Conversations des gens du monde/La Promotion

Conversations des gens du monde dans tous les tems de l’annéeImprimerie PolytypeTome I (p. 81-151).


LA
PROMOTION.


SECONDE JOURNÉE.

PERSONNAGES.

Séparateur


LA BARONNE.
LE COMTE DE NORTVAL.
LA COMTESSE DE NORTVAL.
LA MARQUISE D’AREMPIERRE.
LE VICOMTE D’AREMPIERRE.
Mlle . DE NORTVAL.
LE BARON DE SAINT-LEU.
LE CHEVALIER DE VIGNIERES.
Mlle . MOREL, gouvernante de Mlle . de Nortval.
JULIE, Femme-de-Chambre de la Comtesse.
DURAND, Valet-de-Chambre de la Comtesse.


La scène est chez la Comtesse de Nortval, dans le sallon

Scène première.

LE COMTE, LA COMTESSE.
La Comtesse.

Ah ! dites-moi donc, où allez-vous à présent ?

Le Comte.

Je vais chez la Marquise d’Arempierre, pour lui faire compliment, sur ce que son fils est colonel.

La Comtesse.

Cela est fort bien fait ; mais, vous ne la trouverez sûrement pas.

Le Comte.

Quoiqu’elle vous ait mandé qu’elle n’étoit arrivée que ce matin de Versailles, je m’attends bien qu’elle sera sortie ; car elle est toujours en l’air.

La Comtesse.

Il est vrai que si son Fils ne réussit pas, ce ne sera pas sa faute.

Le Comte.

A elle ; car pour lui, je crois, comme je vous l’ai dit, que ce sera toujours un mince sujet…

La Comtesse.

Il ne faut désespérer de rien, il est bien jeune ; on juge quelquefois les jeunes gens avec trop de précipitation.

Le Comte.

Je desire fort de me tromper.

La Comtesse.

Il a un grand nom ; avec cela une mère, qui ne perdra pas une occasion d’obtenir tout ce qui lui conviendra, & notre Fille sera très-bien mariée.

Le Comte.

Selon l’usage, au moins.

La Comtesse.

Ayant une place à la Cour, ce sera un grand avantage pour ses enfans ; & puis de belles alliances ; il me semble que tout s’y trouve.

Le Comte.

Pourvu que son mari se conduise bien ; mais….

La Comtesse.

Vous verrez que le mariage….

Le Comte.

Lui donnera beaucoup plus d’argent à dépenser.

La Comtesse.

Vous voyez un peu trop en noir, aussi, Comte.

Le Comte.

Je suis effrayé par les exemples.

La Comtesse.

Qu’aurions-nous pu faire de mieux ?

Le Comte.

Vous croyez qu’avec ce que nous donnons à-présent, & les espérances, nous n’aurions pu trouver un meilleur parti ?

La Comtesse.

La mère du Vicomte, peut en faire tout ce qu’elle voudra ; la protection & l’intrigue, font toujours plus que le mérite.

Le Comte.

J’en suis bien convaincu ; ainsi vous comptez que nous faisons une bonne affaire, & qu’il faut bannir toutes les réflexions. Je souhaite que nous n’ayons rien à nous reprocher.

La Comtesse.

Eh bien ! vous ne m’avez pas encore parlé de la promotion ?

Le Comte.

Que voulez-vous que je vous en dise ? Voulez-vous que je me plaigne de ce qu’on s’est arrêté à moi pour ne plus faire de Lieutenans-Généraux ? Il faudra bien qu’on en fasse encore un jour ; quoique je n’aille pas à la Cour, je ne saurois croire qu’on me passera sur le corps en faisant mes cadets ; ainsi, un peu plus tôt, un peu plus tard, j’ai pris mon parti.

La Comtesse.

Vous avez le droit de vous plaindre.

Le Comte.

J’irai à Versailles, quand le Roi signera le contrat de ma fille ; & pour lors je me joindrai à tous ceux de ma promotion qui se plaindront au Ministre.

La Comtesse.

Cela ne fera pas grand’chose.

Le Comte.

C’est à quoi je m’attends ; voilà pourquoi je n’irai pas à Versailles, par le tems qu’il fait, pour n’en rapporter qu’un rhume.

La Comtesse.

C’est ce qui pourroit fort bien vous arriver. Il faudra pourtant savoir quel sera l’avis de la Marquise là-dessus.

Le Comte.

Ah ! savez-vous ce que le Ministre me dira, quand je lui représenterai, que je ne crois pas avoir démérité auprès du Roi ?

La Comtesse.

Voyons ?

Le Comte.

Monsieur, il vous a prouvé aussi qu’il étoit content de vos services ; puisqu’il y a deux ans il vous a accordé le Gouvernement que vous avez.

La Comtesse.

Oui, & que vous n’auriez pas eu sans la vigilance, le crédit & les soins de la Marquise.

Le Comte.

Je crois bien qu’elle prévoyoit dès-lors, que par ce moyen, vous ne pourriez pas refuser de donner votre Fille à son Fils.

La Comtesse.

Elle ne savoit pas qu’elle seroit un si bon parti.

Le Comte.

Elle savoit que votre Oncle, qui lui destinoit son bien, ne vivroit pas long-tems. Je vous réponds que c’est une femme adroite.

La Comtesse.

Eh bien ! tant mieux pour nous.

Le Comte.

Je le souhaite. Allons, allons, je m’en vais toujours.

La Comtesse.

Vous reviendrez de bonne heure ?

Le Comte.

Oui, oui.


Scène II.

LE COMTE, LA COMTESSE, LE BARON, DURAND.
Durand.

Monsieur le Baron de Saint-Leu.

Le Comte.

Il va me retenir.

Le Baron.

Ah ! Comte, on m’avoit dit que tu n’y étois pas.

Le Comte.

C’est que je vais sortir.

Le Baron.

Madame la Comtesse, j’ai bien l’honneur de vous souhaiter le bonjour ; remettez-vous donc. Tu venois chez moi, sans doute ?

Le Comte.

Non, j’allois……

Le Baron.

A Versailles ? Il ne faut pas y aller seul. La première chose qu’il faut faire, c’est de nous assembler, tout ce que nous sommes de Maréchaux-de-Camp de la promotion où l’on s’est arrêté, & comme c’est précisément à toi que cette nouvelle promotion a fini, je crois que tu dois en être encore plus piqué que nous.

Le Comte.

Mais, comme cela.

Le Baron.

Que dis-tu donc ?

La Comtesse.

En vérité, Baron, je ne vois pas que cela soit d’une si grande conséquence, pour faire beaucoup de bruit.

Le Baron.

Comment donc, madame, voulez-vous que la première fois qu’on fera des Lieutenans-Généraux on nous oublie, & qu’on nous fasse passer nos cadets sur le corps ?

La Comtesse.

Être Lieutenant-Général, au lieu de Maréchal-de-Camp, cela peut faire quelque chose en Province ; mais à Paris, sait-on ce que sont les hommes ? Il n’y a que dans le tems de la promotion qu’on parle de leurs grades ; ainsi tout cela est égal.

Le Baron.

Avec vous, Mesdames ; mais entre nous autres Militaires, cela est fort différent.

La Comtesse.

Quand on n’a plus de Régiment ; moi, je trouve que l’on n’est plus rien.

Le Baron.

Oui, en tems de paix ; mais que la guerre se déclare, alors la différence est grande entre un Lieutenant-Général & un Maréchal-de-Camp. Ce colonel que vous trouvez qui est seul quelque chose, en tems de paix, se trouve bientôt à leurs ordres.

La Comtesse.

Oui ; mais il faut pour cela, que ces Officiers Généraux soient employés.

Le Baron.

Sans doute.

La Comtesse.

Et où est le malheur de ne pas l’être ? Est-il bien agréable de se ruiner sans objet ?

Le Baron.

Sans objet, Madame ! On fait son métier, & cela mène….

La Comtesse.

A quoi ?

Le Baron.

A être Maréchal de France, & à commander les Armées.

La Comtesse.

Premièrement, on est rarement Maréchal de France, & pour commander les Armées, il n’y en a qu’un ou deux sur toute la Noblesse Françoise ; ainsi, si vous en croyez mon conseil, tous les deux, vous vous tiendrez tranquilles.

Le Baron.

Comment, Madame, vous ne voulez pas que nous nous plaignions ?

La Comtesse.

A quoi cela servira-t’il ?

Le Baron.

A montrer au moins la volonté de servir, le desir de se voir avancé & de n’être pas privé des graces & des distinctions que nous méritons autant que ceux qui nous précédent.

La Comtesse.

Je ne vois pas un grand inconvénient à tout cela, ni un grand avantage à retirer de vos plaintes.

Le Baron.

Et quand ce ne seroit que pour le monde, devons-nous nous taire ?

La Comtesse.

Le Ministre s’attend à tout ce que vous lui direz ; il seroit bien plus surpris si vous vous teniez tranquilles.

Le Baron.

D’ailleurs, il pourra y avoir une addition à la promotion ; il faut toujours aller à Versailles. Allons, Comte, viens chez le Commandeur.

Le Comte.

Je le veux bien.

La Comtesse.

Vous n’irez donc pas chez la Marquise ?

Le Comte.

J’irai après.

La Comtesse.

Comme vous voudrez.

Le Baron.

Madame la Comtesse, on ne peut encore vous parler de rien ?

La Comtesse.

Non, nous ne recevons pas les complimens d’ici à quelques jours.

Le Baron.

Je viendrai vous demander à dîner, & vous me conterez tout cela.

La Comtesse.

Oui, oui.


Scène III.

LA COMTESSE, JULIE.
Julie.

Madame, Mademoiselle est arrivée.

La Comtesse.

Il falloit donc venir me le dire ; nous n’avons pas de tems à perdre.

Julie.

J’ai voulu attendre que monsieur le Baron fut parti.

La Comtesse.

Vous avez bien fait ; allons, faites-la venir.

Julie.

Elle est -dedans, Madame.

La Comtesse.

Entrez, entrez, ma Fille.


Scène IV.

LA COMTESSE, Mlle . DE NORTVAL, Mlle . MOREL, JULIE.
Mlle . de Nortval, embrassant la Comtesse.

Bon jour ma chère Maman.

La Comtesse.

Bon jour, bon jour, mon enfant. Bon jour Mademoiselle Morel. Elle est bien jaune, aujourd’hui, ma Fille ; ne le trouvez-vous pas ?

Mlle . Morel.

Cela n’est pas étonnant, Madame ; il y a trois jours que Mademoiselle pleure, quelque chose que j’aie pu lui dire.

La Comtesse.

Et de quoi pouvez-vous pleurer comme cela ?

Mlle . de Nortval.

Maman ; c’est que…

Mlle . Morel.

Madame, c’est le chagrin de quitter toutes ces Demoiselles du Couvent ; cela fait honneur au cœur de Mademoiselle.

La Comtesse.

Elle devoit, au contraire, être bien aise de penser qu’elle alloit me voir à présent très-souvent

Mlle . Morel.

C’est ce que je disois à Mademoiselle, pour la consoler.

La Comtesse.

Allons, embrassez-moi, & ne pensez plus à tout cela.

Mlle . Morel.

Il y a encore une chose qui doit faire grand plaisir à Mademoiselle, comme je lui disois.

La Comtesse.

Qu’est-ce que c’est, Mademoiselle Morel ?

Mlle . Morel.

C’est d’avoir un mari, comme Monsieur le Vicomte ; parce qu’une de ses compagnes lui a dit qu’elle le connoissoit beaucoup.

La Comtesse.

Qu’est-ce que c’est que cette compagne ?

Mlle . de Nortval.

Maman ; c’est Mademoiselle d’Orvalois.

La Comtesse.

Ah ! oui.

Mlle . Morel.

C’est sa cousine, Madame.

La Comtesse.

Et, qu’est-ce qu’elle en a dit, Mademoiselle Morel ?

Mlle . Morel.

Ah ! Madame ! que c’étoit un jeune homme très-bien élevé ; & moi, qui l’ai vu quand il étoit petit, j’ai bien assuré Mademoiselle qu’il l’aimeroit infiniment, & qu’elle seroit très-heureuse avec lui.

La Comtesse.

Allons, cela est fort bien ; mais comme il la verra ce soir, il faut songer à la faire coëffer.

Mlle . de Nortval.

Je le verrai ce soir, Maman ?

La Comtesse.

Oui, il soupera ici. Eh bien, cela vous attriste ?

Mlle . de Nortval.

C’est que je n’oserai jamais le regarder.

La Comtesse.

Vous ne lui parlerez pas ; mais vous pourrez l’examiner.

Mlle . de Nortval.

Il ne me dira donc rien ?

La Comtesse.

Non.

Mlle . de Nortval.

Et je l’épouserai ?

La Comtesse.

Oui.

Mlle . de Nortval.

Je ne comprends pas…

La Comtesse.

Mademoiselle Morel ; elle me paroît bien petite aujourd’hui, ma fille.

Mlle . Morel.

Madame, c’est que Mademoiselle n’a pas encore de talons.

La Comtesse.

Ah ! oui, cela est vrai. Allons, allez-vous-en vous coëffer, & que personne n’entre à sa toilette que Léonard ; entendez-vous, Mesdemoiselles ?

Mlle . Morel.

Oui, Madame.

La Comtesse.

Oui, embrassez-moi & songez à ne plus pleurer.

Mlle . de Nortval.

Oui, Maman.

La Comtesse.

Et la voilà qui pleure !

Mlle . Morel.

Il faut que Madame lui pardonne ; c’est pour la dernière fois.


Scène V.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, DURAND.
Durand.

Madame la marquise d’Arempierre, Monsieur le Vicomte d’Arempierre.

La Marquise.

Eh bien ! Madame, je suis revenue ce matin, comme je vous l’ai mandé.

La Comtesse.

Après avoir fait une bonne affaire.

La Marquise.

Et voilà mon Fils, qui a voulu absolument venir recevoir votre compliment, sur ce qu’il est Colonel.

La Comtesse.

Il faut que je l’embrasse.

La Marquise.

Vous lui faites bien de l’honneur.

La Comtesse.

Êtes-vous bien aise, Monsieur le Vicomte, d’avoir un Régiment, à votre âge ?

Le Vicomte.

Assurément, Madame.

La Marquise.

Ce qu’il y a d’heureux, c’est que c’est précisément un Régiment qu’il connoît beaucoup.

La Comtesse.

Cela est fort agréable !

Le Vicomte.

Oui, Madame ; il étoit en garnison à Valenciennes, en même-tems que le régiment où j’étois Capitaine.

La Comtesse.

Cela fait qu’on sait un peu à qui l’on a affaire.

Le Vicomte.

Aussi, je crois que j’y ferai beaucoup de changemens.

La Comtesse.

Croyez-vous réussir, par-là, au Régiment ?

Le Vicomte.

Madame, un Colonel est le maître ; tout ce qui compose le Corps est à ses ordres.

La Comtesse.

Mais…

Le Vicomte.

Quand c’est pour le bien du service, quand c’est pour mieux faire !

La Comtesse.

Vous savez donc… ?

La Marquise.

Oh ! il est très-instruit ! Vous sentez bien que je me suis occupée de savoir ce qu’en pensoient son Colonel & les Officiers Généraux qui ont été à Valenciennes ; &, je puis vous le répéter, quoiqu’il soit là, ils m’en ont dit tous les biens du monde.

La Comtesse.

Je n’en suis pas surprise.

Le Vicomte.

Et puis, Madame, ce n’est pas une chose difficile de commander un Régiment.

La Comtesse.

Quand on a de l’expérience.

Le Vicomte.

Lorsqu’on a été Capitaine, & qu’on a su un peu voir, on en sait autant qu’il en faut.

La Comtesse.

Il paroît que, jusqu’à présent, vous avez été fort appliqué à votre métier.

La Marquise.

Cela est vrai.

Le Vicomte.

Madame, j’ai un cabinet d’armes où j’ai formé une collection de tous les sabres que l’on a imaginés dans tous les tems, & dans tous les pays.

La Comtesse.

Cela doit être fort curieux.

Le Vicomte.

J’ai ici une épée, qui a été faite avec un damas que j’ai fait refendre en quatre ; cela fait une lame turque admirable. Je vais vous la faire voir. (Il tire son épée.)

La Comtesse.

Ah ! Monsieur le Vicomte, finissez donc.

La Marquise.

Mais, mon Fils, est-ce que l’on tire comme cela son épée chez une Femme ?

Le Vicomte.

C’étoit pour montrer à Madame.

La Marquise.

Mais, fi donc ! Il est un peu jeune votre gendre, Madame.


Scène VI.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, DURAND.
Durand.

Monsieur le Chevalier de Vignières.

La Marquise.

Je ne le connois pas.

Le Vicomte.

C’est un de mes amis, Madame ; il aura été chez moi, & on lui aura dit que j’étois ici.

Le Chevalier.

Madame, Monsieur le Vicomte m’a assuré que vous ne trouveriez pas mauvais qu’il me procurât l’honneur de vous être présenté.

Le Vicomte.

Oui, Madame ; j’ai cru que vous seriez bien aise de connaître Monsieur le Chevalier.

La Comtesse.

Monsieur, c’est bien de l’honneur…

La Marquise.

Mais, mon Fils, il falloit au moins demander la permission à Madame la Comtesse.

Le Vicomte.

C’est aussi ce que je voulois faire ; mais je l’ai oublié.

La Comtesse.

Monsieur le Chevalier, voulez-vous bien vous asseoir ?

Le Chevalier.

Madame, je suis très-bien.

La Comtesse.

Madame la Marquise, voulez-vous passer là-dedans ? J’ai beaucoup de choses à vous montrer.

La Marquise.

Volontiers.

La Comtesse.

Passez donc.

La Marquise.

Mon Fils ?

Le Vicomte.

Maman ?

La Marquise.

Ne vous en allez pas que je ne sois rentrée.

Le Vicomte.

Pourvu que vous ne soyez pas long-tems ; car j’ai bien affaire.

La Comtesse.

Messieurs, vous permettez ? Nous reviendrons à l’instant.


Scène VII.

LE VICOMTE, LE CHEVALIER.
Le Chevalier.

C’est donc là la belle-mère ?

Le Vicomte.

C’est elle-même.

Le Chevalier.

Elle est encore jeune. Et le Comte ?

Le Vicomte.

Il est sorti, je crois.

Le Chevalier.

Oui ; mais je dis, c’est à lui qu’on a arrêté la promotion des Lieutenans-Généraux, n’est-ce pas ?

Le Vicomte.

Oui ; on me l’a dit.

Le Chevalier.

Quel homme est-ce ? un homme de qualité ?

Le Vicomte.

Oui ; mais de qualité de Province ; c’est-à-dire, cependant, fort bon.

Le Chevalier.

Et la mère est……

Le Vicomte.

Une fille de qualité ; mais originairement de robe pourtant.

Le Chevalier.

Cela n’empêchera pas que ta femme n’ait une place à la Cour ?

Le Vicomte.

Non, sûrement.

Le Chevalier.

Tu auras des parens dans la Robe ?

Le Vicomte.

Peut-être bien, je ne sais pas trop ; mais moi, je n’aurai que faire à eux.

Le Chevalier.

Ah ! pour hériter ?

Le Vicomte.

Pour hériter, tant qu’ils voudront.

Le Chevalier.

Oui ; mais il faudra porter les deuils.

Le Vicomte.

Cela sera embarrassant ; parce que je ne me souviendrai jamais des noms.

Le Chevalier.

Tu te les feras donner par écrit.

Le Vicomte.

Oui, oui ; c’est une excellente idée ! Cela sera très-plaisant !

Le Chevalier.

Et ta femme, est-elle jolie ?

Le Vicomte.

Ma foi, je n’en sais rien ; j’ai oublié de le demander.

Le Chevalier.

Réellement ?

Le Vicomte.

Oui ; que veux-tu ? Cela n’est pas intéressant ; c’est ma mère qui connoît ces gens-ci, depuis deux ans, & qui a arrangé tout cela.

Le Chevalier.

Il est vrai qu’une jeune femme qu’on épouse…

Le Vicomte.

Ce n’est jamais qu’une affaire d’argent ; je la verrai pourtant ce soir.

Le Chevalier.

Qu’est-ce que tu lui diras ?

Le Vicomte.

Ma foi, rien.

Le Chevalier.

Oui ; on n’est pas obligé de leur parler, dans cette occasion.

Le Vicomte.

C’est ce qu’on m’a dit. Il n’y a que les mères, qui se parlent sans cesse, & qui ont toujours quelque chose à se dire.

Le Chevalier.

Et les Femmes-de-Chambre, donc ?

Le Vicomte.

S’en mêlent-elles aussi ?

Le Chevalier.

Ah ! si tu avois vu, quand ma sœur a épousé le Marquis ; elles étoient comme des folles, elles rioient, elles pleuroient, & elles disoient plus de bêtises ! Ah ! comme Monsieur le Marquis aimera bien Madame ! Ah ! comme…… !

Le Vicomte.

Et, il n’y pensoit seulement pas, lui ?

Le Chevalier.

Il étoit comme toi ; nous en avons bien ri ensemble.

Le Vicomte.

N’avoit-il pas Zéphirine, dans ce tems-là ?

Le Chevalier.

Il l’a bien encore ; nous y soupons tous les jours ensemble, & tu y es venu souper avec nous.

Le Vicomte.

Il avoit dit qu’il la quitteroit en se mariant.

Le Chevalier.

Il auroit bien fait.

Le Vicomte.

Peut-être.

Le Chevalier.

Je crois qu’il faut s’amuser ; mais ne pas se ruiner. Les mauvaises affaires inquiètent les parens, on a de la peine à les voir, on s’en éloigne, on se brouille avec eux, & l’on est bientôt sans ressource. Si on veut revenir dans sa maison, on est réduit à manger un poulet tout seul dans sa chambre ; & pour se débarrasser des créanciers, on fait dire au Suisse de leur refuser la porte ; tout cela est odieux !

Le Vicomte.

Cela n’arrive guères, que quand on n’est pas fort riche.

Le Chevalier.

Dis plutôt que, quand on n’a pas d’ordre, comme mon beau-frère ; voilà où il en est, à vingt-quatre ans.

Le Vicomte.

Oh ! j’aurai de l’ordre, moi ; je ne serai pas comme le Marquis.

Le Chevalier.

Je te le conseille.

Le Vicomte.

Premièrement, je ne veux pas avoir d’intendant, il n’y a rien de si ruineux. Ces coquins-là, quelque fortune que vous ayez, disent toujours qu’ils n’ont pas le sou.

Le Chevalier.

Comment feras-tu ?

Le Vicomte.

J’ai un Valet-de-Chambre, qui écrit fort bien, qui recevra mes revenus, & qui ne pourra pas me refuser mon argent, quand je lui en demanderai.

Le Chevalier.

Il est donc entendu, Henry ?

Le Vicomte.

Et il a beaucoup de goût. Il me fait meubler actuellement une petite maison, pour Amélie, qui sera charmante !

Le Chevalier.

Tu quittes donc Camille ?

Le Vicomte.

Il le faut bien, à cause du mariage.

Le Chevalier.

C’est très-bien pensé ; mais, à ta place, je ne prendrois pas l’autre.

Le Vicomte.

Il est vrai ; mais c’est une fantaisie ; je vais être riche, il faut bien que je me satisfasse.

Le Chevalier.

Elle n’a pas d’esprit, Amélie.

Le Vicomte.

Elle est bête à manger du foin ; elle dit des choses impayables ! Elle ne sait ni la valeur des mots ni la valeur des choses ; mais elle rit toujours : je la trouve très-amusante.

Le Chevalier.

Elle n’est pas trop jolie.

Le Vicomte.

Elle est un peu brune ; mais elle est fort piquante ; & puis tout le monde l’a eue, il faut bien que j’aie mon tour.

Le Chevalier.

Oh ! cela est indispensable.

Le Vicomte.

Parbleu, elles sont bien long-tems !

Le Chevalier.

As-tu acheté des voitures, des chevaux ?

Le Vicomte.

Oui, & tout cela est fort beau.

Le Chevalier.

Et fort chèr ?

Le Vicomte.

Assez. Mais une superbe acquisition, ce sont deux chevaux de selle superbes !

Le Chevalier.

Ah ! je les connois ; ils ne seront pas bons pour le Régiment ?

Le Vicomte.

Non ; ce sont des chevaux de promenade, pour le Bois de Boulogne ; ils resteront à Paris.

Le Chevalier.

A la bonne-heure. Souperas-tu, aujourd’hui chez Camille ?

Le Vicomte.

Non, ma mère veut que je soupe ici ; mais après le souper, j’irai vous retrouver, & de-là j’irai chez Amélie.

Le Chevalier.

N’a-t’elle pas un Anglois, à présent ?

Le Vicomte.

Oui, c’est en attendant ; c’est une passade.

Le Chevalier.

Ah ! fort bien !

Le Vicomte.

Enfin, voilà ces Dames !


Scène VIII.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER.
La Marquise.

Je vous assure, Madame, que tout cela sera très-bien.

La Comtesse.

Je suis fort aise que vous en soyez contente.

La Marquise.

Ah ! ça, mon fils, il faut que vous veniez avec moi, chez votre tante.

Le Vicomte.

Mais, en vérité, Maman, je ne le peux pas.

La Marquise.

Pourquoi donc ?

Le Vicomte.

J’ai affaire avec le Chevalier, à l’Opéra.

La Marquise.

Est-ce qu’on fait là des affaires ?

Le Vicomte.

Sûrement ; le Major du Régiment y sera, je lui ai donné rendez-vous.

La Marquise.

C’est que vous ne verrez pas votre tante, chez elle, ce soir.

Le Vicomte.

Cela me sera bien difficile ; mais j’enverrai m’y faire écrire.

La Marquise.

Oui ; ce sera comme si elle vous y avoit vu : Elle meurt d’envie de vous embrasser, depuis qu’elle sait que vous êtes Colonel.

Le Vicomte.

Elle est bien bonne ; mais….

La Comtesse.

Madame la Marquise, elle le verra ici.

La Marquise.

Ce soir ?

La Comtesse.

Sans doute.

La Marquise.

Vous l’avez priée ?

La Comtesse.

Croyez-vous donc que j’aurois pu l’oublier ?

La Marquise.

Oh ! non ; je sais trop combien vous êtes attentive.

La Comtesse.

Pouvez-vous bien me faire des complimens comme cela, à moi ?

La Marquise.

Eh bien, mon fils, allez-vous-en donc ; mais revenez de bonne-heure.

Le Vicomte.

Oui, oui.

La Comtesse.

Faites, faites vos affaires, avant tout.

La Marquise.

Vous voulez donc le gâter ?

La Comtesse.

Adieu, Monsieur le Chevalier.

Le Chevalier.

Madame, voulez-vous bien ne pas prendre garde à moi.

La Comtesse.

Cela est impossible.

Le Chevalier.

Je vous en supplie.

La Comtesse.

Je vous laisse aller.


Scène IX.

LA MARQUISE, LA COMTESSE.
La Comtesse.

Il est fort bien, le Chevalier.

La Marquise.

C’est le grand ami de mon Fils.

La Comtesse.

Il a l’air assez sensé.

La Marquise.

Il a pourtant déjà fait bien des folies ; mais il est encore fort jeune.

La Comtesse.

A-t’il un Régiment ?

La Marquise.

Non, pas encore ; il étoit trop difficile cette fois-ci.

La Comtesse.

Non pas pour vous ; mais, comment avez-vous fait avec les vingt-deux ans du Vicomte ?

La Marquise.

Il avoit un frère aîné, plus âgé que lui d’un an, qui se nommoit de même, &…

La Comtesse.

J’entends.

La Marquise.

C’est une supercherie bien innocente.

La Comtesse.

Sûrement.

La Marquise.

Eh bien, si le père du Vicomte avoit vécu, il ne l’auroit jamais permise.

La Comtesse.

Vous le croyez ?

La Marquise.

J’en suis sûre ; il étoit comme cela, il voyoit de l’honneur à tout. A propos…

La Comtesse.

Quoi donc ?

La Marquise.

Il faut que je vous fasse ma confession.

La Comtesse.

Comment, que voulez-vous dire ?

La Marquise.

C’est que j’ai fait une chose affreuse !

La Comtesse.

Je ne vous comprends pas.

La Marquise.

J’espère pourtant, quand vous saurez mes raisons, que vous m’approuverez ; c’est pour le mieux.

La Comtesse.

Dites ce que c’est.

La Marquise.

Je dois vous paroître un monstre.

La Comtesse.

Quelle plaisanterie !

La Marquise.

Devinez ce qui a empêché le Comte d’être Lieutenant-Général ?

La Comtesse.

Je ne devine jamais rien.

La Marquise.

Eh bien, c’est moi qui ai fait arrêter, à lui, la promotion.

La Comtesse.

Je ne saurois le croire.

La Marquise.

C’est-à-dire, que je suis parvenue à y faire comprendre celui qui le précède, dont je ne me soucie point du tout.

La Comtesse.

Et, pourquoi n’y pas faire comprendre le Comte ?

La Marquise.

Parce que je ne le voulois pas. Ecoutez-moi bien : dans tous les cas, j’ai voulu assurer le sort de mon Fils.

La Comtesse.

Et, qu’est-ce que cela peut produire d’avantageux pour lui ?

La Marquise.

Vous allez le voir. Le Comte aura un juste sujet de se plaindre, de n’avoir pas été compris dans la promotion ; & par-là, il se trouve dans le cas d’obtenir une autre grace.

La Comtesse.

Et, quelle grace ?

La Marquise.

La voici. En demandant au Roi son agrément pour notre mariage, nous lui demanderons d’assurer le douaire de votre Fille, mais d’une manière à en être refusé.

La Comtesse.

Vous ne serez pas fort avancée.

La Marquise.

Pardonnez-moi, deux sujets de plainte donnent plus de droits pour obtenir ce que l’on desire.

La Comtesse.

Et, que desirez-vous ?

La Marquise.

Que le Roi assure, à mon Fils, la survivance du gouvernement du Comte, & par conséquent l’espoir de vingt mille livres de rente.

La Comtesse.

Ah ! cela est imaginé à merveille !

La Marquise.

Mais, il faut que le Comte jette les hauts cris, sur l’injustice qu’on lui a faite ; dans le premier moment on ne l’écoutera pas, & notre survivance obtenue, on refera une petite promotion, où le Comte sera compris, qui contentera tout le monde. Ne lui parlez pas de tout ceci, les hommes n’entendent rien aux affaires ; ils ont une probité gauche, qui leur fait manquer les choses les plus faciles.

La Comtesse.

Tout le monde n’a pas vos moyens.

La Marquise.

Il faut toujours demander, obtenir & se plaindre.

La Comtesse.

Après avoir obtenu ?

La Marquise.

Sans doute : il n’y a que ceux qui savent se plaindre qui obtiennent. Quand on remercie, il faut se faire promettre encore ; on ne donne qu’à ceux à qui on a déjà donné ; c’est l’usage ; cela a été de tout tems.

La Comtesse.

Vous le croyez ?

La Marquise.

Sûrement. Ne voyez-vous pas qu’il n’y a qu’une sorte de gens qui obtiennent tout, ordinairement ?

La Comtesse.

Cela est vrai.

La Marquise.

Eh bien, c’est qu’ils font ce que je viens de vous dire.

La Comtesse.

En vérité, Madame, je suis dans la plus grande admiration, de toutes les ressources que vous avez dans l’esprit, pour parvenir à vos fins !

La Marquise.

Jugez, tout ce que je saurai faire pour nos enfans.

La Comtesse.

Quelle imagination il faut que vous ayez !

La Marquise.

Si vous saviez tous les ressorts que j’ai employé, pour obtenir le domaine que le Roi m’a donné, vous m’admireriez bien davantage ; je vous conterai tout cela un jour.

La Comtesse.

Je vois que rien ne peut ni vous embarrasser ni vous arrêter.

La Marquise.

Si vous saviez combien tout cela est facile ; il n’y a qu’à bien vouloir, & ne jamais se piquer, ni se rebuter.

La Comtesse.

Oui ; mais il faut avoir votre tête.

La Marquise.

Adieu, ma chère Comtesse… Embrassez-moi donc.

La Comtesse.

De tout mon cœur.

La Marquise.

Je cours chez ma sœur, qui sûrement s’impatiente beaucoup. Allons, laissez-moi donc aller.

La Comtesse.

Eh bien, je ne veux pas vous tourmenter, je vous laisse.

La Marquise.

Adieu, Comte ; je ne vous dis rien : nous nous verrons ce soir.


Scène X.

LA COMTESSE, LE COMTE.
La Comtesse.

Ah, mon Dieu ! que cette femme-là a d’esprit !

Le Comte.

Oui, & un joli esprit !

La Comtesse.

Un esprit, à gouverner un Empire !

Le Comte.

Un esprit noir, méchant, trigaud…

La Comtesse.

Allons, vous ne la connoissez pas.

Le Comte.

Je voudrois, pour la moitié de mon bien, ne l’avoir jamais connue ; mais nous n’avons pas signé le contrat, ce mariage n’est pas fait.

La Comtesse.

Que dites-vous donc, Monsieur ? est-ce que vous auriez seulement la pensée de le rompre ?

Le Comte.

Je voudrois bien qu’il me fût possible !

La Comtesse.

Et, pourquoi cela ?

Le Comte.

Pour bien des raisons, & je vais vous les dire toutes.

La Comtesse.

Calmez-vous, avant.

Le Comte.

Je suis trop en colère. Ecoutez-moi. Je ne me souciois pas absolument d’être Lieutenant-Général ; mais à présent que je sais qui l’a empêché…

La Comtesse.

Eh bien ?

Le Comte.

Le croiriez-vous, Madame ? Nous sommes trahis par cette femme, dont le fils va épouser notre fille.

La Comtesse.

Qui vous a dit cela ?

Le Comte.

Des Gens bien instruits.

La Comtesse.

Croyez-vous que la Marquise ait ce pouvoir-là ? est-il vraisemblable ! Je vous réponds que vous serez Lieutenant-Général.

Le Comte.

Dans cinq ans.

La Comtesse.

Non, dans peu. Vous en rapporterez-vous là-dessus à ce que vous dira ma mère ?

Le Comte.

Et pourquoi pas à vous ?

La Comtesse.

Parce que vous n’avez point de confiance en moi.

Le Comte.

J’ai tort ; vous vous laissez duper comme un enfant. Vous ne savez pas encore ce que c’est que ce petit Vicomte, que vous prenez pour gendre ?

La Comtesse.

Comment ! que lui reprochez-vous ?

Le Comte.

Sa dépense, comme je vous le disois tantôt.

La Comtesse.

Et, quelle dépense ?

Le Comte.

Il entretient une Fille de l’Opéra.

La Comtesse.

Je sais cela ; sa mère me l’a dit.

Le Comte.

Sa mère ?

La Comtesse.

Oui ; mais il va la quitter.

Le Comte.

Pour en reprendre une autre.

La Comtesse.

C’est une calomnie !

Le Comte.

C’est son Valet-de-Chambre qui l’a dit.

La Comtesse.

Ecoutez-vous, des misérables rapports comme ceux-là ?

Le Comte.

Il sera ruiné, ainsi que votre fille, avant peu.

La Comtesse.

Je vous réponds, moi, qu’il fera la plus grande fortune.

Le Comte.

Il ne fera que des sotises.

La Comtesse.

Sa mère les réparera.

Le Comte.

Je sais qu’elle est très-intrigante.

La Comtesse.

Je ne veux point de complaisances sur ce mariage ; vous savez que ma mère voit très-bien ; consultez-la.

Le Comte.

C’est encore une tête chaude, comme votre Marquise ; une engouée, une ambitieuse, qui voit tout comme elle le desire.

La Comtesse.

Mais, a-t’elle jamais fait de fausses démarches ?

Le Comte.

Non.

La Comtesse.

Tout ce qu’elle a entrepris n’a-t-il pas réussi ?

Le Comte.

Sûrement ; puisque je n’ai jamais pu me défendre de vous épouser.

La Comtesse.

Cela est honnête !

Le Comte.

Je suis en colère.

La Comtesse.

Vous défendrez-vous de consentir à donner votre fille au Vicomte, si elle vous le conseille ?

Le Comte.

Si elle me le conseille ?

La Comtesse.

Et elle vous le conseillera, j’en suis sûre, malgré tout ce que vous pourrez lui dire, & elle vous prouvera que nous faisons une très-bonne affaire, si vous me permettez de lui dire deux mots.

Le Comte.

Et, comment voulez-vous que je puisse vous empêcher de lui parler ?

La Comtesse.

Songez seulement à vous plaindre très-haut, au Ministre, de ce que vous n’êtes pas Lieutenant-Général, & vous le serez.

Le Comte.

Allons, je me plaindrai.

La Comtesse.

Mais, n’allez pas dire que c’est la Marquise qui a empêché que vous ne l’ayez été de cette promotion-ci.

Le Comte.

Je ne l’ai dit qu’à vous.

La Comtesse.

On n’a pas ôté vos chevaux ?

Le Comte.

Non.

La Comtesse.

Eh bien, allons ensemble chez ma mère.

Le Comte.

Je le veux bien. Ah ! ma pauvre fille !

La Comtesse.

Ah ! la voici, ma mère.

Le Comte.

Eh bien ! nous allons voir.


Scène XI.

LA BARONNE, LA COMTESSE, LE COMTE.
La Comtesse.

Maman, nous allions, le Comte & moi, vous chercher.

La Baronne.

Je suis bien aise de vous avoir prévenus. Je viens de faire beaucoup de visites ; c’est-à-dire, que je n’ai trouvé personne, & au lieu de rentrer chez moi, je me suis fait descendre ici, parce que je comptois que la Marquise y seroit.

La Comtesse.

Elle y va revenir.

La Baronne.

Pour moi, je ne me lasse point de voir & d’entendre cette femme-là !

La Comtesse.

Le Comte la trouve très-dangereuse.

La Baronne.

C’est-à-dire, qu’elle le seroit si elle le vouloit, parce que personne n’a, comme elle, l’art de persuader tout ce qu’elle veut.

Le Comte.

Voilà donc comme elle vous a fait croire, que ma fille, en épousant son fils, faisoit un très-grand mariage ?

La Baronne.

Et, un mariage excellent !

La Comtesse.

Eh bien ; il ne croit pas cela.

La Baronne.

C’est qu’il écoute les envieux.

Le Comte.

Les envieux ?

La Baronne.

Sûrement. Pour moi, je ne conçois pas ce qu’on peut desirer de plus satisfaisant, dans une pareille affaire.

Le Comte.

Je le conçois bien, moi.

La Baronne.

Et, quoi donc ?

Le Comte.

On doit desirer pour sa fille, un homme qui ait des mœurs.

La Baronne.

Ah ! des mœurs ! Voilà un grand mot !

La Comtesse.

C’est vainement que je lui dis qu’il y a les mœurs à la mode.

Le Comte.

A la mode ? des mœurs !

La Comtesse.

Sans doute.

Le Comte.

Ah ! je ne conçois pas celui-là, par exemple.

La Baronne.

Mais, pour un homme de qualité, il est inconcevable que vous soyez surpris de tout, comme vous l’êtes ! Songez donc qu’il faut que les hommes suivent, sans hésiter, le chemin qui mène à la fortune.

Le Comte.

Est-ce en se ruinant, qu’on y arrive ?

La Baronne.

Est-on jamais ruiné ?

Le Comte.

Ah ! demandez aux créanciers.

La Baronne.

Si vous les écoutez, ils auront toujours raison ; mais un revers de fortune, n’est pas une ruine effective ; c’est une épreuve, qui vous fait mieux sentir ce que vous aurez à craindre à l’avenir.

La Comtesse.

Et qui vous met à portée de vous en garantir pour toujours.

Le Comte.

Je crois que ce qui peut le mieux garantir c’est de se conduire en honnête homme.

La Baronne.

Et, qui ne l’est pas honnête homme ?

Le Comte.

Je sais bien que manquer à ses devoirs envers sa femme……

La Baronne.

Ah ! ses devoirs ! Ma fille, il est charmant, le Comte.

Le Comte.

Comment, Madame…… ?

La Comtesse.

Je vous dis, il n’est occupé que de ceux de son gendre, vis-à-vis de sa fille.

La Baronne.

Réellement ?

La Comtesse.

Qui, & voilà ce qui lui fait croire qu’elle sera très-mal mariée.

Le Comte.

Et, je le soutiens.

La Baronne.

Allons, Comte, songez que vous n’êtes pour rien dans tout cela.

Le Comte.

Je ne le sais que trop :

La Baronne.

Et, que la Marquise, votre femme & moi, nous savons très-bien ce que nous faisons.

Le Comte.

J’aurai de la peine à en convenir.

La Baronne.

Si vous ne trouvez pas tous les avantages réunis, dans une pareille alliance ; vous ne connoissez donc pas tout ce que vaut la Marquise ?

Le Comte.

Pardonnez-moi, Madame.

La Baronne.

Pourquoi n’en seriez vous donc pas content ?

Le Comte.

Parce que……

La Baronne.

Voyons, voyons ?

La Comtesse.

Mais, maman ; est-ce que vous ne voyez pas qu’il plaisante ?

La Baronne.

Eh ! vous avez raison ! Comme je croyois tout ce qu’il me disoit ! cela étoit excellent.

Le Comte.

Vous pourriez bien le croire encore.

La Baronne.

Je m’amusois là à disputer, sur ce qu’il savoit aussi bien que moi : mais savez-vous, Comte, que c’est très-mal à vous, de me persifler comme cela ?

Le Comte.

Je vous réponds que je ne persifle pas.

La Comtesse.

Ah ! voilà la Marquise.


Scène dernière.

LA MARQUISE, LA BARONNE, LA COMTESSE, LE COMTE.
La Baronne.

Arrivez, arrivez donc, Madame ; nous venons d’avoir ici une scène excellente !

La Marquise.

Qu’est-ce que c’est donc, Madame la Baronne ?

La Baronne.

C’est le Comte, qui vouloit nous persuader, que nous faisions mal de vous donner ma petite-fille.

La Marquise.

Il disoit cela ?

La Comtesse.

C’est-à-dire, qu’il a plaisanté là-dessus très-long-tems.

La Marquise.

Ah ! je le reconnois bien là ! Il est toujours charmant, le Comte !

Le Comte.

Point du tout, Madame, je crois…

La Comtesse.

Allez-vous continuer ? La Marquise n’a que faire de cette plaisanterie-là.

La Marquise.

Pardonnez-moi, je l’aimerois fort.

Le Comte.

Je crois que non.

La Comtesse.

Ah ! laissons cela, je vous prie.

La Baronne.

Oui, oui ; voyons un peu ma petite-fille.

La Comtesse.

Elle est à sa toilette.

La Baronne.

Et, le Vicomte, où est-il ?

La Marquise.

Il est à l’Opéra.

La Baronne.

Ah ! fort bien ! c’est le spectacle des Gens de goût.

La Marquise.

Il aime fort la musique, mon fils.

La Baronne.

Tant mieux ! il nous donnera des concerts.

La Marquise.

Tant que vous en voudrez.

Le Comte.

Je le crois ; cela ne lui coûtera rien.

La Marquise.

Sûrement ; il aime les fêtes à la folie.

La Baronne.

C’est un enfant charmant, que mon petit gendre !

Le Comte.

Oh ! divin !

La Baronne.

Mais, oui ; voilà le mot ! Je vois que le Comte l’aime déjà passionnément.

Le Comte.

Moi ?

La Comtesse.

Oui ; pourquoi nous le cacher ?

La Marquise.

En vérité, vous êtes, tous trois, charmans.

Le Comte.

Non pas moi.

La Comtesse.

Voulez-vous que nous passions chez ma fille ?

La Marquise.

J’allois vous le demander.

La Baronne.

Comte, donnez la main à Madame la Marquise.

Le Comte.

C’est que je le voulois……

La Marquise.

Allons, allons ; je m’empare de vous pour toute la journée ; le Notaire va arriver, & nous signerons tout de suite.

La Baronne.

Oui, tout de suite, tout de suite.

La Comtesse, à la Baronne.

Le voilà pris, il ne pourra plus s’en dédire.