Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2 La Suivante/Acte V

Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2 La Suivante
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome II (p. 197-214).

ACTE V


Scène première

Théante, Damon.


Théante.

Croirais-tu qu’un moment m’ait pu changer de sorte
Que je passe à regret par-devant cette porte ?

Damon.

Que ton humeur n’a-t-elle un peu plus tôt changé !
Nous aurions vu l’effet où tu m’as engagé.
Tantôt quelque démon, ennemi de ta flamme,
Te faisait en ces lieux accompagner Florame :
Sans la crainte qu’alors il te prît pour second,
Je l’allais appeler au nom de Clarimond ;
Et comme si depuis il était invisible,
Sa rencontre pour moi s’est rendue impossible.

Théante.

Ne le cherche donc plus. A bien considérer,
Qu’ils se battent, ou non je n’en puis qu’espérer.
Daphnis, que son adresse a malgré moi séduite,
Ne pourrait l’oublier, quand il serait en fuite.
Leur amour est trop forte ; et d’ailleurs son trépas,
Le privant d’un tel bien, ne me le donne pas.

Inégal en fortune à ce qu’est cette belle,
Et déjà par malheur assez mal voulu d’elle,
Que pourrais-je, après tout, prétendre de ses pleurs ?
Et quel espoir pour moi naîtrait de ses douleurs ?
Deviendrais-je par là plus riche ou plus aimable ?
Que si de l’obtenir je me trouve incapable,
Mon amitié pour lui, qui ne peut expirer,
À tout autre qu’à moi me le fait préférer ;
Et j’aurais peine à voir un troisième en sa place.

Damon.

Tu t’avises trop tard ; que veux-tu que je fasse ?
J’ai poussé Clarimond à lui faire un appel ;
J’ai charge de sa part de lui rendre un cartel.
Le puis-je supprimer ?

Théante.

Le puis-je supprimer ? Non, mais tu pourrais faire…

Damon.

Quoi ?

Théante.

Quoi ? Que Clarimond prît un sentiment contraire.

Damon.

Le détourner d’un coup où seul je l’ai porté !
Mon courage est mal propre à cette lâcheté.

Théante.

À de telles raisons je n’ai de répartie,
Sinon que c’est à moi de rompre la partie.
J’en vais semer le bruit.


Damon.

J’en vais semer le bruit. Et sur ce bruit tu veux…

Théante.

Qu’on leur donne dans peu des gardes à tous deux,
Et qu’une main puissante arrête leur querelle.
Qu’en dis-tu, cher ami ?

Damon.

Qu’en dis-tu, cher ami ? L’invention est belle,
Et le chemin bien court à les mettre d’accord ;
Mais souffre auparavant que j’y fasse un effort.
Peut-être mon esprit trouvera quelque ruse
Par où, sans en rougir, du cartel je m’excuse.
Ne donnons point sujet de tant parler de nous,
Et sachons seulement à quoi tu te résous.

Théante.

À les laisser en paix, et courir l’Italie
Pour divertir le cours de ma mélancolie,
Et ne voir point Florame emporter à mes yeux
Le prix où prétendait mon cœur ambitieux.

Damon.

Amarante, à ce compte, est hors de ta pensée ?

Théante.

Son image du tout n’en est pas effacée.
Mais…

Damon.

Mais… Tu crains que pour elle on te fasse un duel.

Théante.

Railler un malheureux, c’est être trop cruel.
Bien que ses yeux encor règnent sur mon courage,
Le bonheur de Florame à la quitter m’engage ;

Le ciel ne nous fit point, et pareils, et rivaux,
Pour avoir des succès tellement inégaux.
C’est me perdre d’honneur, et par cette poursuite,
D’égal que je lui suis, me ranger à sa suite.
Je donne désormais des règles à mes feux ;
De moindres que Daphnis sont incapables d’eux ;
Et rien dorénavant n’asservira mon âme
Qui ne me puisse mettre au-dessus de Florame.
Allons, je ne puis voir sans mille déplaisirs
Ce possesseur du bien où tendaient mes désirs.

Damon.

Arrête. Cette fuite est hors de bienséance,
Et je n’ai point d’appel à faire en ta présence.
(Théante le retire du théâtre comme par force.)


Scène II


Florame.

Jetterai-je toujours des menaces en l’air,
Sans que je sache enfin à qui je dois parler ?
Aurait-on jamais cru qu’elle me fût ravie,
Et qu’on me pût ôter Daphnis avant la vie ?
Le possesseur du prix de ma fidélité,
Bien que je sois vivant, demeure en sûreté :
Tout inconnu qu’il m’est, il produit ma misère ;
Tout mon rival qu’il est, il rit de ma colère.
Rival ! ah, quel malheur ! j’en ai pour me bannir,
Et cesse d’en avoir quand je le veux punir.
Grands dieux, qui m’enviez cette juste allégeance,
Qu’un amant supplanté tire de la vengeance,
Et me cachez le bras dont je reçois les coups,

Est-ce votre dessein que je m’en prenne à vous ?
Est-ce votre dessein d’attirer mes blasphèmes,
Et qu’ainsi que mes maux mes crimes soient extrêmes,
Qu’à mille impiétés osant me dispenser,
À votre foudre oisif je donne où se lancer ?
Ah ! souffrez qu’en l’état de mon sort déplorable
Je demeure innocent, encor que misérable :
Destinez à vos feux d’autres objets que moi ;
Vous n’en sauriez manquer, quand on manque de foi.
Employez le tonnerre à punir les parjures,
Et prenez intérêt vous-même à mes injures :
Montrez, en me vengeant, que vous êtes des dieux,
Ou conduisez mon bras, puisque je n’ai point d’yeux,
Et qu’on sait dérober d’un rival qui me tue
Le nom à mon oreille, et l’objet à ma vue.
Rival, qui que tu sois, dont l’insolent amour
Idolâtre un soleil et n’ose voir le jour,
N’oppose plus ta crainte à l’ardeur qui te presse ;
Fais-toi, fais-toi connaître allant voir ta maîtresse.


Scène III

Florame, Amarante.


Florame.

Amarante (aussi bien te faut-il confesser
Que la seule Daphnis avait su me blesser),
Dis-moi qui me l’enlève ; apprends-moi quel mystère
Me cache le rival qui possède son père ;

À quel heureux amant Géraste a destiné
Ce beau prix que l’amour m’avait si bien donné.

Amarante.

Ce dût vous être assez de m’avoir abusée,
Sans faire encor de moi vos sujets de risée.
Je sais que le vieillard favorise vos feux,
Et que rien que Daphnis n’est contraire à vos vœux.

Florame.

Que me dis-tu ? Lui seul, et sa rigueur nouvelle
Empêchent les effets d’une ardeur mutuelle ?

Amarante.

Pensez-vous me duper avec ce feint courroux ?
Lui-même il m’a prié de lui parler pour vous.

Florame.

Vois-tu, ne t’en ris plus ; ta seule jalousie
A mis à ce vieillard ce change en fantaisie.
Ce n’est pas avec moi que tu te dois jouer,
Et ton crime redouble à le désavouer ;
Mais sache qu’aujourd’hui, si tu ne fais en sorte
Que mon fidèle amour sur ce rival l’emporte,
J’aurai trop de moyens à te faire sentir
Qu’on ne m’offense point sans un prompt repentir.


Scène IV


Amarante.

Voilà de quoi tomber en un nouveau dédale.
Ô ciel ! qui vit jamais confusion égale ?
Si j’écoute Daphnis, j’apprends qu’un feu puissant
La brûle pour Florame, et qu’un père y consent ;
Si j’écoute Géraste, il lui donne Florame,
Et se plaint que Daphnis en rejette la flamme ;
Et si Florame est cru, ce vieillard aujourd’hui
Dispose de Daphnis pour un autre que lui.
Sous un tel embarras je me trouve accablée ;
Eux ou moi, nous avons la cervelle troublée,
Si ce n’est qu’à dessein ils se soient concertés
Pour me faire enrager par ces diversités.
Mon faible esprit s’y perd et n’y peut rien comprendre ;
Pour en venir à bout, il me les faut surprendre,
Et quand ils se verront, écouter leurs discours,
Pour apprendre par là le fond de ces détours.
Voici mon vieux rêveur ; fuyons de sa présence,
Qu’il ne m’embrouille encor de quelque confidence :
De crainte que j’en ai, d’ici je me bannis,
Tant qu’avec lui je voie ou Florame, ou Daphnis.


Scène V

Géraste, Polémon.


Polémon.

J’ai grand regret, monsieur, que la foi qui vous lie
Empêche que chez vous mon neveu ne s’allie,
Et que son feu m’emploie aux offres qu’il vous fait,
Lorsqu’il n’est plus en vous d’en accepter l’effet.

Géraste.

C’est un rare trésor que mon malheur me vole ;
Et si l’honneur souffrait un manque de parole,
L’avantageux parti que vous me présentez
Me verrait aussitôt prêt à ses volontés.

Polémon.

Mais si quelque hasard rompait cette alliance ?

Géraste.

N’ayez lors, je vous prie, aucune défiance ;
Je m’en tiendrais heureux, et ma foi vous répond
Que Daphnis, sans tarder, épouse Clarimond.

Polémon.

Adieu. Faites état de mon humble service.

Géraste.

Et vous pareillement, d’un cœur sans artifice.


Scène VI

Célie, Géraste.


Célie.

De sorte qu’à mes yeux votre foi lui répond
Que Daphnis, sans tarder, épouse Clarimond ?

Géraste.

Cette vaine promesse en un cas impossible
Adoucit un refus et le rend moins sensible ;
C’est ainsi qu’on oblige un homme à peu de frais.

Célie.

Ajouter l’impudence à vos perfides traits !
Il vous faudrait du charme au lieu de cette ruse,
Pour me persuader que qui promet refuse.

Géraste.

J’ai promis, et tiendrais ce que j’ai protesté,
Si Florame rompait le concert arrêté.
Pour Daphnis, c’est en vain qu’elle fait la rebelle
J’en viendrai trop à bout.

Célie.

Impudence nouvelle !
Florame, que Daphnis fait maître de son cœur,
De votre seul caprice accuse la rigueur ;
Et je sais que sans vous leur mutuelle flamme
Unirait deux amants qui n’ont déjà qu’une âme.
Vous m’osez cependant effrontément conter

Que Daphnis sur ce point aime à vous résister !
Vous m’en aviez promis une tout autre issue :
J’en ai porté parole après l’avoir reçue.
Qu’avais-je, contre vous, ou fait, ou projeté,
Pour me faire tremper en votre lâcheté ?
Ne pouviez-vous trahir que par mon entremise ?
Avisez : il y va de plus que de Florise.
Ne vous estimez pas quitte pour la quitter,
Ni que de cette sorte on se laisse affronter.

Géraste.

Me prends-tu donc pour homme à manquer de parole
En faveur d’un caprice où s’obstine une folle ?
Va, fais venir Florame ; à ses yeux tu verras
Que pour lui mon pouvoir ne s’épargnera pas,
Que je maltraiterai Daphnis en sa présence
D’avoir pour son amour si peu de complaisance.
Qu’il vienne seulement voir un père irrité,
Et joindre sa prière à mon autorité ;
Et lors, soit que Daphnis y résiste ou consente,
Crois que ma volonté sera la plus puissante.

Célie.

Croyez que nous tromper ce n’est pas votre mieux.

Géraste.

Me foudroie en ce cas la colère des cieux !


Scène VII

Géraste, Daphnis.


Géraste, seul.

Géraste, sur-le-champ il te fallait contraindre
Celle que ta pitié ne pouvait ouïr plaindre.
Tu n’as pu refuser du temps à ses douleurs
Ton cœur s’attendrissait de voir couler ses pleurs ;
Et pour avoir usé trop peu de ta puissance,
On t’impute à forfait sa désobéissance.
(Daphnis vient.)
Un traitement trop doux te fait croire sans foi.
Faudra-t-il que de vous je reçoive la loi,
Et que l’aveuglement d’une amour obstinée
Contre ma volonté règle votre hyménée ?
Mon extrême indulgence a donné, par malheur,
À vos rébellions quelque faible couleur ;
Et pour quelque moment que vos feux m’ont su plaire,
Vous pensez avoir droit de braver ma colère :
Mais sachez qu’il fallait, ingrate, en vos amours,
Ou ne m’obéir point, ou m’obéir toujours.

Daphnis.

Si dans mes premiers feux je vous semble obstinée,
C’est l’effet de ma foi sous votre aveu donnée.
Quoi que mette en avant votre injuste courroux,
Je ne veux opposer à vous-même que vous.
Votre permission doit être irrévocable :
Devenez seulement à vous-même semblable.
Il vous fallait, monsieur, vous-même à mes amours,

Ou ne consentir point, ou consentir toujours.
Je choisirai la mort plutôt que le parjure ;
M’y voulant obliger, vous vous faites injure.
Ne veuillez point combattre ainsi hors de saison
Votre vouloir, ma foi, mes pleurs, et la raison.
Que vous a fait Daphnis ? que vous a fait Florame,
Que pour lui vous vouliez que j’éteigne ma flamme ?

Géraste.

Mais que vous a-t-il fait, que pour lui seulement
Vous vous rendiez rebelle à mon commandement ?
Ma foi n’est-elle rien au-dessus de la vôtre ?
Vous vous donnez à l’un ; ma foi vous donne à l’autre.
Qui le doit emporter ou de vous ou de moi ?
Et qui doit de nous deux plutôt manquer de foi ?
Quand vous en manquerez, mon vouloir vous excuse.
Mais à trop raisonner moi-même je m’abuse :
Il n’est point de raison valable entre nous deux,
Et pour toute raison, il suffit que je veux.

Daphnis.

Un parjure jamais ne devient légitime ;
Une excuse ne peut justifier un crime.
Malgré vos changements, mon esprit résolu
Croit suffire à mes feux que vous ayez voulu.


Scène VIII

Géraste, Daphnis, Florame, Célie, Amarante.


Daphnis.

Voici ce cher amant qui me tient engagée,

À qui sous votre aveu ma foi s’est obligée.
Changez de volonté pour un objet nouveau :
Daphnis épousera Florame, ou le tombeau.

Géraste.

Que vois-je ici, bons dieux ?

Daphnis.

Que vois-je ici, bons dieux ? Mon amour, ma constance.

Géraste.

Et sur quoi donc fonder ta désobéissance ?
Quel envieux démon, et quel charme assez fort,
Faisait entrechoquer deux volontés d’accord ?
C’est lui que tu chéris, et que je te destine ;
Et ta rébellion dans un refus s’obstine !

Florame.

Appelez-vous refus de me donner sa foi,
Quand votre volonté se déclara pour moi ?
Et cette volonté, pour une autre tournée,
Vous peut-elle obéir après la foi donnée ?

Géraste.

C’est pour vous que je change, et pour vous seulement
Je veux qu’elle renonce à son premier amant.
Lorsque je consentis à sa secrète flamme,
C’était pour Clarimond qui possédait son âme ;
Amarante du moins me l’avait dit ainsi.

Daphnis.

Amarante, approchez ; que tout soit éclairci.
Une telle imposture est-elle pardonnable ?

Amarante.

Mon amour pour Florame en est le seul coupable :

Mon esprit l’adorait : et vous étonnez-vous
S’il devint inventif, puisqu’il était jaloux ?

Géraste.

Et par là tu voulais…

Amarante.

Et par là tu voulais… Que votre âme déçue
Donnât à Clarimond une si bonne issue,
Que Florame, frustré de l’objet de ses vœux,
Fût réduit désormais à seconder mes feux.

Florame.

Pardonnez-lui, monsieur ; et vous, daignez, madame,
Justifier son feu par votre propre flamme.
Si vous m’aimez encor, vous devez estimer
Qu’on ne peut faire un crime à force de m’aimer.

Daphnis.

Si je t’aime, Florame ? Ah ! ce doute m’offense.
D’Amarante avec toi je prendrai la défense.

Géraste.

Et moi, dans ce pardon je vous veux prévenir ;
Votre hymen aussi bien saura trop la punir.

Daphnis.

Qu’un nom tu par hasard nous a donné de peine !

Célie.

Mais que, su maintenant, il rend sa ruse vaine,
Et donne un prompt succès à vos contentements.


Florame, à Géraste.

Vous, de qui je les tiens…

Géraste.

Vous, de qui je les tiens… Trêve de compliments :
Ils nous empêcheraient de parler de Florise.

Florame.

Il n’en faut point parler, elle vous est acquise.

Géraste.

Allons donc la trouver : que cet échange heureux
Comble d’aise à son tour un vieillard amoureux.

Daphnis.

Quoi ! je ne savais rien d’une telle partie !

Florame.

Je pense toutefois vous avoir avertie
Qu’un grand effet d’amour, avant qu’il fût longtemps,
Vous rendrait étonnée, et nos désirs contents.
Mais différez, monsieur, une telle visite ;
Mon feu ne souffre point que sitôt je la quitte ;
Et d’ailleurs je sais trop que la foi du devoir
Veut que je sois chez nous pour vous y recevoir.

Géraste, à Célie.

Va donc lui témoigner le désir qui me presse.

Florame.

Plutôt fais-la venir saluer ma maîtresse :
Ainsi tout à la fois nous verrons satisfaits
Vos feux et mon devoir, ma flamme et vos souhaits.

Géraste.

Je dois être honteux d’attendre qu’elle vienne.


Célie.

Attendez-la, monsieur, et qu’à cela ne tienne :
Je cours exécuter cette commission.

Géraste.

Le temps en sera long à mon affection.

Florame.

Toujours l’impatience à l’amour est mêlée.

Géraste.

Allons dans le jardin faire deux tours d’allée,
Afin que cet ennui que j’en pourrai sentir
Parmi votre entretien trouve à se divertir.


Scène IX


Amarante.

Je le perds donc, l’ingrat, sans que mon artifice
Ait tiré de ses maux aucun soulagement,
Sans que pas un effet ait suivi ma malice,
Où ma confusion n’égalât son tourment.
Pour agréer ailleurs il tâchait à me plaire,
Un amour dans la bouche, un autre dans le sein :
J’ai servi de prétexte à son feu téméraire,
Et je n’ai pu servir d’obstacle à son dessein.
Daphnis me le ravit, non par son beau visage,
Non par son bel esprit ou ses doux entretiens,
Non que sur moi sa race ait aucun avantage,
Mais par le seul éclat qui sort d’un peu de biens.

Filles que la nature a si bien partagées,
Vous devez présumer fort peu de vos attraits ;
Quelque charmants qu’ils soient, vous êtes négligées,
À moins que la fortune en rehausse les traits.
Mais encor que Daphnis eût captivé Florame,
Le moyen qu’inégal il en fût possesseur ?
Destins, pour rendre aisé le succès de sa flamme,
Fallait-il qu’un vieux fou fût épris de sa sœur ?
Pour tromper mon attente, et me faire un supplice,
Deux fois l’ordre commun se renverse en un jour ;
Un jeune amant s’attache aux lois de l’avarice,
Et ce vieillard pour lui suit celles de l’amour.
Un discours amoureux n’est qu’une fausse amorce,
Et Théante et Florame ont feint pour moi des feux ;
L’un m’échappe de gré, comme l’autre de force ;
J’ai quitté l’un pour l’autre, et je les perds tous deux.
Mon cœur n’a point d’espoir dont je ne sois séduite,
Si je prends quelque peine, une autre en a les fruits ;
Et dans le triste état où le ciel m’a réduite,
Je ne sens que douleurs, et ne prévois qu’ennuis.

Vieillard, qui de ta fille achètes une femme
Dont peut-être aussitôt tu seras mécontent,
Puisse le ciel, aux soins qui te vont ronger l’âme,
Dénier le repos du tombeau qui t’attend !
Puisse le noir chagrin de ton humeur jalouse
Me contraindre moi-même à déplorer ton sort,
Te faire un long trépas, et cette jeune épouse
User toute sa vie à souhaiter ta mort !


Fin du cinquième et dernier acte.