Conversations des gens du monde/La Partie de Longchamps

Conversations des gens du monde dans tous les tems de l’annéeImprimerie PolytypeTome I (p. 393-454).


LA PARTIE
DE
LONGCHAMPS.


SIXIÈME JOURNÉE.

PERSONNAGES.

Séparateur


M. DE SAINT-YARD.
Mme . DE SAINT-YARD.
Mme . DE GUERVILLE.
L’ABBÉ DORMANT.
LE CHEVALIER DE LANVAL.
LA COMTESSE DE VILLEPART.
LA BARONNE DE LORBECK.
LE PRÉSIDENT D’ORMENTRÉ.
LEBLANC, Valet-de-Chambre de Mme . de Saint-Yard.


La scène est chez Madame de Saint-Yard.

Scène première.

M. DE SAINT-YARD, Mme . DE SAINT-YARD.
M. de Saint-Yard.

Je vous assure, Madame, que vous aurez aujourd’hui le plus vilain tems du monde, &, en même-tems le plus mal-sain.

Mad. de Saint-Yard.

Cela ne me fait rien du tout.

M. de Saint-Yard.

Vous avez tort. Je vous soutiens que lorsqu’on prend du lait, parce qu’on a mal à la poitrine, il ne faut pas s’exposer à l’humidité…

Mad. de Saint-Yard.

Je ne vois pas pourquoi vous voulez toujours que j’aye mal à la poitrine ?

M. de Saint-Yard.

Je ne sais que ce que le Docteur m’a dit.

Mad. de Saint-Yard.

Il vous dit ce que vous voulez ; parce qu’il sait que c’est votre fantaisie.

M. de Saint-Yard.

Mais ce lait qu’il vous ordonne ?

Mad. de Saint-Yard.

C’est pour fortifier mon estomac.

M. de Saint-Yard.

Quoi ! lorsque vous toussez aussi long-tems !…

Mad. de Saint-Yard.

Cela vient de mes mauvaises digestions ; ainsi, vous voyez bien que l’humidité n’y peut rien faire.

M. de Saint-Yard.

Quel agrément vous promettez-vous de vous promener par la pluie, que comptez-vous voir de curieux à Longchamps par un tems pareil ?

Mad. de Saint-Yard.

J’y verrai beaucoup de monde de connoissance, en un mot, tout Paris y sera, & ce seroit me contrarier beaucoup, que de vouloir m’empêcher d’y aller.

M. de Saint-Yard.

Je n’en ai point d’envie du tout ; je vous parle seulement raison.

Mad. de Saint-Yard.

D’ailleurs, ce n’est pas avec vos chevaux que j’y vais.

M. de Saint-Yard.

Je le crois ; vous ne les trouvez pas assez beaux, & j’en suis fort aise.

Mad. de Saint-Yard.

Vous êtes fort aise qu’ils ne soient pas plus beaux ; cela vous fait beaucoup d’honneur.

M. de Saint-Yard.

Ils sont bons ; voilà l’essentiel : vous sortez avec tant que vous le voulez, & je ne vous reproche ni toutes vos courses, ni le tems qu’ils attendent aux Spectacles ; je crois que vous devez être contente.

Mad. de Saint-Yard.

Mais, Madame de Rivaldiere a des chevaux qui font la même chose que les miens.

M. de Saint-Yard.

Et combien dureront-ils ?

Mad. de Saint-Yard.

Ce n’est pas l’affaire des femmes, de s’occuper de cela.

M. de Saint-Yard.

C’est donc celle des maris.

Mad. de Saint-Yard.

Ah ! je vous prie, Monsieur, n’en parlons pas davantage, car cela m’excède.

M. de Saint-Yard.

Comme vous le voudrez.


Scène II.

Mme . DE GUERVILLE, M. DE SAINT-YARD,
Mme . DE SAINT-YARD, LEBLANC.
Leblanc.

Madame de Guerville.

Mad. de Saint-Yard.

Quoi, Madame, vous n’êtes pas encore partie pour Longchamps ?

Mad. de Guerville.

Non, Madame ; je comptois sur Madame de Villerare ; vous ne savez pas ce qui lui arrive ?

Mad. de Saint-Yard.

Quoi donc ?

Mad. de Guerville.

Sa mère est tombée malade hier au soir, & aujourd’hui, cela est très-sérieux, elle ne peut pas la quitter.

Mad. de Saint-Yard.

Je la plains beaucoup ; c’est éprouver une grande contrariété !

Mad. de Guerville.

Cela est affreux ! sur-tout pour elle, qui n’a encore jamais été à Longchamps depuis qu’elle est mariée.

M. de Saint-Yard.

Il n’y fera pas beau aujourd’hui.

Mad. de Guerville.

Et, qui vous fait donc croire cela, Monsieur de Saint-Yard ?

M. de Saint-Yard.

Le tems qu’il fait ; est-ce qu’il ne pleut pas à verse ?

Mad. de Guerville.

Bon ! ce ne sera rien. Ah ! ça, mon cœur, je venois vous proposer d’y venir avec nous.

Mad. de Saint-Yard.

Monsieur trouve que je ferai très-mal d’y aller.

Mad. de Guerville.

Ah ! c’est barbare à vous, Monsieur de Saint-Yard : vous n’êtes pas contrariant ordinairement.

M. de Saint-Yard.

Ce n’est qu’une réflexion que je voulois lui faire faire.

Mad. de Saint-Yard.

Cela ne m’empêchera pas d’y aller.

Mad. de Guerville.

Eh bien, ne perdons pas de tems ; allons, partons.

Mad. de Saint-Yard.

J’y vais avec Madame de la Maltiere.

Mad. de Guerville.

Ah ! vous avez raison, son attelage est plus beau que le mien.

Mad. de Saint-Yard.

Ce n’est pas cela ; c’est que notre partie est faite depuis long-tems.

Mad. de Guerville.

Je vous dis, vous avez raison ; il faut toujours aller avec les personnes que l’on aime le mieux.

Mad. de Saint-Yard.

En vérité, cela est bien mal à vous, de me dire de pareilles choses !

Mad. de Guerville.

Allons, mon cœur, ne vous fâchez pas.

Mad. de Saint-Yard.

Viendrez-vous demain passer la soirée avec nous ?

Mad. de Guerville.

Sûrement ; je ne demande pas mieux.

Mad. de Saint-Yard.

C’est à cette condition que je vous pardonne tout.

Mad. de Guerville.

Vous êtes charmante ! Monsieur de Saint-Yard, vous ne voudriez pas venir avec nous ?

M. de Saint-Yard.

Je vous demande pardon, Madame, j’irai très-volontiers.

Mad. de Saint-Yard.

Mais, Monsieur, vous allez vous enrhumer.

M. de Saint-Yard.

Je n’ai rien à craindre, moi.

Mad. de Saint-Yard.

En vérité, vous n’avez pas assez de soins de votre santé.

Mad. de Guerville.

Vous n’êtes pas malade, Monsieur de Saint-Yard ?

M. de Saint-Yard.

Non, vraiment.

Mad. de Guerville.

Qu’est-ce que c’est donc qu’elle dit ?

M. de Saint-Yard.

Elle se moque de moi ; mais nous verrons ce soir, comme elle se trouvera de son imprudence.

Mad. de Guerville.

Adieu, mon cœur.

Mad. de Saint-Yard.

Adieu, adieu, à demain. Monsieur de Saint-Yard, envoyez-moi Leblanc.

M. de Saint-Yard.

Oui, oui.


Scène III.

Mme . DE SAINT-YARD, L’ABBÉ, LEBLANC.
Mad. de Saint-Yard.

Madame de la Maltiere ne vient pas ; envoyez chez elle, savoir si elle m’attend.

Leblanc.

Oui, Madame. Monsieur l’Abbé Dormant.

Mad. de Saint-Yard.

Ah ! l’Abbé, je meurs de peur que vous ne veniez pour dîner avec moi.

L’Abbé.

Non, non, Madame.

Mad. de Saint-Yard.

C’est que je vais à Longchamps, & que j’ai dîné de bonne-heure, pour être plutôt prête.

L’Abbé.

Moi, ces jours-ci, j’ai coutume de dîner chez moi.

Mad. de Saint-Yard.

Pourquoi cela ?

L’Abbé.

C’est que je ne prends pas mon chocolat, & que je suis obligé de dîner à midi.

Mad. de Saint-Yard.

Je vous croyois, dans ce tems-ci, à votre Abbaye ?

L’Abbé.

Ordinairement, je laisse toujours passer cette quinzaine.

Mad. de Saint-Yard.

Oui ?

L’Abbé.

Sans doute, à cause de toutes les cérémonies, qui seroient un peu trop fatigantes pour moi.

Mad. de Saint-Yard.

Vous avez raison, ici vous ne faites que ce que vous voulez.

L’Abbé.

C’est cela, & avec ma santé…

Mad. de Saint-Yard.

Elle n’est pas trop mauvaise, cette année.

L’Abbé.

Parce que j’en prends soin ; mais le moindre excès ou la moindre fatigue la dérangeroit.

Mad. de Saint-Yard.

Vous jouez cependant assez tard.

L’Abbé.

Quand on est assis, cela ne fait rien ; pour le sommeil, on le répare en ne se levant pas le lendemain de bonne-heure ; & puis moi, ce n’est pas par goût, tout ce que je fais.

M. de Saint-Yard.

Non ?

L’Abbé.

Ce n’est que par complaisance.

Mad. de Saint-Yard.

Madame de Mirvan doit vous fatiguer beaucoup ?

L’Abbé.

Non, non.

Mad. de Saint-Yard.

Elle est extrêmement capricieuse.

L’Abbé.

Pas avec moi ; il est vrai qu’elle m’a de grandes obligations.

Mad. de Saint-Yard.

Vous ne m’avez jamais dit cela.

L’Abbé.

Est-ce qu’elle n’a pas été toute prête à se rendre aux empressemens du Chevalier de Lanval, ainsi qu’aux attaques du Marquis de Perancourt.

Mad. de Saint-Yard.

Oui ?

L’Abbé.

Vous savez ce que sont ces deux hommes-là ?

Mad. de Saint-Yard.

Je sais qu’ils sont charmans !

L’Abbé.

Charmans, tant que vous voudrez ; mais vous conviendrez bien que c’étoit cruellement s’afficher.

Mad. de Saint-Yard.

Il faut que vous ayez bien du pouvoir sur elle, pour l’y avoir fait renoncer !

L’Abbé.

Non ; mais je lui ai dit, si vous avez de l’amitié pour moi, si vous faites quelque cas de la mienne, vous aurez un jour du regret de m’avoir perdu.

Mad. de Saint-Yard.

Vous ne l’auriez plus revue ?

L’Abbé.

Non, j’y étois très-déterminé ; je suis fort ami de son mari, & il ne m’auroit pas convenu d’être en société avec ces Messieurs-là.

Mad. de Saint-Yard.

Je la trouve d’une grande douceur, & je ne conçois pas comment vous avez pu la persuader.

L’Abbé.

En lui parlant raison ; elle entend très-bien tout ce qu’on lui dit.

Mad. de Saint-Yard.

Je lui croyois plus d’esprit que cela.

L’Abbé.

Elle en a infiniment.

Mad. de Saint-Yard.

Elle n’a donc pas de caractère ?

L’Abbé.

Qu’appellez-vous du caractère ?

Mad. de Saint-Yard.

Je veux dire qu’elle n’a pas de volonté décidée.

L’Abbé.

Je vous demande bien pardon.

Mad. de Saint-Yard.

Et comment me le prouverez-vous ?

L’Abbé.

En vous disant qu’elle me fait faire tout ce qu’elle veut.

Mad. de Saint-Yard.

C’est-à-dire, que vous lui prêtez autant d’argent qu’elle en desire.

L’Abbé.

Oui, mais elle me le rend exactement.

Mad. de Saint-Yard.

Je ne crois pas cela, & je vous réponds qu’à la place de son mari, je serois jaloux de vous.

L’Abbé.

Il a bien d’autres affaires.

Mad. de Saint-Yard.

Ah ! je le sais.

L’Abbé.

Il vouloit pourtant la faire aller à Longchamps aujourd’hui.

Mad. de Saint-Yard.

Eh bien ?

L’Abbé.

Je l’en ai empêchée.

Mad. de Saint-Yard.

Pourquoi donc cela ?

L’Abbé.

Parce qu’elle est très-enrhumée.

Mad. de Saint-Yard.

Mais vous êtes donc, pour elle, une espèce de mari ; ah ! que je n’aimerois pas cela !

L’Abbé.

Je ne la contrains pas.

Mad. de Saint-Yard.

Je parie que vous en êtes jaloux.

L’Abbé.

Voilà une bien mauvaise plaisanterie, que vous me faites-là.

Mad. de Saint-Yard.

Sonnez, je vous prie, l’Abbé. Je ne conçois pas pourquoi je n’ai pas de réponse de Madame de la Maltière. Eh bien, Leblanc ?

Leblanc.

Madame, Poitevin n’est pas encore revenu.

Mad. de Saint-Yard.

Envoyez-y Lafrance.

L’Abbé.

Il se fait déjà tard.

Leblanc.

Monsieur le Chevalier de Lanval.

L’Abbé.

Je vais m’en aller.

Mad. de Saint-Yard.

Il croira que vous le craignez.

L’Abbé.

Mais, Madame…

Mad. de Saint-Yard.

Je veux absolument que vous restiez.


Scène IV.

Mme . DE SAINT-YARD, LE CHEVALIER, L’ABBÉ.
Mad. de Saint-Yard.

Et par quelle aventure, Monsieur le Chevalier, un jour comme aujourd’hui ?

Le Chevalier.

Tous les jours sont égaux, Madame, quand il est question de venir vous chercher ; mais je suis plus heureux que je ne le croyois, je n’espérois pas de vous trouver.

Mad. de Saint-Yard.

Je ne devrois pas être chez moi.

Le Chevalier.

Ah ! Monsieur l’Abbé Dormant est ici, je parie que c’est lui qui vous y retient ; car il a le talent de faire des femmes tout ce qu’il veut.

Mad. de Saint-Yard.

Non, je vous jure que ce n’est pas lui.

Le Chevalier.

Je sais pourtant qu’il n’aime pas que les femmes aillent à Longchamps.

Mad. de Saint-Yard.

Vous le croyez ?

Le Chevalier.

J’en suis sûr, & vous allez me prouver tout-à-l’heure si j’ai tort de le croire.

Mad. de Saint-Yard.

Moi ?

Le Chevalier.

Oui, vous.

Mad. de Saint-Yard.

Et comment cela ?

Le Chevalier.

Le voici. Madame de Cleranfort devoit aller à Longchamps aujourd’hui, avec Madame de Mirvan.

Mad. de Saint-Yard.

Madame de Mirvan !

Le Chevalier.

Cela vous étonne, Madame de Mirvan : mais cela est vrai. A peine les six chevaux de Madame de Cleranfort, qui sont superbes, sont enrubannés & attelés, & du meilleur goût ! qu’on vient lui dire que sa fille, qui est au Couvent, a la petite vérole ; par conséquent impossible d’aller à Longchamps ; mais elle a l’honnêteté d’envoyer sa voiture à Madame de Mirvan.

Mad. de Saint-Yard.

Qui n’a point de femme pour aller avec elle ?

Le Chevalier.

Non, elle n’a que le marquis de Perancourt & moi.

Mad. de Saint-Yard.

Je suis désespérée d’être engagée.

Le Chevalier.

Quoi, réellement vous l’êtes ?

Mad. de Saint-Yard.

C’est une partie arrangée du commencement du Carême, avec Madame de la Maltière.

Le Chevalier.

Ses chevaux sont encore plus beaux que ceux de Madame de Cléranfort.

Mad. de Saint-Yard.

Vrai ?

Le Chevalier.

J’en suis sûr. Madame de Mirvan va être désespérée.

Mad. de Saint-Yard.

Mais, vous avez une ressource, si vous ne pouvez pas trouver de femme.

Le Chevalier.

Laquelle donc ?

Mad. de Saint-Yard.

Prenez l’Abbé Dormant.

L’Abbé.

Moi ?

Le Chevalier.

Vous avez raison ; c’est le plus grand ami du mari & de la femme, on trouvera cela tout simple.

Mad. de Saint-Yard.

Allons, l’Abbé, allez donc.

L’Abbé.

Je ne pense pas que je m’en avise.

Le Chevalier.

Pourquoi donc ? Vous aimez Madame de Mirvan, vous pouvez bien lui rendre ce service-là.

L’Abbé.

Je ne crois pas que cela en soit un ; au contraire.

Mad. de Saint-Yard.

En vérité, je suis au désespoir de ne pas pouvoir aller avec elle.

Le Chevalier.

Il faudra donc renvoyer les chevaux : je n’oserai jamais lui dire le mauvais succès de ma négociation.

Mad. de Saint-Yard.

Eh bien, Leblanc, point de nouvelles encore ?

Leblanc.

Non, Madame.

Mad. de Saint-Yard.

Envoyez-y Joseph.

Leblanc.

Tout à l’heure.


Scène V.

LA COMTESSE, Mme . DE SAINT-YARD, LE CHEVALIER, L’ABBÉ, LEBLANC.
Leblanc.

Madame la Comtesse de Villepart.

Mad. de Saint-Yard.

Attendez un moment, Chevalier.

Le Chevalier.

Que voulez-vous faire ?

Mad. de Saint-Yard.

Vous allez voir. L’Abbé, restez.

La Comtesse.

Vous devez être étonnée de me voir, Madame, un jour comme aujourd’hui ; mais il m’a passé par la tête que je vous trouverois chez vous.

Mad. de Saint-Yard.

Et vous avez bien deviné.

La Comtesse.

Et comment avez-vous le Chevalier ici ?

Mad. de Saint-Yard.

Il n’y sera pas encore long-tems.

Le Chevalier.

Non ; car j’allois sortir quand on vous a annoncée.

Mad. de Saint-Yard.

Comment n’êtes-vous pas à Longchamps aujourd’hui, Madame ?

La Comtesse.

Je ne sais, je me suis mal arrangée ; j’ai cru qu’il feroit trop vilain, & voilà que le tems s’éclaircit à présent ; cela me fâche, car je viens d’apprendre qu’il y aura des attelages superbes.

Le Chevalier.

Oui ; car on ne parle plus des voitures actuellement, si elles ne sont à l’angloise.

Mad. de Saint-Yard.

Et avez-vous bien du regret de n’y être pas allée.

La Comtesse.

Sûrement ; car je venais vous proposer de nous bien encapuchonner, & d’y aller tout simplement avec nos chevaux.

Mad. de Saint-Yard.

Je ferois volontiers cette partie ; mais je suis engagée, & l’on va venir me prendre à l’instant.

Le Chevalier.

Madame de Saint-Yard, Madame la Comtesse connoît-elle Madame de Mirvan ?

La Comtesse.

Comment, si je la connois ? Beaucoup, & je l’aime fort.

Le Chevalier.

Eh bien, Madame, voilà une belle occasion d’aller à Longchamps.

Mad. de Saint-Yard.

Et que je vous conseille d’accepter. Vous ne pouvez pas mieux faire.

La Comtesse.

Je ne vous comprends pas.

Mad. de Saint-Yard.

Je vais vous expliquer cela. Madame de Cleranfort devoit mener à Longchamps Madame de Mirvan, & ne pouvant pas y aller avec elle, elle lui a donné ses chevaux, & Madame de Mirvan ne peut pas y aller seule avec le Chevalier & le marquis de Perancourt.

La Comtesse.

Ceci mérite réflexions, & je vais aller voir si elle voudra bien de moi.

Mad. de Saint-Yard.

Vous n’en devez pas douter.

Le Chevalier.

Moi, Madame, je vais vous suivre.

La Comtesse.

Adieu, Madame, je vous reverrai bientôt.

Mad. de Saint-Yard.

Allons, partez tous les deux, & ne perdez pas de tems.

La Comtesse.

Puisque vous allez venir, j’espère avoir le plaisir de vous rencontrer.

La Comtesse.

A propos, Madame, n’oubliez pas Lundi.

Mad. de Saint-Yard.

Non, non.


Scène VI.

Mme . DE SAINT-YARD, L’ABBÉ, LEBLANC.
Mad. de Saint-Yard.

Eh bien, Leblanc ?

Leblanc.

Lafrance est revenu. Il a été chez Madame de la Maltiere, on lui a dit qu’elle était chez Madame sa sœur, qui demeure au Marais ; il y est allé, & il n’a jamais pu trouver sa Maison.

Mad. de Saint-Yard.

Voilà une commission bien faite ! renvoyez-le encore chez elle, peut-être qu’elle sera rentrée ; car il est déjà tard.

Leblanc.

Je vais l’y envoyer.

Mad. de Saint-Yard.

Eh bien, l’Abbé, attendez donc.

L’Abbé.

Vous m’avez déjà fait rester, pour être témoin d’un arrangement fort agréable & bien imaginé.

Mad. de Saint-Yard.

Que voulez-vous ? Cette pauvre petite Madame de Mirvan me faisoit une pitié horrible !

L’Abbé.

Pitié !

Mad. de Saint-Yard.

Sans doute. Comment, vous qui l’aimez, vous ne trouvez pas bien douloureux pour elle d’avoir comme cela de beaux chevaux tout prêts à partir, & de n’en pouvoir pas profiter.

L’Abbé.

Vous voulez aussi qu’elle profite du desir qu’ont ces messieurs de se lier avec elle.

Mad. de Saint-Yard.

C’étoit, sans doute, Madame de Cleranfort qui les menoit ?

L’Abbé.

Ce qui pouvoit lui arriver de plus heureux, à Madame de Mirvan, c’étoit que l’occasion de faire connoissance avec eux fût manquée.

Mad. de Saint-Yard.

Tôt ou tard, elle les auroit trouvés dans le monde.

L’Abbé.

Et vous croyez que j’avois mal fait de lui conseiller de les éviter ?

Mad. de Saint-Yard.

Je crois ce conseil inutile.

L’Abbé.

Inutile ?

Mad. de Saint-Yard.

Oui ; parce que s’ils peuvent lui plaire, il sera bientôt oublié.

L’Abbé.

Madame, je vous souhaite le bon jour.

Mad. de Saint-Yard.

Sommes-nous brouillés, l’Abbé ?

L’Abbé.

Convenez, Madame, que vous avez cru me faire un mauvais tour.

Mad. de Saint-Yard.

Je vous réponds que si j’étois dans le même cas, que Madame de Mirvan, que Madame de la Maltiere me manquât de parole & ne pût pas me mener, j’en serois inconsolable.

L’Abbé.

Allons, je ne saurois le croire.

Mad. de Saint-Yard.

L’Abbé, prenez bien garde à vous.

L’Abbé.

A propos de quoi ?

Mad. de Saint-Yard.

De ce que je vous ai dit.

L’Abbé.

Je ne m’en souviens pas.

Mad. de Saint-Yard.

Que vous êtiez jaloux. Vous ne répondez rien ?

L’Abbé.

Non.


Scène VII.

Mme . DE SAINT-YARD, LA BARONNE, LEBLANC.
Leblanc.

Madame la Baronne de Lorbeck.

Mad. de Saint-Yard.

Allons, allons.

La Baronne.

Ne vous pressez pas tant.

Mad. de Saint-Yard.

Pourquoi donc êtes-vous montée ?

La Baronne.

Il le falloit bien.

Mad. de Saint-Yard.

Nous n’avons pas de tems à perdre.

La Baronne.

Pourquoi faire ?

Mad. de Saint-Yard.

Est-ce que Madame de la Maltiere n’est pas là-bas ?

La Baronne.

Non, vraiment.

Mad. de Saint-Yard.

Comment donc ?

La Baronne.

Vous ne savez pas ce qui lui est arrivé ?

Mad. de Saint-Yard.

Pas un mot.

La Baronne.

Comme nous partions pour venir ici, on est venu lui dire que sa sœur la demandoit, qu’elle alloit accoucher.

Mad. de Saint-Yard.

Cela est incroyable ! quoi tout d’un coup, comme cela ?

La Baronne.

Oui, nous y avons couru, croyant que ce ne seroit que pour dans la nuit, & l’Accoucheur a assuré que ce seroit plutôt, qu’il ne quitteroit pas, & depuis deux heures nous avons toujours attendu le moment.

Mad. de Saint-Yard.

Elle n’est donc pas accouchée ?

La Baronne.

Non, & elle retient sa sœur.

Mad. de Saint-Yard.

Cela est tout simple.

La Baronne.

Quand M. de la Maltiere a vu cela, il a fait dételer les chevaux, & moi, je me suis chargée de venir vous instruire de ce fâcheux contre-tems.

Mad. de Saint-Yard.

Si je l’avois su plutôt, j’ai eu deux occasions dont j’aurois pu profiter.

La Baronne.

C’est que nous avons toujours cru que cela ne se retarderoit pas assez pour nous donner le tems qu’il nous falloit.

Mad. de Saint-Yard.

Eh ! vraiment oui, je conçois cela : ah ! mondieu, que je suis fâchée !

La Baronne.

Nous le sommes autant que vous. Si vous aviez vu les chevaux, comme tout cela avoit bon air ; vos regrets seroient encore bien plus vifs.

Mad. de Saint-Yard.

Je ne le crois que trop ! ah ! ne m’en parlez pas.

La Baronne.

Nous n’avons plus de ressources.

Mad. de Saint-Yard.

Que ferons-nous donc ?

La Baronne.

Si j’avois de meilleurs chevaux, je vous proposerois bien d’y aller ; mais ils nous laisseroient sûrement en chemin.

Mad. de Saint-Yard.

Il ne faut pas nous exposer à essuyer une avanie pareille.

La Baronne.

Non, sans doute.

Mad. de Saint-Yard.

Cela feroit une bonne histoire pour ceux qui savent l’attelage brillant que nous devions avoir.

La Baronne.

Quel parti prendre ?

Mad. de Saint-Yard.

Mes chevaux sont bons, j’en ai quatre, j’ai envie de les faire mettre, & nous irions sans livrée.

La Baronne.

A la bonne heure ; mais il ne faut pas perdre de tems.

Mad. de Saint-Yard.

Je m’en vais le faire dire.

La Baronne.

Je vais sonner. (Elle sonne.)

Mad. de Saint-Yard.

On ne saura pas qui nous serons, & comme cela, au moins, nous ne resterons pas ici.

Leblanc.

Madame n’a-t’elle pas sonné ?

Mad. de Saint-Yard.

Oui ; dites au Cocher de mettre les quatre chevaux, & de se dépêcher.

Leblanc.

Il faut savoir s’il sera ici.

Mad. de Saint-Yard.

Pourquoi n’y seroit-il pas ?

Leblanc.

Comme il savait qu’il ne mèneroit pas Madame, il pourroit bien être sorti.

Mad. de Saint-Yard.

Il n’est pas possible !

Leblanc.

Pardonnez-moi, Madame ; je me souviens à présent que le Postillon & lui sont allés à Ténèbres.

Mad. de Saint-Yard.

A Ténèbres ! où cela ?

Leblanc.

Ils ne l’ont pas dit.

Mad. de Saint-Yard.

Tout me contrarie aujourd’hui !

La Baronne.

Si Monsieur de la Maltiere avoit voulu nous prêter ses chevaux…

Mad. de Saint-Yard.

Voilà, par exemple, ce qu’a fait Madame de Cléranfort, elle les a donnés à Madame de Mirvan, qu’elle ne pouvoit pas mener.

La Baronne.

C’est qu’elle n’a pas de mari, elle.

Mad. de Saint-Yard.

Aussi elle fait ce qu’elle veut.

La Baronne.

Oui, mais elle est riche ; sans cela, que sert d’être veuve ?

Mad. de Saint-Yard.

Vous n’en tirez pas grand avantage, vous, Madame la Baronne.

La Baronne.

Eh ! mondieu non !

Mad. de Saint-Yard.

Ah ! çà, que ferons-nous donc ?

La Baronne.

Madame, on nous a dit que le Concert aujourd’hui sera excellent, qu’on y chantera beaucoup d’italien.

Mad. de Saint-Yard.

Eh bien, il faut y aller.

La Baronne.

Nous ferons comme ceux qui y reviendront de Longchamps.

Mad. de Saint-Yard.

Et ce sera finir la journée comme tout le monde.

La Baronne.

Vous avez raison ; c’est imaginé à merveille !

Mad. de Saint-Yard.

Je vais envoyer louer une loge.

La Baronne.

Laissez-moi donc sonner. (Elle sonne.)

Mad. de Saint-Yard.

Leblanc, allez-vous-en tout à l’heure au concert.

Leblanc.

Où cela, Madame ?

Mad. de Saint-Yard.

Aux Tuileries.

Leblanc.

Ah ! je sais.

Mad. de Saint-Yard.

Et vous louerez une Loge à quatre places ; ne perdez pas un instant.

Leblanc.

Monsieur le président d’Ormentré.


Scène VIII.

LA BARONNE, Mme . DE SAINT-YARD, LE PRÉSIDENT.
Mad. de Saint-Yard.

Eh ! par quel hasard aujourd’hui, Président ?

Le Président.

Ma foi, c’est bien un hasard, comme vous le dites. J’ai refusé d’aller à Longchamps, à cause du mauvais tems, & vous êtes la douzième porte à laquelle j’ai frappé. Je n’ai trouvé personne ailleurs.

Mad. de Saint-Yard.

Je le crois bien.

Le Président.

Je vous trouve fort sensées, Mesdames.

La Baronne.

Pourquoi donc ?

Le Président.

Parce que vous n’êtes pas allées à Longchamps ; ce tems-ci est trop mal sain, & le plaisir qu’on y peut avoir est si peu de chose, que cela n’en vaut pas la peine.

Mad. de Saint-Yard.

Vous croyez qu’il n’y aura rien de beau aujourd’hui ?

Le Président.

Ah ! pardonnez-moi, quelques attelages, comme ceux que j’ai vu passer de chez ma belle-fille, qui demeure sur le Rempart.

La Baronne.

Vous en avez vu ?

Le Président.

Oui, par exemple, celui de Madame de Guerville.

Mad. de Saint-Yard.

Il n’y a rien de si commun !

Le Président.

Au contraire, Madame ; ce sont six jolis chevaux, qui sont d’un ensemble parfait.

Mad. de Saint-Yard.

Je ne croyois pas cela.

Le Président.

Rien n’est plus vrai. Ensuite, une voiture traînée par six chevaux magnifiques, bien enharnachés ; nous n’avons pas pu deviner à qui ils étoient.

Mad. de Saint-Yard.

Et qui étoit dans la voiture ?

Le Président.

Attendez. Ah !… Madame de Mirvan, la Comtesse de Villepart, le Chevalier de Lanval & le Marquis de Pérancourt.

Mad. de Saint-Yard.

Pleuvoit-il dans ce moment-là ?

Le Président.

Non, ils seront arrivés très-brillans.

La Baronne.

Et en avez-vous vu beaucoup d’autres ?

Le Président.

Sûrement ; mais voilà ce qu’il y avait de mieux. Nous avons toujours attendu pour voir passer ce qu’on nous a dit qu’il y avoit de plus beau.

La Baronne.

Quoi donc ?

Le Président.

Madame de la Maltiere.

Mad. de Saint-Yard.

On vous a dit cela ?

Le Président.

Oui ; il faut qu’elle ait passé par la ville.

La Baronne.

Elle n’y est pas allée.

Le Président.

C’est grand dommage !

Mad. de Saint-Yard.

Nous le savons bien.

Le Président.

Vous le savez.

Mad. de Saint-Yard.

Nous devions aller avec elle.

Le Président.

Cela n’est pas possible ! Et qui vous en a empêchées ?

La Baronne.

Sa sœur, qui accouche à présent, & qui la retient par conséquent auprès d’elle.

Le Président.

Voilà une grande contrariété ! En vérité, Mesdames, je vous plains, & beaucoup.

La Baronne.

Aussi sommes-nous très-fâchées !

Le Président.

C’est qu’il n’y a rien de si agréable que d’être dans une voiture traînée par des chevaux qui font l’admiration de tout le monde, n’importe à qui ils sont.

Mad. de Saint-Yard.

Voilà ce que je regrette.

Le Président.

Et vous avez bien raison.

Mad. de Saint-Yard.

Imaginez-vous que j’ai toujours attendu Madame de la Maltiere ici, jusqu’à ce moment.

Le Président.

Cela est très-piquant !

La Baronne.

Et nous voilà à présent à ne savoir que devenir.

Le Président.

Aujourd’hui il n’y a que Longchamps.

Mad. de Saint-Yard.

Et nous n’en verrons rien seulement !

Le Président.

Allons, rien n’est plus désespérant, il faut en convenir !

Mad. de Saint-Yard.

Pour finir la journée comme tout le monde, nous irons au Concert.

Le Président.

Eh bien ! je ne vous plains plus.

Mad. de Saint-Yard.

Non ?

Le Président.

Il sera admirable ! Vous pouvez compter que tout Paris y sera.

La Baronne.

Vous le croyez ?

Le Président.

J’en suis sûr.

Mad. de Saint-Yard.

C’est toujours une consolation.

Le Président.

Mais, je ne vous ai point vues sur la liste des Loges.

La Baronne.

Nous ne venons que d’y envoyer.

Le Président.

Vous n’en aurez pas.

Mad. de Saint-Yard.

Que dites-vous donc ?

Le Président.

J’ai passé ce matin chez Mademoiselle Soubra ; il y avoit dix Loges de promises, en cas qu’on en renvoyât.

Mad. de Saint-Yard.

Ah ! mais ; c’est avoir, aussi, un malheur trop constant !

Le Président.

Je suis bien fâché de vous avoir ôté votre dernière espérance, je m’enfuis.

Mad. de Saint-Yard.

Président, vous verra-t’on ces Fêtes ?

Le Président.

Non, Madame ; je vais à la Campagne.


Scène IX.

Mme . DE SAINT-YARD, LEBLANC, LA BARONNE.
Leblanc.

Madame, il n’y a pas une Loge à louer.

La Baronne.

Nous le savons.

Leblanc.

J’ai parlé aux Receveurs, qui m’ont dit…

Mad. de Saint-Yard.

En voilà assez. Hé bien, Madame, qu’allons-nous devenir ?

La Baronne.

Si vous m’en croyez, nous irons nous placer à l’entrée des Champs-Élisées ; il fera presque nuit, on ne nous verra pas.

Mad. de Saint-Yard.

Et nous verrons passer tout le monde ; cela est imaginé à merveille !

La Baronne.

Ensuite nous irons, par le rempart, chez la sœur de Madame de la Maltière.

Mad. de Saint-Yard.

Lui en demander des nouvelles, & puis nous reviendrons souper ici, n’est-ce pas ?

La Baronne.

Assurément ; je ne veux pas vous quitter.

Mad. de Saint-Yard.

Nous n’aurons personne.

La Baronne.

Cela ne me fait rien.

Mad. de Saint-Yard.

Pas seulement l’Abbé Dormant ; je crois que je suis brouillée avec lui.

La Baronne.

Pourquoi donc cela ?

Mad. de Saint-Yard.

Je vous le conterai en chemin. Allons, partons.


Scène dernière.

Mme . DE SAINT-YARD, LA BARONNE, M. DE SAINT-YARD.
La Baronne.

Ah ! voilà Monsieur de Saint-Yard.

M. de Saint-Yard.

Quoi, Mesdames, vous êtes déjà de retour ?

Mad. de Saint-Yard.

Oui, Monsieur ; nous n’avons pas voulu rester plus tard.

M. de Saint-Yard.

Cela est très-bien fait à vous ; voilà qui est on ne peut pas plus sensé !

La Baronne.

Il y avoit beaucoup d’humidité dans l’air.

M. de Saint-Yard.

Vous voyez bien, Madame, que j’avois raison de vous le dire tantôt.

Mad. de Saint-Yard.

Oh ! vous êtes toujours d’une prévoyance admirable, vous !

M. de Saint-Yard.

Mais vous verrez que vous vous en trouverez bien ; j’aurois pourtant été fâché de vous avoir empêchées d’aller à Longchamps ; car tout ce qui y est arrivé, a été réellement très-plaisant. Vous devez l’avoir trouvé comme tout le monde ?

Mad. de Saint-Yard.

Sans contredit.

M. de Saint-Yard.

Pour moi, j’ai cru que j’étoufferois à force d’en rire, & quand j’y pense encore… Quoi donc, vous n’en auriez pas ri ?

La Baronne.

Pardonnez-moi.

M. de Saint-Yard.

L’aventure étoit unique ! ou pour mieux dire, les aventures : avez-vous remarqué comme elles se succédoient ?

Mad. de Saint-Yard, à la Baronne.

Il m’impatiente.

M. de Saint-Yard.

Quoi ! vous n’avez pas trouvé tout cela du dernier ridicule ; cette voiture rouge & verte, ces wiskys versés l’un sur l’autre, sans qu’on pût arrêter les chevaux qui les menoient, & ces filles qui étoient embarrassées dans tout cela, & qui crioient, qui crioient… Ah ! mon dieu, que j’en ai ri ! N’en avez-vous pas ri, vous, Madame la Baronne ?

La Baronne.

Ah ! beaucoup !

M. de Saint-Yard.

Tout cela m’a si fort occupé, que je n’ai pas vu passer la voiture où vous étiez ; j’ai bien vu celle de Madame de Mirvan & celle de Madame de Villepart ; je n’ai jamais vu un attelage plus charmant !

Mad. de Saint-Yard.

On nous l’a dit.

M. de Saint-Yard.

Quoi, vous ne l’avez pas vu ?

Mad. de Saint-Yard.

Qu’est-ce que je dis donc ? Nous l’avons sûrement vu cinq ou six fois passer & repasser…

M. de Saint-Yard.

Et toutes les vraies voitures angloises, comment les avez-vous trouvées ?

La Baronne.

Admirablement bien !

M. de Saint-Yard.

Je ne conçois pas où avez pu être.

Mad. de Saint-Yard.

Mais, par-tout.

M. de Saint-Yard.

J’y ai été par-tout. Est-ce que vous auriez eu peur de la foule ?

Mad. de Saint-Yard.

Qu’est-ce que cela vous fait ?

M. de Saint-Yard.

C’est qu’il est singulier… Ah ! je comprends ; vous n’avez pas voulu trop vous engager, afin de pouvoir revenir de bonne-heure.

Mad. de Saint-Yard.

C’est cela même.

M. de Saint-Yard.

C’est avoir un peu suivi mon conseil, & je vous en remercie.

Mad. de Saint-Yard.

Vous êtes prodigieusement honnête ! mais que venez-vous donc faire ici à l’heure qu’il est ?

M. de Saint-Yard.

Je viens chercher un Roman nouveau, que j’ai promis à Madame de Guerville, parce qu’elle va revenir de Longchamps.

La Baronne.

Déjà ?

M. de Saint-Yard.

Oui, elle ne veut pas manquer le Concert.

Mad. de Saint-Yard.

Elle ira ?

M. de Saint-Yard.

Elle y st peut-être déjà arrivée.

La Baronne.

Et, a-t’elle des places à donner ?

M. de Saint-Yard.

Elle en avait trois, qu’elle a données à des femmes qu’elle a rencontrées.

Mad. de Saint-Yard.

Si j’avois été avec elle, j’en aurois eu sûrement au moins une ?

M. de Saint-Yard.

Et Madame la Baronne aussi, & vous auriez été toutes les deux fort aises ; parce que le Concert sera admirable aujourd’hui, à ce que m’a dit le Président.

Mad. de Saint-Yard.

Vous l’avez vu ?

M. de Saint-Yard.

Oui ; j’ai causé un moment là-bas avec lui en arrivant. Ah ! çà, partez donc plus tôt que plus tard pour le Concert, vous ne sauriez arriver trop tôt.

Mad. de Saint-Yard.

Pardi, vous êtes un grand monstre !

M. de Saint-Yard.

Moi ?

Mad. de Saint-Yard.

Oui, vous.

M. de Saint-Yard.

Et à propos de quoi ?

Mad. de Saint-Yard.

Parce que vous savez tous nos malheurs.

M. de Saint-Yard.

Que vous est-il donc arrivé ?

La Baronne.

Allons, Madame ; ne l’écoutez pas, & partons.

M. de Saint-Yard.

Je veux savoir tout cela, souperez-vous ici ?

Mad. de Saint-Yard.

Sûrement.

M. de Saint-Yard.

Je reviendrai vous tenir compagnie.