Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2 La Suivante/Acte II

Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2 La Suivante
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome II (p. 144-161).
◄  Acte I
Acte III  ►

ACTE II


Scène première

Géraste, Célie.


Célie.

Eh bien, j’en parlerai ; mais songez qu’à votre âge
Mille accidents fâcheux suivent le mariage.
On aime rarement de si sages époux,
Et leur moindre malheur, c’est d’être un peu jaloux.
Convaincus au dedans de leur propre faiblesse,
Une ombre leur fait peur, une mouche les blesse ;
Et cet heureux hymen, qui les charmait si fort,
Devient souvent pour eux un fourrier de la mort.

Géraste.

Excuse, ou pour le moins pardonne à ma folie ;
Le sort en est jeté : va, ma chère Célie,
Va trouver la beauté qui me tient sous sa loi,
Flatte-la de ma part, promets-lui tout de moi :
Dis-lui que si l’amour d’un vieillard l’importune,
Elle fait une planche à sa bonne fortune ;

Que l’excès de mes biens, à force de présents,
Répare la vigueur qui manque à mes vieux ans ;
Qu’il ne lui peut échoir de meilleure aventure.

Célie.

Ne m’importunez point de votre tablature :
Sans vos instructions, je sais bien mon métier ;
Et je n’en laisserai pas un trait à quartier.

Géraste.

Je ne suis point ingrat quand on me rend office.
Peins-lui bien mon amour, offre bien mon service,
Dis bien que mes beaux jours ne sont pas si passés
Qu’il ne me reste encor…

Célie.

Qu’il ne me reste encor… Que vous m’étourdissez !
N’est-ce point assez dit que votre âme est éprise ?
Que vous allez mourir si vous n’avez Florise ?
Reposez-vous sur moi.

Géraste.

Reposez-vous sur moi. Que voilà froidement
Me promettre ton aide à finir mon tourment !


Célie.

S’il faut aller plus vite, allons, je vois son frère,
Et vais tout devant vous lui proposer l’affaire.

Géraste.

Ce serait tout gâter ; arrête, et par douceur,
Essaie auparavant d’y résoudre la sœur.


Scène II


Florame.

Jamais ne verrai-je finie
Cette incommode affection,
Dont l’impitoyable manie
Tyrannise ma passion ?
Je feins, et je fais naître un feu si véritable,
Qu’à force d’être aimé je deviens misérable.
Toi qui m’assièges tout le jour,
Fâcheuse cause de ma peine,
Amarante, de qui l’amour
Commence à mériter ma haine,
Cesse de te donner tant de soins superflus ;
Je te voudrai du bien de ne m’en vouloir plus.
Dans une ardeur si violente,
Près de l’objet de mes désirs,
Penses-tu que je me contente
D’un regard et de deux soupirs ?

Et que je souffre encor cet injuste partage
Où tu tiens mes discours, et Daphnis mon courage ?
Si j’ai feint pour toi quelques feux,
C’est à quoi plus rien ne m’oblige :
Quand on a l’effet de ses vœux,
Ce qu’on adorait se néglige.
Je ne voulais de toi qu’un accès chez Daphnis :
Amarante, je l’ai ; mes amours sont finis.
Théante, reprends ta maîtresse ;
N’ôte plus à mes entretiens
L’unique sujet qui me blesse,
Et qui peut-être est las des tiens.
Et toi, puissant Amour, fais enfin que j’obtienne
Un peu de liberté pour lui donner la mienne !


Scène III

Amarante, Florame.


Amarante.

Que vous voilà soudain de retour en ces lieux !

Florame.

Vous jugerez par là du pouvoir de vos yeux.

Amarante.

Autre objet que mes yeux devers nous vous attire.

Florame.

Autre objet que vos yeux ne cause mon martyre.

Amarante.

Votre martyre donc est de perdre avec moi
Un temps dont vous voulez faire un meilleur emploi.


Scène IV

Daphnis, Amarante, Florame.


Daphnis.

Amarante, allez voir si dans la galerie
Ils ont bientôt tendu cette tapisserie :
Ces gens-là ne font rien, si l’on n’a l’œil sur eux.
(Amarante rentre, et Daphnis continue.)
Je romps pour quelque temps le discours de vos feux.

Florame.

N’appelez point des feux un peu de complaisance
Que détruit votre abord, qu’éteint votre présence.

Daphnis.

Votre amour est trop forte, et vos cœurs trop unis,
Pour l’oublier soudain à l’abord de Daphnis ;
Et vos civilités, étant dans l’impossible,
Vous rendent bien flatteur, mais non pas insensible.

Florame.

Quoi que vous estimiez de ma civilité,
Je ne me pique point d’insensibilité.
J’aime, il n’est que trop vrai ; je brûle, je soupire :
Mais un plus haut sujet me tient sous son empire.

Daphnis.

Le nom ne s’en dit point ?


Florame.

Le nom ne s’en dit point ? Je ris de ces amants
Dont le trop de respect redouble les tourments,
Et qui, pour les cacher se faisant violence,
Se promettent beaucoup d’un timide silence.
Pour moi, j’ai toujours cru qu’un amour vertueux
N’avait point à rougir d’être présomptueux.
Je veux bien vous nommer le bel œil qui me dompte,
Et ma témérité ne me fait point de honte.
Ce rare et haut sujet…
Amarante, revenant brusquement.
Tout est presque tendu.

Daphnis.

Vous n’avez auprès d’eux guère de temps perdu.

Amarante.

J’ai vu qu’ils l’employaient, et je suis revenue.

Daphnis.

J’ai peur de m’enrhumer au froid qui continue.
Allez au cabinet me quérir un mouchoir :
J’en ai laissé les clefs autour de mon miroir,
Vous les trouverez là.
(Amarante rentre, et Daphnis continue.)
J’ai cru que cette belle
Ne pouvait à propos se nommer devant elle,
Qui recevant par là quelque espèce d’affront,
En aurait eu soudain la rougeur sur le front.


Florame.

Sans affront je la quitte, et lui préfère une autre
Dont le mérite égal, le rang pareil au vôtre,
L’esprit et les attraits également puissants,
Ne devraient de ma part avoir que de l’encens :
Oui, sa perfection, comme la vôtre extrême,
N’a que vous de pareille ; en un mot, c’est…

Daphnis.

N’a que vous de pareille ; en un mot, c’est… Moi-même.
Je vois bien que c’est là que vous voulez venir,
Non tant pour m’obliger, comme pour me punir.
Ma curiosité, devenue indiscrète,
A voulu trop savoir d’une flamme secrète :
Mais bien qu’elle en reçoive un juste châtiment,
Vous pouviez me traiter un peu plus doucement.
Sans me faire rougir, il vous devait suffire
De me taire l’objet dont vous aimez l’empire :
Mettre en sa place un nom qui ne vous touche pas,
C’est un cruel reproche au peu que j’ai d’appas.

Florame.

Vu le peu que je suis, vous dédaignez de croire
Une si malheureuse et si basse victoire.
Mon cœur est un captif si peu digne de vous,
Que vos yeux en voudraient désavouer leurs coups ;
Ou peut-être mon sort me rend si méprisable,

Que ma témérité vous devient incroyable.
Mais quoi que désormais il m’en puisse arriver,
Je fais serment…

Amarante.

Je fais serment… Vos clefs ne sauraient se trouver.

Daphnis.

Faute d’un plus exquis, et comme par bravade,
Ceci servira donc de mouchoir de parade.
Enfin, ce cavalier que nous vîmes au bal,
Vous trouvez comme moi qu’il ne danse pas mal ?

Florame.

Je ne le vis jamais mieux sur sa bonne mine.

Daphnis.

Il s’était si bien mis pour l’amour de Clarine.
(À Amarante.)
À propos de Clarine, il m’était échappé
Qu’elle en a deux à moi d’un nouveau point-coupé.
Allez, et dites-lui qu’elle me les renvoie.

Amarante.

Il est hors d’apparence aujourd’hui qu’on la voie ;
Dès une heure au plus tard elle devait sortir.

Daphnis.

Son cocher n’est jamais si tôt prêt à partir ;
Et d’ailleurs son logis n’est pas au bout du monde ;
Vous perdrez peu de pas. Quoi qu’elle vous réponde,
Dites-lui nettement que je les veux avoir.


Amarante.

À vous les rapporter je ferai mon pouvoir.


Scène V


Florame, Daphnis.


Florame.

C’est à vous maintenant d’ordonner mon supplice,
Sûre que sa rigueur n’aura point d’injustice.

Daphnis.

Vous voyez qu’Amarante a pour vous de l’amour,
Et ne manquera pas d’être tôt de retour.
Bien que je pusse encore user de ma puissance,
Il vaut mieux ménager le temps de son absence.
Donc, pour n’en perdre point en discours superflus,
Je crois que vous m’aimez ; n’attendez rien de plus :
Florame, je suis fille, et je dépends d’un père.

Florame.

Mais de votre côté que faut-il que j’espère ?

Daphnis.

Si ma jalouse encor vous rencontrait ici,
Ce qu’elle a de soupçons serait trop éclairci.
Laissez-moi seule, allez.

Florame.

Laissez-moi seule, allez. Se peut-il que Florame
Souffre d’être sitôt séparé de son âme ?
Oui, l’honneur d’obéir à vos commandements
Lui doit être plus cher que ses contentements.


Scène VI


Daphnis.

Mon amour, par ses yeux plus forte devenue,
L’eût bientôt emporté dessus ma retenue ;
Et je sentais mon feu tellement s’augmenter,
Qu’il n’était plus en moi de le pouvoir dompter.
J’avais peur d’en trop dire ; et cruelle à moi-même,
Parce que j’aime trop, j’ai banni ce que j’aime.
Je me trouve captive en de si beaux liens,
Que je meurs qu’il le sache, et j’en fuis les moyens.
Quelle importune loi que cette modestie
Par qui notre apparence en glace convertie
Etouffe dans la bouche, et nourrit dans le cœur,
Un feu dont la contrainte augmente la vigueur !
Que ce penser m’est doux ! que je t’aime, Florame !
Et que je songe peu, dans l’excès de ma flamme,
À ce qu’en nos destins contre nous irrités
Le mérite et les biens font d’inégalités !
Aussi par celle-là de bien loin tu me passes,
Et l’autre seulement est pour les âmes basses ;
Et ce penser flatteur me fait croire aisément
Que mon père sera de même sentiment.
Hélas ! c’est en effet bien flatter mon courage,

D’accommoder son sens aux désirs de mon âge ;
Il voit par d’autres yeux, et veut d’autres appas.


Scène VII

Daphnis, Amarante


Amarante.

Je vous l’avais bien dit qu’elle n’y serait pas.

Daphnis.

Que vous avez tardé pour ne trouver personne !

Amarante.

Ce reproche vraiment ne peut qu’il ne m’étonne,
Pour revenir plus vite, il eût fallu voler.

Daphnis.

Florame cependant, qui vient de s’en aller,
À la fin, malgré moi, s’est ennuyé d’attendre.

Amarante.

C’est chose toutefois que je ne puis comprendre.
Des hommes de mérite et d’esprit comme lui
N’ont jamais avec vous aucun sujet d’ennui ;
Votre âme généreuse a trop de courtoisie.

Daphnis.

Et la vôtre amoureuse un peu de jalousie.

Amarante.

De vrai, je goûtais mal de faire tant de tours,
Et perdais à regret ma part de ses discours.

Daphnis.

Aussi je me trouvais si promptement servie,
Que je me doutais bien qu’on me portait envie.
En un mot, l’aimez-vous ?

Amarante.

En un mot, l’aimez-vous ? Je l’aime aucunement,
Non pas jusqu’à troubler votre contentement ;

Mais si son entretien n’a point de quoi vous plaire,
Vous m’obligerez fort de ne m’en plus distraire.

Daphnis.

Mais au cas qu’il me plût ?

Amarante.

Mais au cas qu’il me plût ? Il faudrait vous céder.
C’est ainsi qu’avec vous je ne puis rien garder.
Au moindre feu pour moi qu’un amant fait paraître,
Par curiosité vous le voulez connaître,
Et quand il a goûté d’un si doux entretien,
Je puis dire dès lors que je ne tiens plus rien.
C’est ainsi que Théante a négligé ma flamme.
Encor tout de nouveau vous m’enlevez Florame.
Si vous continuez à rompre ainsi mes coups,
Je ne sais tantôt plus comment vivre avec vous.

Daphnis.

Sans colère, Amarante ; il semble, à vous entendre,
Qu’en même lieu que vous je voulusse prétendre ?
Allez, assurez-vous que mes contentements
Ne vous déroberont aucun de vos amants ;
Et pour vous en donner la preuve plus expresse,
Voilà votre Théante, avec qui je vous laisse.


Scène VIII

Théante, Amarante.


Théante.

Tu me vois sans Florame : un amoureux ennui
Assez étroitement m’a dérobé de lui.
Las de céder ma place à son discours frivole,

Et n’osant toutefois lui manquer de parole,
Je pratique un quart d’heure à mes affections.

Amarante.

Ma maîtresse lisait dans tes intentions.
Tu vois à ton abord comme elle a fait retraite,
De peur d’incommoder une amour si parfaite.

Théante.

Je ne la saurais croire obligeante à ce point.
Ce qui la fait partir ne se dira-t-il point ?

Amarante.

Veux-tu que je t’en parle avec toute franchise ?
C’est la mauvaise humeur où Florame l’a mise.

Théante.

Florame ?

Amarante.

Florame ? Oui. Ce causeur voulait l’entretenir ;
Mais il aura perdu le goût d’y revenir :
Elle n’a que fort peu souffert sa compagnie,
Et l’en a chassé presque avec ignominie.
De dépit cependant ses mouvements aigris
Ne veulent aujourd’hui traiter que de mépris ;
Et l’unique raison qui fait qu’elle me quitte,
C’est l’estime où te met près d’elle ton mérite :
Elle ne voudrait pas te voir mal satisfait,
Ni rompre sur-le-champ le dessein qu’elle a fait.

Théante.

J’ai regret que Florame ait reçu cette honte :
Mais enfin auprès d’elle il trouve mal son conte ?

Amarante.

Aussi c’est un discours ennuyeux que le sien :

Il parle incessamment sans dire jamais rien ;
Et n’était que pour toi je me fais ces contraintes,
Je l’envoierais bientôt porter ailleurs ses feintes.

Théante.

Et je m’assure aussi tellement en ta foi,
Que bien que tout le jour il cajole avec toi,
Mon esprit te conserve une amitié si pure,
Que sans être jaloux je le vois et l’endure.

Amarante.

Comment le serais-tu pour un si triste objet ?
Ses imperfections t’en ôtent tout sujet.
C’est à toi d’admirer qu’encor qu’un beau visage
Dedans ses entretiens à toute heure t’engage,
J’ai pour toi tant d’amour et si peu de soupçon,
Que je n’en suis jalouse en aucune façon.
C’est aimer puissamment que d’aimer de la sorte ;
Mais mon affection est bien encor plus forte.
Tu sais (et je le dis sans te mésestimer)
Que quand notre Daphnis aurait su te charmer,
Ce qu’elle est plus que toi mettrait hors d’espérance
Les fruits qui seraient dus à ta persévérance.
Plût à Dieu que le ciel te donnât assez d’heur
Pour faire naître en elle autant que j’ai d’ardeur !
Voyant ainsi la porte à ta fortune ouverte,
Je pourrais librement consentir à ma perte.


Théante.

Je te souhaite un change autant avantageux.
Plût à Dieu que le sort te fût moins outrageux,
Ou que jusqu’à ce point il t’eût favorisée,
Que Florame fût prince, et qu’il t’eût épousée !
Je prise, auprès des tiens, si peu mes intérêts,
Que bien que j’en sentisse au cœur mille regrets,
Et que de déplaisir il m’en coûtât la vie,
Je me la tiendrais lors heureusement ravie.

Amarante.

Je ne voudrais point d’heur qui vînt avec ta mort,
Et Damon que voilà n’en serait pas d’accord.

Théante.

Il a mine d’avoir quelque chose à me dire.

Amarante.

Ma présence y nuirait : adieu, je me retire.

Théante.

Arrête ; nous pourrons nous voir tout à loisir :
Rien ne le presse.


Scène IX

Théante, Damon.


Théante.

Rien ne le presse. Ami, que tu m’as fait plaisir !
J’étais fort à la gêne avec cette suivante.

Damon.

Celle qui te charmait te devient bien pesante.

Théante.

Je l’aime encor pourtant ; mais mon ambition
Ne laisse point agir mon inclination.

Ma flamme sur mon cœur en vain est la plus forte,
Tous mes désirs ne vont qu’où mon dessein les porte.
Au reste, j’ai sondé l’esprit de mon rival.

Damon.

Et connu…

Théante.

Et connu… Qu’il n’est pas pour me faire grand mal.
Amarante m’en vient d’apprendre une nouvelle
Qui ne me permet plus que j’en sois en cervelle.
Il a vu…

Damon.

Il a vu… Qui ?

Théante.

Il a vu… Qui ? Daphnis, et n’en a remporté
Que ce qu’elle devait à sa témérité.

Damon.

Comme quoi ?

Théante.

Comme quoi ? Des mépris, des rigueurs sans pareilles.

Damon.

As-tu beaucoup de foi pour de telles merveilles ?

Théante.

Celle dont je les tiens en parle assurément.

Damon.

Pour un homme si fin, on te dupe aisément.
Amarante elle-même en est mal satisfaite,
Et ne t’a rien conté que ce qu’elle souhaite :
Pour seconder Florame en ses intentions,
On l’avait écartée à des commissions.
Je viens de le trouver, tout ravi dans son âme,

D’avoir eu les moyens de déclarer sa flamme,
Et qui présume tant de ses prospérités,
Qu’il croit ses vœux reçus, puisqu’ils sont écoutés ;
Et certes son espoir n’est pas hors d’apparence ;
Après ce bon accueil et cette conférence,
Dont Daphnis elle-même a fait l’occasion,
J’en crains fort un succès à ta confusion.
Tâchons d’y donner ordre ; et, sans plus de langage
Avise en quoi tu veux employer mon courage.

Théante.

Lui disputer un bien où j’ai si peu de part,
Ce serait m’exposer pour quelqu’autre au hasard.
Le duel est fâcheux, et quoi qu’il en arrive,
De sa possession l’un et l’autre il nous prive,
Puisque de deux rivaux, l’un mort, l’autre s’enfuit,
Tandis que de sa peine un troisième a le fruit.
À croire son courage, en amour on s’abuse ;
La valeur d’ordinaire y sert moins que la ruse.

Damon.

Avant que passer outre, un peu d’attention.

Théante.

Te viens-tu d’aviser de quelque invention ?

Damon.

Oui, ta seule maxime en fonde l’entreprise.
Clarimond voit Daphnis, il l’aime, il la courtise ;
Et quoiqu’il n’en reçoive encor que des mépris,
Un moment de bonheur lui peut gagner ce prix.


Théante.

Ce rival est bien moins à redouter qu’à plaindre.

Damon.

Je veux que de sa part tu ne doives rien craindre,
N’est-ce pas le plus sûr qu’un duel hasardeux
Entre Florame et lui les en prive tous deux ?

Théante.

Crois-tu qu’avec Florame aisément on l’engage ?

Damon.

Je l’y résoudrai trop avec un peu d’ombrage.
Un amant dédaigné ne voit pas de bon œil
Ceux qui du même objet ont un plus doux accueil :
Des faveurs qu’on leur fait il forme ses offenses,
Et pour peu qu’on le pousse, il court aux violences.
Nous les verrions par là, l’un et l’autre écartés,
Laisser la place libre à tes félicités.

Théante.

Oui, mais s’il t’obligeait d’en porter la parole ?

Damon.

Tu te mets en l’esprit une crainte frivole.
Mon péril de ces lieux ne te bannira pas ;
Et moi, pour te servir je courrais au trépas.

Théante.

En même occasion dispose de ma vie,
Et sois sûr que pour toi j’aurai la même envie.

Damon.

Allons, ces compliments en retardent l’effet.

Théante.

Le ciel ne vit jamais un ami si parfait.



Fin du deuxième acte.