Contre-coup violeur


Le Père Peinard du 25 juin 1893Année 5, numéro 223 (p. 7).

CONTRE-COUP VIOLEUR


Troyes. — À quelques pas du bagne au fameux Oscar, il y a la boîte à Herbin, une fabrique de bonneterie.

Pour l’exploitation des prolos, cette usine est aussi infecte que les autres.

Pour ce qui est des saloperies et des crimes des gros matadors, c’est kif-kif bourriquot.

Reluquez plutôt la dernière abomination qui vient de s’y passer.

Le contre-maître du bobinage était un cochon nommé Faudier ; il avait 66 ans, c’est dire qu’il aimait la chair fraîche… autant qu’un jugeur.

Le salopiaud guignait principalement les fillettes de 12 à 14 ans. Quand une envie tenait sa sale carcasse, il ne reculait devant rien ; il employait les plus abominables moyens dont usent journellement patrons et contre-coups.

Il y a six mois, une gosseline qui avait à peu près 13 ans, la petite Marie Paulo, lui tapa dans l’œil.

Le Faudier l’embobina avec de belles paroles, lui promet tant du bel ouvrage ; … naïve, la pauvrette se laissa prendre à ses boniments ; le salaud arriva à ses fins.

Quand la mioche vit que le contre-coup lui avait conté des mensonges, elle ne voulut plus rien savoir.

Ça ne faisait pas le joint du salaud, nom de dieu !

Tellement qu’il essaya de la violer par tous les moyens, — allant jusqu’à la bâillonner… mais, peau de balle !

Pour lors, la fillette raconta à son père toutes les horreurs dont elle avait été victime. Vous pensez si le vieux se foutit dans une colère bleue !

Illico, il alla trouver le patron et fit un tel foin que le contre-maître fut flanqué à la porte.

N’allez pas croire, les camarades, que c’est une preuve de l’honnêteté de l’exploiteur.

Foutre non !

Il y a belle lurette que le singe connaissait de fil en aiguille les mics-macs de son contre-coup. Si donc il a supporté la chose, c’est qu’il ne trouve pas mauvais que les petites ouvrières servent de matelas aux richards.

Une charogne qui n’en menait pas large, c’était le Faudier. Quand il sut que le père de sa dernière victime était au courant, il se vit cuit ; il rentra chez lui et se suicida.

La famille fit appeler un médecin qui gentiment constata le décès qu’il baptisa « congestion cérébrale ».

Pas besoin de dire que les marchands d’injustice n’ont pas fait d’enquête.

De même, les journaux de la localité sont restés muets comme des carpes. Un entre autres, le Petit Troyen qui jubile d’être traité de « bourgeois » par le Père Peinard.

Ah nom de dieu, quand il s’agit de baver sur les anarchos, c’est pas le papier qui leur manque ! Quand il s’agit d’un contre-coup, y a rien de fait.

Enfin, le Faudier a débarrassé ses victimes ; c’est ce qu’il avait de mieux à faire !

Si tous les cochons de son espèce faisaient pareil, ils rendraient un rude service au populo.

Du coup, la race des contre-maîtres deviendrait bougrement rare !