Contre le droit de propriété


Contre le droit de propriété
Journal de la liberté de la presse et Le Tribun du peuple (p. 500).

Tu m’accordes le fond des principes sur le fameux Droit de propriété. Tu conviens avec moi de l’illégitimité de ce droit. Tu affirmes que c’est une des plus déplorables créations de l’erreur humaine. Tu reconnois aussi que c’est de là que découlent tous nos vices, nos passions, nos crimes, nos maux de toute espèce…

Quand ce Peuple est éclairé, capable d’entendre et disposé par sa position à saisir avec avidité cette vérité précieuse : Les fruits sont à tous, la terre à personne ; et quand Antonelle se trouve là, et lui dit encore : L’état de communauté est le seul juste, le seul bon ; hors de cet état il ne peut exister de sociétés paisibles et vraiment heureuses ; je ne vois pas pourquoi ce Peuple, qui veut nécessairement son bien, qui veut par conséquent tout ce qui est juste et bon, ne pourroit pas être amené à prononcer solennellement son vœu pour vouloir vivre dans le seul état de société paisible et vraiment heureuse.

Loin qu’on puisse dire, à l’époque où l’excès de l’abus du droit de propriété est porté au dernier période ; loin qu’on puisse dire alors que cette fatale institution a des racines trop profondes, il me semble, au contraire, qu’elle perd le plus grand nombre de ses filamens, qui, ne liant plus ensemble les soutiens principaux, expose l’arbre au plus facile ébranlement. Faites beaucoup d’impropriétaires, abandonnez-les à la dévorante cupidité d’une poignée d’envahisseurs, les racines de la fatale institution de la propriété ne sont plus inextricables. Bientôt les dépouillés sont portés à réfléchir et à reconnaître que c’est une grande vérité, que les fruits sont à tous et la terre à personne ; que nous sommes perdus que pour l’avoir oublié ; que c’est une bien folle duperie, de la part de la majorité des Citoyens, de rester l’esclave et la victime de l’oppression de la minorité ; qu’il est plus que ridicule de ne point s’affranchir d’un tel joug, et de ne point embrasser l’état d’association, seul juste, seul bon, seul conforme aux purs sentimens de la nature ; l’état hors duquel il ne peut exister de sociétés paisibles et vraiment heureuses.

La Révolution française nous a donné preuves sur preuves que les abus, pour être anciens, n’étaient point indéracinables ; qu’au contraire, ce fut leur excès et la lassitude de leur longue existence qui en a sollicité plus impérativement la destruction. La Révolution nous a donné preuves sur preuves que le Peuple Français, pour être un grand et vieux Peuple, n’est point pour cela incapable d’adopter les plus grands changemens dans ses institutions, de consentir aux plus grands sacrifices pour les améliorer. N’a-t-il pas tout changé depuis 89, excepté cette seule institution de la propriété ?