que par moi. Il m’emprunte jusqu’aux citations qu’il fait des autres écrivains. Il ne m’a rien ajouté et il a pensé me critiquer en m’opposant à moi-même. Vous estimerez donc, Monsieur le Directeur, que je suis autorisé, dans ces conditions, à user du droit de réponse que me confère la loi.

M. Albert-Petit a donné de mon livre, de ses thèses et de ses argumens une idée incomplète et partant inexacte. Il n’a pu me réfuter qu’en passant sous silence tout ce qui dans mes recherches le gênait : je veux rétablir la vérité.

M. Albert-Petit m’accorde, — et c’est un grand point, — que j’ai prouvé que l’ensemble de l’épiscopat, dirigé par l’archevêque d’Aix Boisgelin, désirait que le Pape procurât les moyens canoniques d’exécuter la Constitution civile du clergé. Il aurait pu ajouter que les évêques ont blâmé au fond de leur cœur les brefs de condamnation, qu’ils ont d’abord gardé secret le premier de tous, le plus doctrinal, celui du 10 mars, et qu’ils ne l’ont publié qu’en lui opposant en quelque sorte une réponse publique qui contenait plus que des réserves mais presque des critiques.

Si la rupture s’est donc produite, — nous sommes M. Albert-Petit et moi d’accord sur ce point, — ce ne fut pas de la faute des évêques, ce fut contre leur gré. Je pense, moi, que le Pape eut une grande part de responsabilité dans cette rupture. M. Albert-Petit croit, avec les écrivains traditionnels, que tous les torts sont du côté des Constituans.

Pour absoudre le Pape, mon contradicteur use d’abord d’un argument singulier, d’un argument qui témoigne d’une absence regrettable de sens historique. D’après lui, c’est une chose vaine et ridicule de se demander si la Constitution civile du clergé aurait pu être rendue canoniquement exécutoire. « La question de la Constitution civile était évidemment ( ! ) de celles dont le chef de l’Eglise a le droit de se croire souverainement juge. S’il estimait l’œuvre de la Constituante incompatible avec son autorité spirituelle, on ne voit pas bien comment on pourrait prouver qu’il s’est trompé ni à quoi pourrait servir une pareille démonstration. « Le fait papal, » comme disait Brunetière, « est un fait qui s’impose, en dehors de toute approbation ou désapprobation. » Et M. Albert-Petit me raille doucement d’avoir eu la naïveté de « discuter théologie, — fût-ce rétrospectivement, — avec le Pape[1]. »

Le « fait papal, » pour parler comme mon contradicteur, n’est pas historiquement un fait absolu. Il a évolué du tout au tout depuis un siècle. En 1790, quand les Constituans votaient la Constitution civile du clergé, il n’était pas évident que le Pape, même en matière spirituelle, eût le droit de faire à lui seul le dogme et de l’interpréter, — à plus forte raison de trancher souverainement dans les matières de discipline et les matières mixtes comme étaient celles qui étaient en jeu. Le Concile du Vatican n’avait pas encore proclamé l’infaillibilité ! M. Albert-Petit, qui professe pour la théologie un si grand respect qu’il s’incline à l’avance devant tous ses arrêts, sans les examiner, aurait dû comprendre qu’il est ridicule de juger, au nom de la théologie actuelle, des conflits qui se posaient il y a un siècle devant un droit ecclésiastique tout différent ! S’il était tant soit peu familier avec l’histoire du catholicisme, il n’aurait pas écrit ces lignes qui témoignent d’une candeur vraiment trop ingénue.

Je suis obligé d’y insister, car c’est là que porte tout le malentendu. Si l’historien n’a pas le droit de rechercher les raisons, toutes les raisons des décisions pontificales, s’il n’a que le devoir de s’incliner devant elles et s’il lui est interdit de ne pas croire en tout et toujours les papes sur parole, — il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus d’autre histoire religieuse possible que celle qu’il plaira aux papes de faire écrire.

« La question de la Constitution civile, » comme dit dans son français M. Albert-Petit, était si peu de celles dont le chef de l’Eglise avait évidemment le droit de se croire souverainement juge, que la grande majorité des évêques français avait demandé à la Constituante, par l’organe de l’archevêque d’Aix, l’autorisation de la résoudre par un concile national, c’est-a-dire sans le Pape. Le Pape lui-même était si peu certain du droit souverain, que lui attribue généreusement M. Albert-Petit, que, dans ses négociations avec le Gouvernement français, il se retranchait constamment derrière l’avis des évêques de France, avis qu’il connaissait fort bien mais qu’il feignait d’ignorer. En vérité, mon critique est plus papiste que le Pape et cela n’a rien d’étonnant.

Ce que M. Albert-Petit ne veut ou ne peut pas voir, c’est qu’alors, à la fin du XVIIIe siècle, l’épiscopat était encore quelque chose dans l’Eglise. L’épiscopat allemand venait d’élaborer la punctation d’Ems. L’épiscopat italien, par la plume de Scipion Ricci, au concile de Pistole, venait de protester contre l’absolutisme romain. L’épiscopat français, dont une bonne partie refusera sa démission à Pie VII, au Concordat de Napoléon, n’a recouru au Pape pour baptiser la Constitution civile que parce que la Constituante, — par une maladresse insigne, — ne lui a pas permis de se réunir au Concile. Voilà un fait grave dont M. Albert-Petit n’a pas compris la signification et qu’il a écarté au début.

La Constitution civile du clergé, qui rendait à l’Eglise de France son autonomie, n’était pas forcément schismatique au regard du droit canonique alors en vigueur. Elle l’était si peu que, même après sa condamnation dogmatique, le Pape ne fulminera pas l’excommunication dont il avait menacé les prêtres jureurs et que ceux-ci seront réintégrés de plano dans l’Eglise au Concordat.

Pour absoudre le Pape, M. Albert-Petit ne voit pas qu’il est obligé de condamner les évêques de France et, s’il ne condamne pas les évêques, comment peut-il condamner les Constituans ?

Son argumentation est déconcertante. J’ai suivi pas à pas dans mon livre, — les brefs du Pape, les lettres du nonce, les dépêches de Bernis, les écrits des évêques à la main, — l’évolution du conflit. J’ai recherché chaque fois les pensées véritables des acteurs en présence. Mon analyse psychologique est-elle en défaut ? M. Albert-Petit, au lieu de m’attaquer sur ce terrain, — comme il l’aurait dû en bonne logique, s’il avait voulu prouver mon erreur, — se borne à m’opposer des dates qui, détachées de leurs circonstances, perdent toute signification quand elles n’en prennent pas une radicalement fausse.

Le Pape a attendu neuf mois avant de condamner ex cathedra la Constitution civile du clergé. Les contemporains, un homme aussi peu suspect que l’abbé Maury, s’en sont étonnés quand ils ne s’en sont pas scandalisés. M. Albert-Petit, lui, trouve ces retards tout naturels. Il prétend que le Pape a fait connaître son avis dès le début. « Les dates parlent d’elles-mêmes. Dès le 29 mars 1790, dit-il, le Pape a protesté contre les innovations religieuses en France, mais en consistoire secret. » Or, le 29 mars 1790, la Constitution civile, non seulement n’était pas votée, mais sa discussion n’était pas commencée, et voilà comment les dates parlent d’elles-mêmes. Or, l’allocution consistoriale du 29 mars 1790 visait beaucoup moins l’œuvre religieuse de la Constituante, alors à peine ébauchée, que son œuvre politique. Ce que le Pape condamnait surtout, c’était la déclaration des droits, la liberté de penser, la tolérance religieuse, la souveraineté du peuple, l’égalité civile des dissidens et des catholiques. Jusque dans les brefs de condamnation de la Constitution civile du clergé, le Pape renouvellera la même censure de l’œuvre politique de la Constituante. Il lui reprochera d’avoir détruit l’obéissance due aux rois, il proclamera que la législation française était une monstruosité et il s’attirera de la part des évêques de France une protestation très ferme et très digne. Dans leur réponse à ses brefs, ce sera leur honneur, les évêques de France se feront gloire de leur libéralisme en politique et prendront la défense de la liberté de conscience et de la tolérance. Ces motifs tout politiques de l’opposition de Pie VI, M. Albert-Petit les a tout simplement passés sous silence. A le lire, on croirait que le Pape n’a été inspiré que par des motifs religieux. Et c’est ainsi que M. Albert-Petit prétend me réfuter.

Mais, continuons. Le Pape, dit M. Albert-Petit, a prévenu le Roi, dès le 10 juillet, que la Constitution civile était schismatique. Mais cet avertissement était tout confidentiel. Si le Pape croyait réellement la Constitution civile schismatique, pourquoi consentait-il au même moment à en négocier diplomatiquement le baptême ? Pourquoi ne répondait-il pas clairement aux évêques scrupuleux qui le consultaient ? Pourquoi faisait-il, le 4 août, à l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, la réponse ambiguë la plus décevante ?

Il est facile de jouer des dates. Si les derniers articles de la Constitution civile du clergé n’ont été votés définitivement que le 12 juillet, ses parties essentielles étaient votées depuis le mois de mai. Dès le milieu du mois de mai, le nonce avait fait connaître à la Cour les moyens canoniques d’accommodement que les évêques de France proposaient d’employer pour rendre la Constitution civile du clergé exécutoire, Le Pape n’a donc pas été pris au dépourvu. Avant de recevoir les propositions officielles du Roi, qui lui parvinrent le 11 août, il avait eu deux longs mois pour se faire une opinion sur leur contenu.

M. Albert-Petit blâme la précipitation de l’Assemblée, mais il n’a pas un mot de regret pour la lenteur inconcevable du Pape qui, saisi officiellement le 11 août, ne réunit la congrégation des cardinaux que le 24 septembre.

La précipitation de l’Assemblée ? Elle est beaucoup plus apparente que réelle. Sans doute, sur la motion de Bouche, l’Assemblée réclame du Roi la promulgation de la Constitution civile et le Roi l’accorde le 24 août, avant que la réponse de Rome à ses premières propositions ait pu être reçue. Mais M. Albert-Petit ne veut pas voir que cette promulgation n’ajoutait rien d’essentiel à l’acceptation déjà donnée le 22 juillet. Il ne veut pas retenir que les négociations engagées à Rome ne devaient pas toucher le fond de l’œuvre de la Constituante mais seulement les moyens extérieurs, rituels en quelque sorte, à employer pour la mettre en vigueur. Il ne veut pas retenir que le Roi n’a pas accordé précisément la promulgation le 21 août, mais seulement la publication et que les décrets ne furent pas revêtus de formes légales nécessaires pour leur donner une application immédiate. Il oublie que l’exécution des décrets ne commença timidement et partiellement qu’au milieu d’octobre, alors que le Pape avait eu tout le temps de connaître les sentimens des évêques de France. Il oublie que la Constituante, qui attendait depuis plusieurs mois, ne pouvait pas différer plus longtemps d’agir, car la réforme religieuse, ainsi que je l’ai surabondamment démontré, tenait étroitement à la réforme administrative et financière et que, celle-là arrêtée, celle-ci était immobilisée à son tour. Il oublie que la loi du serment, destinée à briser l’opposition passive de l’épiscopat, n’est que du 27 novembre et qu’elle ne sera mise en application qu’au début de janvier 1791. Je crois avoir démontré, par des argumens dont j’attends toujours la réfutation, que si l’Assemblée n’avait pas tant tardé, que si elle avait mis en application sa réforme dès le début de juillet, en se passant du Pape, elle eût certainement obtenu un résultat tout autre. Mais M. Albert-Petit n’a examiné de mon livre que la surface. Il prétend nie réfuter et je suis obligé de constater qu’il n’a même pas fait effort pour me comprendre.

En quelques mots très brefs, il écarte du débat l’affaire d’Avignon. Il remarque que le Pape a condamné la Constitution civile au lendemain du jour où la Constituante retire les troupes françaises d’Avignon, ce qui, dit-il, lui donnait satisfaction. M. Albert-Petit m’a lu avec bien peu d’attention. Je suis obligé de lui rappeler des faits essentiels qu’il suffira d’énumérer. Dès le 22 juin 1790, le nonce demande à Louis XVI de prendre Avignon sous sa sauvegarde, c’est-à-dire de rétablir dans Avignon le pouvoir du Pape. L’affaire d’Avignon lui tenait tellement à cœur que, dans ce bref même du 10 juillet où il avertissait le Roi de refuser sa sanction à la Constitution civile du clergé, il ne pouvait s’empêcher de lui parler en termes amers de la révolte de ses sujets. Il suffit de lire la correspondance de Remis et celle du nonce pour s’apercevoir de la place considérable qu’Avignon a occupée dans les négociations. Le 21 juillet, Remis écrivait que le Pape comptait sur son intervention pour faire rentrer les révoltés dans l’obéissance. Quand le Pape reçoit les premières propositions du Roi relatives au baptême de la Constitution civile, il s’étonne qu’on ne lui parle pas d’Avignon. « Sa Sainteté fut surprise, dit Remis, que le Roy, dans la lettre qu’il écrivit au Pape par le courrier Lépine, ne fit nulle mention d’un objet si intéressant pour le Saint-Siège et si conforme 5 la justice. » Le 16 octobre, le nonce demande au Roi « de concourir aux moyens qui paraîtront les plus convenables pour que l’autorisation du Saint-Siège soit rétablie dans Avignon. » Le 29 octobre, nouvelle requête identique. Quand la Constituante, pour mettre fin aux désordres qui ont éclaté dans la ville révoltée, décide d’y envoyer des troupes, le Pape est outré que ces troupes ne soient pas mises à son service exclusif, mais que leurs chefs aient reçu l’ordre d’agir de concert avec les officiers municipaux, c’est-à-dire avec les rebelles. Le retrait des troupes ne lui donne qu’une satisfaction toute relative, toute morale. Ce qu’il continue à demander c’est une action positive du Gouvernement Français en faveur de son autorité et c’est parce qu’il n’a pas obtenu ce concours, qu’il réclame en vain depuis six mois, qu’il se décide alors à rompre les négociations dilatoires qu’il entretenait depuis le même temps sur l’affaire spirituelle. M. Albert-Petit a fait litière de tout cela.

Pour mieux blanchir Pie VI et pour noircir les Constituans, rien ne lui coûte. Pas plus qu’il ne daigne retenir ni même mentionner les motifs tout politiques que le Pontife a fait valoir jusque dans ses actes officiels pour condamner l’œuvre de la Constituante, il ne "daigne s’arrêter à l’action très efficace qu’ont exercée sur lui et les émigrés d’une part et les puissances catholiques de l’autre. Le mémoire que la Cour d’Espagne lui fit remettre par d’Azara le 4 janvier 1791 est pourtant une pièce capitale qu’il est impossible de ne pas prendre en considération puisqu’on voit le Pape s’en inspirer à la fois dans ses brefs sur Avignon et dans ses brefs sur la Constitution civile. L’action de l’Espagne n’était pas isolée, puisque, dès le mois de septembre précédent, Bernis notait dans sa correspondance que les autres États catholiques intervenaient à Rome dans un sens contraire aux vues françaises. M. Albert-Petit n’a pas pris garde que le Pape de ce temps n’était pas seulement un souverain spirituels

Quant à l’action des émigrés, elle était si peu niable que Boisgelin lui-même écrivait au Roi le 3 décembre que le Pape se laissait influencer « par les bruits de Turin. » Qu’aurait-il dit s’il avait connu la correspondance qu’échangeait au même instant Vaudreuil avec le Comte d’Artois ?

Pour prétendre que le Pape ne fut guidé que par des considérations religieuses, il faut vraiment se refuser à l’évidence. M. Albert-Petit passe complètement sous silence l’attitude qu’avait tenue Pie VI dans un conflit très semblable à celui que fit naître la Constitution civile du clergé. Quand Catherine II avait annexé sa part de Pologne, elle avait remanié, de sa propre autorité, les circonscriptions des diocèses. Elle avait créé en 1774 le siège épiscopal de Mohilev et en avait étendu la juridiction sur tous les catholiques latins de son empire. De sa seule autorité encore, elle avait pourvu ce siège d’un titulaire, l’évêque in partibus de Mallo, personnage suspect à Rome, et elle avait fait défense à l’évêque polonais de Livonie de s’immiscer dorénavant dans la partie de son ancien diocèse annexée à la Russie. Pie VI, qui se montrera si intransigeant vis-à-vis de la Constituante, dont les empiétemens ne seront pas sensiblement plus graves, n’osa pas soulever de conflit avec la souveraine schismatique. Il régularisa après coup les réformes de la Tsarine et il usa pour cela de ce même procédé des délégations auquel les évêques de France lui conseilleront de recourir pour baptiser la Constitution civile du clergé. Le grand crime des Constituans aux yeux de Pie VI ne fut pas de faire la Constitution civile, ce fut de faire la Constitution tout court. Il suffit de lire ses brefs pour en être convaincu.

La vraie raison du conflit fut d’ordre tout politique. On ne peut condamner la Constituante qu’en donnant une adhésion implicite à la thèse du despotisme théocratique. Sur la question religieuse, l’archevêque d’Aix, Boisgelin, a dit le dernier mot : « Le principe de la Cour de Rome devait être de faire tout ce qu’elle devait faire et ne différer que ce qui pouvait être moins pressant et moins difficile. Quand il ne manque que des formes canoniques, le Pape peut les remplir, il le peut, il le doit. » (Lettre au Roi, 25 décembre 1790.) Ce jugement de Boisgelin sera celui de l’histoire.

Veuillez, je vous prie, Monsieur le Directeur, publier cette réponse dans votre prochain numéro, et agréer l’expression de ma haute considération.


Signé : ALBERT MATHIEZ.

  1. Cette phrase pour être comprise a besoin d’une explication. Dans le texte adressé d’abord à la Revue, M. Mathiez donnait de ce papisme intempérant une explication profonde : « Cela n’a rien d’étonnant, puisque M. Albert-Petit n’est pas catholique. » Charitablement averti de sa bévue, M. Mathiez a coupé l’argument ( ? ), mais maintenu l’argumentation. A. A-P.