Coran Savary/Vie de Mahomet/JC621

Traduction par Claude-Étienne Savary Voir et modifier les données sur Wikidata.
G. Dufour (1p. 14-17).
(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6206. — Depuis la naissance de J.-C. 621. — Avant l’hégire. 13. — De Mahomet. 40.)

Le législateur de l’Arabie avait atteint sa quarantième année ; le moment qu’il avait choisi pour annoncer sa mission était venu. Il se retira, suivant sa coutume, dans la grotte du mont Hara, accompagné de quelques domestiques. La nuit qui devait le couvrir de gloire, suivant l’expression d’Abul-Feda, étant arrivée, Gabriel descendit du Ciel, et lui dit : Lis[1]. Je ne sais pas lire, répondit Mahomet.

[2] Lis, ajouta l’Ange, au nom du Dieu créateur.
Il forma l’homme en réunissant les sexes.
Lis au nom du Dieu adorable.
Il apprit à l’homme à se servir de la plume.
Il mit dans son âme le rayon de la science.

Mahomet récita ces versets, et s’avança jusqu’au milieu de la montagne[3]. Il entendit une voix céleste qui répétait ces mots : Ô Mahomet ! tu es l’apôtre de Dieu, et je suis Gabriel. Il resta en contemplation jusqu’au moment où l’ange disparut à ses yeux.

Mahomet n’avait point de confident. Il fallait qu’on le crût sur sa parole. Il s’adressa d’abord à son épouse. Sûr de son cœur, il séduisit facilement son esprit. Il lui fit le récit de sa vision, et n’oublia aucune des circonstances glorieuses qui l’accompagnaient. « Ce que vous m’apprenez, lui dit Cadige[4], me comble de joie. Cette vision est d’un heureux présage[5]. J’en jure par celui qui tient mon âme dans ses mains, vous serez l’apôtre de votre nation. » Dépositaire du secret de Mahomet, elle alla sur-le-champ le confier à Waraca, son parent. Il était versé dans les écritures, et connaissait les livres sacrés des juifs et des chrétiens. Il confirma Cadige dans son opinion, et l’assura que Mahomet serait l’apôtre des Arabes. Ce témoignage charma cette femme aimante. Elle ne put s’empêcher de le rapporter à son époux.

Elle fut la première à croire à sa mission, et à embrasser l’islamisme[6]. Mahomet ne fit point d’éclat d’abord. Il suivit pas à pas la route qu’il s’était tracée ; mais il la suivit constamment. Après la conversion de Cadige, il jeta les yeux sur Ali. C’était un des fils d’Abutaleb, son oncle. Il s’en était chargé dans un temps où la famine désolait le territoire de la Mecque. Depuis ce moment il l’élevait dans sa maison avec des soins paternels. Ayant reconnu dans son élève, un caractère impétueux, une imagination ardente, il fortifiait ses dispositions naturelles, et le rendait digne d’être le rival de ses exploits guerriers. La séduction d’un cœur où il régnait par ses bienfaits ne fut pas pénible. Ali crut à la seule parole de Mahomet, et jura de sceller de son sang sa croyance. Il n’avait alors, suivant la commune opinion, qu’onze ans[7].

Mahomet ne voulait point laisser d’incrédule dans l’intérieur de sa maison. Zaïd, fils d’Elharet, son esclave, annonçait des talens. Il se l’attacha par le lien puissant de la religion. Zaïd reconnut avec joie la mission d’un maître de qui il attendait la liberté. Il embrassa l’islamisme, et il fut affranchi.

Abubecr, citoyen puissant de la Mecque, renommé pour sa probité et ses richesses, lui parut propre à donner du poids à sa nouvelle religion. Il entreprit sa conversion. Le succès couronna ses efforts. Abubecr[8] devint zélé musulman. Ce fut une conquête. Il porta parmi ses amis l’ardeur dont il était embrasé, et en subjugua plusieurs. Il amena aux pieds du prophète Otman, fils d’Afan, Aberrohman, fils d’Hauf ; Saad, fils d’Abu-wacas[9] ; Zobaïr, fils d’Elawam ; et Telha, fils d’Abid-allah. Tous crurent et firent profession de l’islamisme. Tels furent les premiers prosélytes de la religion mahométane. Plusieurs autres suivirent leur exemple. Mahomet eut la joie de voir se ranger sous ses drapeaux, Abu-obeïda ; Saïd, fils de Zeid ; Abdallah, fils de Macoud ; et Amer, fils d’Iaser. Jusque-là le nombre de ses disciples n’était pas considérable ; mais leur naissance, leurs richesses, et les talens de plusieurs d’entr’eux, firent naître dans son cœur de flatteuses espérances. Trop faible pour paraître au grand jour, il résolut de ne se manifester qu’aux croyans. Il s’occupa à les instruire, et à les affermir dans leur foi. Pendant trois ans encore, il couvrit des ombres du mystère, et sa doctrine, et ses vastes desseins. Lorsqu’il crut pouvoir compter sur l’obéissance aveugle des nouveaux convertis, il annonça une nouvelle révélation. Gabriel lui apparut, et lui commanda de prêcher ses proches, et de les exhorter à se faire musulmans. Il appelle Ali, et lui dit : « Prépare-nous un festin. Apprête un agneau rôti. Fais remplir un grand vase de lait. Invite les enfans d’Abdel-elmotalleb. Il est temps que je leur déclare les volontés du ciel. »

  1. Abul-Feda, page 14. Elmacin.
  2. Le Coran, chap. 96, versets premier et suivant.
  3. Abul-Feda, pages 15 et 16.
  4. Le docteur Prideaux, page 13, ne veut pas que Mahomet, l’idole et la gloire de Cadige, ait pu abuser de sa crédulité. Il fait intervenir son moine Bahira, et cet agent inconnu à tous les auteurs contemporains, est employé pour triompher de la résistance d’une femme. C’est Mahomet lui-même qui le charge du soin de séduire son épouse. Quand le silence de l’antiquité ne détruirait pas cette opinion ridicule, le docteur Prideaux eût dû balancer à l’écrire ; elle est trop contraire aux mœurs des Orientaux.
  5. Ahmedben Joseph, Hist. part. prem. chap. 9.
  6. Le mot islamisme vient du verbe eslam. Il ne veut pas dire, comme l’a prétendu le docteur Prideaux, page 28, la religion qui sauve, mais il signifie consécration à Dieu.
  7. L’auteur du livre Elscirat.
  8. Abubecr se nommait Abd el Caaba (serviteur de la Caaba). Il changea ce nom en celui d’Abdallah (serviteur de Dieu). Ayant ensuite donné sa fille Aïesha en mariage au prophète, il prit par honneur le nom d’Abubecr (le père de la Vierge), qu’il porta depuis. Elkoda.
  9. Abul-Feda, page 18.