Contes tjames/Les ruses du lièvre

Imprimerie coloniale (p. 50-60).


V

LES RUSES DU LIÈVRE

[1]


En ce temps, le tigre, le lièvre, la loutre, la poule, l'éléphant, tous en une société, allèrent couper du chaume pour faire une maison, lis allèrent couper du chaume. Arrivés dans la brousse ils laissèrent le tigre au campement et tous les autres allèrent couper du chaume. Le tigre resta au campement, il prit des cerfs et des chevreuils, fit cuire du riz, de la viande, il en fit rôtir une partie et frire l'autre, ensuite il appela ses compagnons et leur dit de venir manger. Ils vinrent manger et firent des compliments au tigre.

Le lendemain l'éléphant, le lièvre, la poule et le tigre laissèrent la loutre au campement pour leur chercher à manger, quant à eux ils allèrent couper du chaume. La loutre resta au campement, elle alla plonger dans l'eau et prit des poissons kadu, hajau et tjarôk, ensuite elle fit cuire du riz, fit sécher une partie de ses poissons, en mit d'autres à l'eau, d'autres au mâm (?) et en fit rôtir une autre partie. Ensuite la loutre cria à ses compagnons qui étaient allés couper le chaume de venir manger. Ils louèrent tous la loutre et dirent qu'elle était très habile à prendre du poisson et aussi à faire à manger.

Le lendemain ils laissèrent la poule au campement pour leur chercher des vivres et ils allèrent tous couper de l'herbe. La poule resta au campement, elle fit cuire du riz, ensuite elle mit la marmite sur le feu, elle chanta tout autour et pondit une pleine marmite (d'œufs) ; elle fit cuire des œufs à l'eau. Ensuite elle cria à ses compagnons de venir manger. Tous louèrent la poule disant que ces œufs cuits à l'eau et émiettés dans la saumure étaient très savoureux à manger.

Le lendemain toute la société ordonna au lièvre de rester au campement pour chercher des vivres. Quant aux autres ils allèrent couper du chaume. Le lièvre resté au campement ne sut comment faire et ne fit que rêver. Il fit cuire une marmite de riz, puis suspendit sa marmite, la remplit de crottes, les mêla de nuoc mâm[2] et de sel pour les faire cuire et cria à ses compagnons de venir manger. Quant à lui il fit semblant d'avoir la fièvre, se coucha, s'enveloppa dans sa natte et se mit à gémir. Les autres compagnons vinrent manger et l'appelèrent pour le repas. Il répondit : J'ai grand mal à la tête, je ne mangerai pas. La troupe se mit donc à manger ; mais dans ce plat ils ne voyaient que de l'eau et pas un grain de solide. Ils demandèrent au lièvre : Qu'est-ce que c'est qu'un ragoût comme cela ? Le lièvre répondit : J'ai fait cuire un poisson hakan, il s'est tout défait dans la marmite et a disparu. Les compagnons mangèrent le riz, ensuite ils mangèrent le ragoût et ils le vantèrent comme très savoureux.

Le lièvre fit semblant de bâiller et cria : Hay êh taputj ! Il gémissait et en même temps il faisait semblant de bailler ; trois ou quatre fois il bâilla (et cria) comme cela.

L'éléphant, le tigre, la loutre, la poule mangèrent tous et louèrent ce ragoût disant qu'il était très bon. Le lièvre bâilla une fois encore s'écriant : Hay êh taputj ! hivutj êh tapay[3] ? Les compagnons réfléchirent et dirent : Le lièvre nous a fait cuire des crottes, ce n'était pas du poisson. Nous avons mangé des crottes de lièvre et non pas du poisson.

Ayant fini leur repas ils s'unirent, les uns pour faire le char les autres pour faire les buffles afin d'aller charger leur chaume. L'éléphant dut faire le char, le tigre et la loutre étaient les buffles et la poule guidait. Quant au lièvre, étant malade, il ne pouvait rien faire et on le laissa chasser le char. Marchant ainsi ensemble ils allèrent charger leur chaume.

Arrivés à l'endroit où ils l'avaient coupé ils le chargèrent sur le dos de l'éléphant, ensuite ils s'exhortèrent les uns les autres à aller arracher des lianes pour attacher le chaume sur le dos de l'éléphant pour qu'il fût solide. Le tigre et la loutre prirent des lianes et les attachèrent au cou de l'éléphant, et de l'autre côté les lièrent solidement a leur cou.

La poule conduisit le char et le lièvre le chassa devant lui. Ils attelèrent ce char de chaume pour revenir à la maison. A moitié chemin le lièvre fit semblant d'avoir la fièvre et d'être très malade ; il demanda à ses compagnons de le laisser monter sur le char parce qu'il ne pouvait marcher dessous. Les autres consentirent à le laisser monter sur le char. Tous ensemble ils attelèrent le char pour revenir à la maison. A moitié chemin le lièvre, monté sur le char, fit semblant de gémir et demanda à la poule un bout de tison pour se réchauffer. La poule prit un bout de tison et le lui donna. Le lièvre souffla le feu, voulant enflammer le chaume qui était sur le char. La poule, la loutre, le tigre, l'éléphant l'entendaient souffler le feu, mais ils ne savaient pas que ce fût pour mettre le feu au chaume sur le char, ils pensaient que c'était pour se chauffer. Quand le lièvre eut souillé le feu il enflamma le chaume sur le char, le feu se mit au chaume, le lièvre sauta en bas du char et s'enfuit. Le feu dévora le chaume sur le dos de l'éléphant.

Le tigre, la loutre et l'éléphant tiraient l'un d'un côté et l'autre de l'autre pour s'enfuir. Le lièvre cria au tigre[4] : O buffle ! tire le char contre levent ! L'éléphant et le tigre ne l'écoutaient pas. Le lièvre cria de nouveau : O loutre ! ô tigre ! tirez l'éléphant contre le vent ! La loutre et le tigre l'entendirent et tirèrent l'éléphant contre le vent, mais lorsqu'ils le tirèrent ainsi le feu se mit à dévorer le chaume sur le dos de l'éléphant. Enfin la loutre le fit entrer dans l'eau et le feu fut éteint et mourut.

Quand le lièvre vit le feu éteint il eut peur que ses compagnons ne vinssent de concert le tuer. Il s'enfuit dans la forêt pour se cacher du tigre et de la loutre, mais il y rencontra un python qui s'enroula sur son corps.

Le tigre se mit à la recherche du lièvre pour le manger. Il le vit avec le python enroulé autour de lui en cet endroit. Il lui demanda : Que fais-tu là ainsi ? Le lièvre répondit : Je me mets une ceinture à fleurs pour m'amuser ; elle m'a été laissée par mes ancêtres. Le tigre demanda cette ceinture au lièvre pour se l'attacher (autour du corps) ; il ne savait pas que c'était un python. Le tigre fut trompé par le lièvre qui lui dit que c'était une ceinture à fleurs qu'il avait héritée de ses parents, et il la demanda au lièvre.

Le tigre demanda la ceinture au lièvre, celui-ci fit semblant de ne pas vouloir la lui donner. Le tigre demanda cette ceinture au lièvre depuis le matin jusqu'à ce que le soleil fût haut, et alors seulement le lièvre consentit à la lui donner. Il dit au tigre : Va chercher une épine et rapporte-la moi afin que je défasse le nœud de cette ceinture pour te la donner. Le tigre alla chercher une épine et la rapporta au lièvre. Celui-ci dit au tigre de se tenir près de lui, ensuite il prit l'épine et la piqua dans le nez du python. Le python se déroula du corps du lièvre et s'enroula autour du tigre qui resta là tandis que le lièvre s'enfuyait. Le lièvre s'enfuit en criant aux hommes : Ô hommes ! le python a saisi le tigre, allez tous tuer le tigre. Les hommes partirent ensemble portant des couteaux et des lances pour tuer le tigre. Celui-ci les voyant venir pour le tuer mordit le python et le coupa en deux. Ensuite il s'enfuit dans la forêt et les hommes revinrent chez eux.

Le tigre se mit à la recherche du lièvre. Il parcourut la forêt et les clairières et vit le lièvre occupé à tambouriner. Le lièvre avait rencontré sur son chemin un nid de guêpes (terrestres), il en avait bouché la sortie avec des feuilles, et ensuite avait pris un bâton pour frapper sur le nid. Le tigre entendant ces guêpes bourdonner harmonieusement fut très désireux de les entendre. Il demanda au lièvre : Que fais-tu là, ô lièvre ? Le lièvre répondit : Je bats un tambour que m'ont laissé ici mes ancêtres ; à l'heure propice, au jour favorable, cela me réconforte extrêmement. Qu'y a-t-il pour que tu m'interroges ainsi ?

Le tigre demanda au lièvre de le laisser battre ce tambour, mais celui-ci n'y consentit pas. Il dit : En ce monde avoir jamais pitié de toi ! Que je n'en aie jamais pitié, c'est ce qu'il faut. Le tigre répondit : Frère lièvre, laisse-moi un peu battre de ce tambour pour voir. Le lièvre répondit : Soit ! je vais te laisser faire. Si tu veux que ce tambour rende un son harmonieux, il te faut ouvrir le trou du dessous et boucher celui du dessus. Alors en frappant ce tambour il rendra un son très harmonieux.

Le tigre obéit au lièvre ; il ouvrit (le trou du dessous) et frappa sur celui du dessus, les guêpes sortirent par l'orifice inférieur et le lièvre s'enfuit. Les guêpes piquèrent le tigre qui se mit à gémir et à courir par toute la forêt. Quant au lièvre en fuyant pour se cacher du tigre, il vit un arbre dont les branches frottaient l'une sur l'autre et il monta sur cet arbre.

Le tigre, à demi-mort des piqûres des guêpes, courait en rauquant par toute la forêt. Enfin il se jeta dans l'eau, les guêpes ne le virent plus et retournèrent à leur nid, et le tigre échappa ainsi à leurs piqûres.

Le tigre se mit à la poursuite du lièvre ; il était dans son cœur extrêmement irrité contre lui et résolu à le dévorer. Il le trouva perché sur l'arbre et lui dit : Frère lièvre ! tu m'as trompé frauduleusement ; maintenant tu t'es caché sur cet arbre, descends vite pour que je te mange. Le lièvre répondit : Si tu veux me manger accorde-moi, je te prie, d'attendre jusqu'à midi, ensuite tu me mangeras. Maintenant je te demande de me laisser attendre une heure favorable pour jouer de ce sharanai[5] que m'ont laissé mes aïeux sur cet arbre. Le lièvre parlait ainsi mais dans son cœur il avait grand peur que le tigre ne le dévorât. Le tigre en lui-même voulait demander au lièvre le sharanai pour en jouer. A midi, le vent se leva et agita l'arbre, les branches alors frottèrent l'une contre l'autre, et l'arbre fit entendre un son.

Le tigre entendit ce son et se dit : Véritablement le lièvre joue du sharanai. Il ne savait pas que c'étaient les branches d'arbre qui, frottées les unes contre les autres, rendaient ce son.

Le tigre demanda au lièvre ce sharanai pour en jouer. Il dit au lièvre : Frère lièvre ! donne-moi ce sharanai pour en jouer et je ne te mangerai pas. Le lièvre répondit : Si tu veux me manger, mange-moi, mais quant à ce sharanai que m'ont laissé mes ancêtres, je ne te permettrai pas d'en jouer. Le tigre dit : Non ; je ne te mangerai pas. Le lièvre dit : Soit ! puisque tu me presses si fort je te permettrai d'en jouer. Monte avec moi que je te montre comment jouer de ce sharanai. Le tigre monta sur l'arbre avec le lièvre et le lièvre lui montra comment il fallait faire.

Le lièvre dit : Si tu veux tirer de ce sharanai un son harmonieux, il faut attendre qu'il s'élève un fort vent et que les branches s'écartent, alors tu introduiras ta langue dans l'interstice. Le tigre obéit au lièvre, il attendit qu'il s'élevât un fort vent pour introduire sa langue entre les branches. Le lièvre alors fit semblant de descendre de l'arbre pour se soulager. Le vent s'éleva et agita l'arbre dont les branches s'écartèrent, et le tigre y introduisit sa langue ; mais quand le vent cessa l'arbre reprit sa position et pinça le tigre par la langue. Il eut beau faire, il ne put se dégager et ne put que se débattre en gémissant. Le lièvre s'enfuit et cria aux hommes : Ô hommes ! l'arbre a pris le tigre ! et les hommes accoururent tous pour tuer le tigre. Quand celui-ci les vit accourir, en se débattant il se cassa la langue, sauta à bas de l'arbre et s'enfuit.

Quant au lièvre, en fuyant, il était tombé dans un puits à sec. Le tigre, irrité contre le lièvre, se mit à sa recherche, résolu à le manger quand il le trouverait. Le tigre trouva le lièvre tombé dans le puits ; il lui demanda : Que fais-tu dans ce puits ? Le lièvre, mentant, lui répondit : Tu ne sais pas ! demain matin le ciel va tomber ; c'est pourquoi je reste dans ce puits, de peur qu'il ne m'écrase. Le tigre dit au lièvre : Laisse-moi demeurer dans le puits avec toi, ô lièvre ! aie pitié de moi et fais-moi ce bien. Le lièvre répondit : Je ne ferai pas de bien. Le tigre le pria depuis le matin jusqu'à midi, alors seulement le lièvre consentit à le laisser entrer. Le lièvre dit au tigre d'aller couper un bâton et de le lui donner. Le tigre lui porta un bâton, ensuite il sauta dans le puits avec le lièvre. Le lièvre prit le bâton et en chatouilla le tigre. Si ce lièvre fait le méchant, dit le tigre, je vais l'envoyer là-haut où le ciel l'écrasera. Le lièvre répondit : Vrai ! Tu es fort, mais tu ne pourrais pas me faire sauter ainsi. Ainsi le lièvre contredit le tigre ; celui-ci contredit le lièvre et le fit sauter sur le bord du puits. Le lièvre dit : Ainsi, tigre, tu veux lutter avec moi de sagesse. Le tigre répondit : Ne te vante pas ; là-haut tu seras écrasé. Je ne te permettrai pas de descendre avec moi dans le puits. Le lièvre dit : Soit ! Si tu ne me permets pas de rester avec toi, je ne t'écouterai pas non plus (?). Je vais chercher de l'eau pour boire et je reviens.

Le lièvre alla droit à un endroit où les hommes faisaient des réjouissances et, en passant devant, il leur cria : Le tigre est tombé dans le puits, ô hommes ! allez tuer le tigre ! Les hommes laissèrent le théâtre de la fête et des gâteaux plein la salle et partirent. Le lièvre vint dans la salle et mangea tous ces gâteaux. Ensuite il prit toutes les écuelles et les tasses où l'on avait mis les gâteaux, les entassa et les recouvrit d'une natte. Il prit un mouchoir rouge que l'on avait offert au Srok et l'enroula autour de la tête ; ensuite il se mit à frapper sur un tambour.

Les hommes qui étaient allés tuer le tigre le virent dans le puits. Le tigre eut peur d'eux et poussa un rugissement ; les hommes eurent peur du tigre et s'enfuirent. Le tigre sauta hors du puits et se sauva dans la forêt. Quant au lièvre, il battait du tambour dans le village. Les hommes revinrent chez eux. Quand le lièvre les vit il sauta sur le faîte de la maison où il s'accroupit. Les hommes rentrèrent dans la salle et virent que les gâteaux avaient disparu ; ils virent les écuelles et les bols que le lièvre avait entassés et enveloppés d'une natte ; alors ils se dirent : Le lièvre s'est couché dans la natte. Ils frappèrent dessus avec un bâton et cassèrent tous les bols. Ensuite ils virent le lièvre qui se tenait sur le faîte de la maison, la tête entourée d'un mouchoir rouge. Ils s'exhortèrent à le cerner pour le battre ; mais, ayant entouré cette maison, le lièvre sauta sur une autre ; ils allèrent chercher des filets et les tendirent autour du mur de terre (?). Ensuite ils prirent un tison et mirent le feu à cette maison. Le feu dévora la maison, mais le lièvre s'enfuit.

Le lièvre épia la maîtresse de la maison où l'on faisait cette fête et où il avait mangé ces gâteaux. Elle était allée au marché pour acheter des gâteaux, des bananes, du sucre pour la cérémonie. Le lièvre la vit et la reconnut qui revenait du marché. Il courut se coucher au milieu du chemin et fit semblant d'être mort pour que cette femme le mit dans le panier et qu'il y mangeât tous les gâteaux. La femme revenant du marché vit le lièvre mort au milieu du chemin. Elle dit : C'est le lièvre qui a mangé mes gâteaux ; les prok et les patra seigneurs de notre maison l'ont tué sans doute. La femme prit le lièvre et le mit dans le panier de gâteaux qu'elle portait sur la tête. Arrivée chez elle, elle posa le panier par terre, le lièvre sauta hors du panier et disparut. La femme ouvrit le panier pour regarder et vit que le lièvre avait mangé tous les gâteaux. Alors elle dit : Voilà un lièvre bien trompeur.

Le lièvre courut et rencontra l'éléphant qui pleurait. Le lièvre lui demanda : Que t'est-il arrivé pour que tu pleures ? L'éléphant répondit : Le tigre et moi nous avons parié de rugir. Si je rugissais de manière à faire tressaillir tous les quadrupèdes et tous les oiseaux de la forêt, je devais manger le tigre ; si le tigre rugissait à les faire tressaillir, il me mangeait ; si nous réussissions également tous les deux, quittes, si je rugissais à faire tressaillir les oiseaux je mangeais le tigre, mais je ne les ai pas faits tressaillir ; le tigre les a faits tressaillir, j'ai été vaincu par lui, et le tigre veut me manger ; il m'a fixé demain matin comme terme.

Le lièvre dit : Laisse-moi te sauver. Fais-moi un paquet de chiques de bétel et demain matin quand tu me verras courir sur toi et te frapper de mes cornes, fais semblant de tomber et d'être mort, roule-toi deçà et delà tant que je ferai semblant de te frapper.

L'éléphant obéit au lièvre, prépara des chiques et les lui donna. Le lièvre chiqua le bétel, ensuite il frappa de la corne, il poursuivait l'éléphant et le frappait, l'éléphant faisait semblant de se rouler, et le lièvre lui crachait le bétel sur le corps. Le tigre vit le lièvre frapper ainsi l'éléphant, il vit les crachats rouges qu'il lui avait crachés sur le corps ; il se dit : Le lièvre a encorné l'éléphant et le sang coule. Il eut peur du lièvre. Le lièvre courut sur le tigre et celui-ci s'enfuit dans la forêt.

En chemin le tigre rencontra la tortue qui lui demanda (ce qu'il avait), et le tigre lui raconta toute l'affaire. La tortue dit au tigre de couper une liane et de l'attacher à sa ceinture pour qu'elle le menât manger le lièvre. Le lièvre vit la tortue amener le tigre pour le manger, il courut sur eux et le tigre se sauva dans la forêt. Il traîna la tortue qui se heurta à des souches et le sang lui coula de la gueule. Le tigre traîna la tortue dans la forêt, et, se retournant, il la vit morte mais il ne savait pas qu'elle fût morte et croyait qu'elle s'était endormie, et quant au sang qui lui coulait de la bouche, il le prenait pour des restes de bétel.

La tortue reprit ses sens et dit au tigre : Si tu veux lécher ce bétel, lèche-le et le tigre lécha ce bétel qui était le sang de la tortue[6].



  1. Ce conte se retrouve chez les Cambodgiens (voir Aymonier, Textes khmêrs) et même chez les Annamites qui l'ont emprunté à leurs voisins. (Voir contes et légendes annamites, 48-44.)
  2. C'est le condiment bien connu obtenu par la fermentation du poisson. Je me sers du mot annamite qui est familier à tout le monde en Cochinchine.
  3. Le lièvre emploie ici un procédé d'équivoque familier aux Annamites et dont on trouve du reste des exemples dans Rabelais. Il allie la finale d'un mot avec l'initiale de l'autre. Hay êh tapwutj n'a pas de sens par lui-même ; il n'est destiné qu'à faire penser à hivutj êh tapay (je sens) ou sentez la crotte de lièvre.
  4. Le tigre et la loutre jouent le rôle des buffles mais, dans leur émoi, ils ne répondent pas à cette appellation.
  5. Sharanai, nom d'un instrument de musique.
  6. La fin de ce conte paraît écourtée et peu cohérente.