Contes pour les bibliophiles/Les Romantiques inconnus


LES


ROMANTIQUES INCONNUS


LES ROMANTIQUES INCONNUS


D’autant qu’il m’en souvienne, ce fut au retour d’une excursion de quinzaine en Vénétie que, au milieu du désespérant fouillis de papiers déposés sur ma table en mon absence, je trouvai, pliée en six, sous bande, une large affiche rouge de papier pelure d’oignon, que j’ouvris aussitôt, — Dieu sait pourquoi ! — de préférence à beaucoup d’autres prospectus, et je lus, avec une attention soutenue, sur le corps noir en gras des pataudes bas de casse des imprimeries provinciales, la mention suivante dont j’ai conservé, depuis lors, fort précieusement le texte :

VENTE PUBLIQUE
pour cause de décès

Le dimanche 27 mai 188… et jours suivants, à une heure et demie du soir, Adjudication de la Bibliothèque de feu M. Léon Bernard d’Isgny, ancien Lieutenant de Louveterie. — La Dite Bibliothèque composée d’environ Douze Mille volumes rares et curieux, livres anciens et modernes, ouvrages de littérature, d’histoire, de religion, voyages, romans, mémoires, traités de chasse, de fauconnerie, d’équitation ; histoire des provinces, nombreux livres illustrés du xixe siècle, collection précieuse d’écrivains romantiques, etc., etc., dont la vente aura lieu au Château d’Isgny, par Ouville-la-Rivière, à 16 kilomètres de Dieppe. — Notaire, M. Grandcourt, à Varangeville.

C’était tout, — mais, dans la concision de sa teneur, cette affiche me bouleversait littéralement. — Bernard d’Isgny était mort, sa bibliothèque mise à l’encan, ses Romantiques dispersés !… Cette simple succession de faits logiques appris par cette banale annonce m’ahurissait et j’hésitais a y donner croyance. — J’écrivis donc aussitôt à Me Grandcourt, à Varangeville, qui s’empressa de me confirmer la véracité de ces nouvelles troublantes. Bernard d’Isgny était mort au mois de janvier précédent, ne laissant aucun Testament, et ses héritières indirectes, les demoiselles Bellefeuille de Saint-Aubin-Offranville, avaient décidé la vente a l’amiable du Château et la mise aux enchères de la Bibliothèque.

Le pauvre vieux Lieutenant de Louveterie ! Je ne pouvais me faire à l’idée de cette disparition ! — Je l’avais connu dix ans auparavant sur la petite plage déserte de Quiberville, où il avait campé un petit chalet dominant la mer, sur la falaise de Sainte-Marguerite, aux avant-postes de sa propriété, à six kilomètres de son manoir.

Nous nous étions liés, grâce à la solitude de notre villégiature, dans le bercement un peu brutal d’une mer houleuse, à huit cents mètres au large, et tous deux nageant avec force, en dominant la houppée du flot, nous étions revenus au rivage, à travers les courants de la marée montante, bavardant à distance d’une voix forte au milieu du jeu d’escarpolette des hautes vagues.

Aussitôt revêtus, nous avions fait une réaction commune sur le galet, en lançant, dans les arrêts d’une promenade hâtive, des pierres au loin.

— C’était un grand quinquagénaire maigre, mais solidement découplé, la chevelure grise en broussaille, la moustache retroussée et la barbiche en pointe, comme un capitan de Velazquez.

La voix était un peu voilée de mélancolie, comme la voix des solitaires plus habituée aux soliloques intimes qu’aux discours animés des conversations, qui sont l’escrime des cordes vocales. Mais cette voix était douce, nuancée, harmonieuse et séduisante ; elle sonnait un ton de franchise loyale qui faisait le bonhomme irrémédiablement sympathique.

je le revis presque chaque jour à l’heure du flot, comme il disait, à cette heure qui est aussi attirante pour les amoureux de la mer que l’heure de la verte pour les amants de l’absinthe. Nous devisions jusqu’à la brune sur le galet ; sa causerie était brillante, imagée, caustique et très délicatement lettrée. Il semblait muni intellectuellement sur toutes questions qui se présentaient ; il aimait a citer ses auteurs, mais en dehors des citations courantes et des textes banaux : avec grâce, sans pédanterie, d’un ton enjoué qui aérait ce que son érudition pouvait avoir de renfermé, de lentement accumulé et d’austère.

Le jour où je lui parlais des attractions toujours renaissantes de la passion bouquinière et du compagnonnage fidèle et fortifiant de nos amis les Livres, son œil s’alluma tout à coup comme un phare tournant :

« Vous les aimez ? m’interrogea-t-il, avec un éclat de joie.

— Si je les aime !… lui dis-je, mais je les chéris à l’égal de la Grande Bleue qui nous captive, car ils représentent l’infini de l’entendement humain et l’océan des idées ; un océan à la fois soulevé par le vent de la douleur et de la désespérance, caressé par la brise des ambitions morales, un océan berceur dont jamais nous ne nous lassons, car il recèle la houle tumultueuse du génie, l’azur limpide du talent et la petite vague frisée de la fantaisie… Si j’aime les livres !… mais vous-même ? »

Pour toute réponse, il me tendit franchement la main à l’anglaise. « Venez demain, dit-il, la-bas, à Isgny ; vous verrez mon Océan, l’autre, celui dont vous parlez si bien. Soyez là, à l’heure du déjeuner, nous aurons l’après-midi à nous, pour nous plonger et nager à pleines brasses dans l’infini des pensers élevés. Ny manquez pas. Je vous attends. »

Le château d’Isgny m’apparut comme une solide demeure normande, bâtie en silex et en briques, couverte d’ardoises découpées en losange, avec de vastes communs et un vieux parc à hautes futaies relié naturellement à des prairies lointaines. Cette antique gentilhommière bien située, à mi-côte, et arrosée par la rivière la Sane, dont les eaux vives et transparentes miraient le ciel et le feuillage, avait les apparences d’une retraite calme et heureuse qui mettait en ap petit d’y vivre et de s’y reposer dans une philosophie digne d’Horace et de Virgile.

L’ancien Lieutenant de Louveterie y avait orné son existence dans un célibat très réfléchi, après avoir donné la première partie de sa vie au tourbillon du monde et a l’intérêt des voyages. Peu de valetaille dans cette solitude, et, pour tout équipage, un cabriolet très Louis-Philippe, encore assez confortable et qu’une vieille jument du Calvados emportait vivement dans la poussière

ROMANTIQUES INCONNUS
(Fac-similé d’une lithographie attribuée à Delacroix)
des routes. — M. Bernard d’Isgny me reçut avec affabilité dans son verdoyant

domaine, dont j’eus à visiter l’étendue cadastrale. Après le déjeuner, servi dans une salle toute tapissée de très riantes et très rares faïences de tous styles, de toutes provenances et très ingénieusement disposées sur les dressoirs, les buffets, les crédences anciennes et sur les murailles, l’excellent homme » la mine épanouie, L’œil en gaieté, me mît la main sur l’épaule avec une cordialité émue :

« Et maintenant, dit-il allons prendre le café dans la pharmacie des remèdes de l’âme, comme disait si sagement le Roi Osymandias ;
Vignette de Tony Johannot pour
Le pont de la vie.
passons, si vous le voulez bien, à la Bibliothèque, chez nos grands Amis détection ; suivez-moi. »

Au premier étage du Château, s’ouvrant, par deux larges fenêtres à petites vitres anciennes, sur un délicieux tapis de verdure borné à l’horizon par de blanches futaies d’ypréaux, la Bibliothèque d’Isgny occupait plus de cent vingt mètres carrés de murailles. Les livres reposaient par deux rangs sur de profonds rayons de bois clair, ou chaque volume jouait à l’aise, sans trop décompression ou de mise à l’alignement. On ne sentait pas la bibliothèque de parade, mais l’agencement méthodique et sans prétention du véritable bibliophile abstracteur de quintessences littéraires. La lumière égayante du dehors se répandait également de toutes parts avec la placidité radieuse des intérieurs hollandais. C’était bien le décor rêvé par le philosophe qui se veut retirer du monde, et, dès rentrée, le charme de cette thébaide me pénétra si vivement que je ne pus dissimuler mon ravissement au savant châtelain, qui épiait malicieusement mon étonnement mêlé d’envie.

« Bravo ! le nid vous plaît ! cria-t-il avec un éclat de belle humeur. — Voyez-vous, c’est ainsi que j’aime passer en revue mes bataillons d’auteurs aimés, en pleine lumière rustique, dans le miroitement du soleil, sur ces solides rayons qui supportent tant de gloires ! Je n’ai point, comme dans vos petits intérieurs parisiens, des bibliothèques damerettes ou les reliures montrent leurs ors sous des vitrines noyées dans le clair obscur ; il me semble que tout le jour du ciel, tout l’air de la nature, conviennent mieux à ces brillants écrits où l’âme humaine s’agite, se soulève, chante, pleure ou se met en ironie d’elle-même. La postérité, que nous représentons vis-à-vis de ces livres, c’est déjà le jugement dernier, et le décor me paraît aussi lumineux qu’il convient.

« Permettez-moi de vous guider : Ici, à gauche : Taïaut ! taïaut ! ce sont les livres de vénerie, de chasse, d’équitation, d’escrime, de fauconnerie ; tous les sports des gentilshommes normands, mis en traités et imprimés dans la Province ; en avançant un peu, vous arrivez aux vieux poètes des xvie et xviie siècles, des amis qui m’accompagnent souvent sous les taillis du parc et qui me laissent désencager leur Muse sans en prendre ombrage, je vous jure ;


Frontispice lithographié de la lyre du diable
Poésies infernales.

— plus loin, Messieurs du Clergé ! Vous reconnaissez les robes mauves de la théologie et des thèses diocésaines. À quelques mètres au delà, la pourpre des cartonnages vous signale l’Histoire et les historiens, ces narrateurs de vérités dramatiques et sanglantes qui, malgré toute la froideur des documents accumulés, apparaissent plus invraisemblables que les légendes les plus imaginaires. Vous vous arrêtez en ce moment devant les philologues et les bibliognostes… J’ai tout Gabriel Peignot et le bon Nodier, l’austère J. Brunet et le ponctuel Quérard ; je vous avouerai que je les ai maintes fois annotés, les ayant surpris en péchés mignons, mais… errare humanum ! Vous
Vignette des Orgies d’héliogabali.
avancez hardiment et vous n’avez point tort, vous faites face, cher Monsieur, aux romanciers et plus particulièrement aux Romantiques dont mon catalogue signale plus de 500 ouvrages, parmi lesquels, et c’est là ma fierté, plus de trente publications très curieuses sont totalement inconnues à vos Asselineau et autres Romanticographes. »

« Des oubliés, poursuivit-il ; mais notre foisonnante littérature possède, on peut le dire sans paradoxe, presque autant de génies et de talents ignorés ou dédaignés que de grands hommes reconnus ; il s’agit de les découvrir et de ne relever, dans ses recherches, que de son propre jugement. — À l’âge romantique, Hugo le Tiran s’est dressé si puissamment et si hautement dans la poussée des lettres, comme un chêne miraculeux, qu’il a englouti dans son ombre portée nombre d’écrivains exquis et vigoureux qui se sont éteints et alanguis loin du soleil de la publicité. »

Durant toute cette après-dinée le vieux Lieutenant de Louveterie s’était montré étourdissant aussi bien comme lettré que comme bibliophile. Il me tirait de ses rayons des exemplaires d’auteurs étranges et obscurs de nom, dont il déclamait largement des pages superbes qu’il semblait avoir apprises de longue date ; il chantait des sonnets sonores, claironnait des stances guerrières, susurrait des idylles fraîches de Jeunes-France totalement inconnus, et, bouleversant avec une ardeur fougueuse les étages de sa bibliothèque, il me sortait avec joie des exemplaires frontispices de bizarres eaux-fortes et de mirifiques lithographies, lançant avec fièvre ce cri du possesseur :

« … Et celui-là, vous l’ignoriez !… Un superbe Nanteuil et de la bonne époque ! — mais ce n’est rien encore ; regardez ceci : quel truculent Johannot ! il n’est signalé nulle part ; je ne veux pas omettre de vous faire également admirer ces fines vignettes de Gigoux, de Louis Boulanger, de Devéria, de Wattier
Portrait de Philothée O’Neddy.
et autres, sur des ouvrages que je crois être le seul à posséder ; tous ces exemplaires non rognés, avec couvertures, selon les grands principes conservateurs ;…vous êtes ébloui, renversé, je suppose, et ma Romanticomanie s’exalte devant votre ahurissement, car, possédant tant de volumes inconnus de tous, je m’enorgueillis souvent jusqu’à me croire le Saint Pierre vigilant du Purgatoire Romantique ! »

De fait, j’étais littéralement aplati, grisé de surprises jusqu’à la fatigue cérébrale et travaillé par ce papillotement de l’œil qui décèle l’engourdissement comateux. Il m’avait fallu inconsciemment venir en pleine campagne normande, dons ce Château perdu dans la verdure, pour reconstituer comme dans un rêve toute une bibliographie romantique d’un ordre très intéressant et d’une illustration suprêmement fantastique ! — Car,
Vignette de E. Lami pour
Monsieur Joseph.
il n’y avait pas à barguigner ou à discuter : Bernard d’Isgny me mettait en main des ouvrages d’origine incontestable et qui, Dieu sait comment, avaient pu échapper aux investigations de tous les catalographes pour mystérieusement prendre rang dans cette belle bibliothèque de gentilhomme campagnard, laborieux et fureteur.

Lorsque je pris congé de lui, j’étais comme le dormeur éveillé de la légende orientale, très incertain de mes visions, et mon inquiétude d’inconscience ne fit que s’exaspérer par la suite, quand, au contact de mes amis bibliophiles, je percevais l’hilarité qui saluait le récit de cette visite à des Romantiques inglorieux et ignorés, bien vite taxés d’imaginaires. Plus je citais de titres et plus je glosais sur ces œuvres inapercevables, plus j’étais taxé d’illuminé ou de Gascon fantaisiste. — « Connaissez-vous, me disaient les plus malicieux, un des plus rares de tous, édité à Marseille, chez Marius De Crac, sur la Canebière, sous le titre : le Château des Merles Blancs ou les Nouveaux Contes

à dormir debout ? » — Je rougissais et rugissais d’indignation de me voir aussi méconnu que les Romantiques du sieur d’Isgny. — C’est pourquoi, lorsque, après dix années de honte bue, je reçus cette affiche de vente publique de la Bibliothèque de l’ex-Lieutenant de Louveterie, récemment décédé, on comprendra que je n’hésitai pas une seconde. Je résolus de pousser la charge au feu des enchères pour la possession et la mise en lumière de ces ouvrages indépendants qui n’avaient point su se laisser immatriculer ni par Pigoreau, ni par Asselineau, ni même par le Journal officiel de la Librairie. — Mystère insondable ! Mystère profond comme l’Abîme ! eût clamé Pétrus Borel, le Lycanthrope !


II


Malgré la proximité et la facilité du voyage opéré par un temps radieux, je dois avouer que les amateurs et la librairie parisienne ne me firent guère concurrence le 27 mai 188.. au château d’Isgny. Le notaire, Me Grandcourt, de Varangeville, avait, je pense, maigrement fait sa publicité, car le monde des acquéreurs était clairsemé et plus particulièrement composé de curieux Dieppois et de Bibliophiles rouennais qui se disputèrent, avec un noble acharnement, les traités de Vénerie et les vieilles chroniques normandes portant la marque des anciens imprimeurs de Caen, d’Évreux, de Lisieux et de Rouen.

Sur le terrain littéraire et romantique, je vainquis sans péril et triomphai sans gloire. — Selon l’expression rustique, je réalisai toutes mes convoitises « pour un morceau de pain », et je revins au logis plus fier qu’Artaban, ayant dans ma valise plus de trente volumes extravagants, ruisselants d’inouisme, ténébreusement inconnus de tous, et que je me fis un plaisir d’inventorier avec un ronronnement de félin satisfait.

J’apportai dès lors une réelle arrogance vis-à-vis de ces mêmes co-Bibliophiles qui m’avaient jadis si vertement raillé sans pitié, et je convoquai le ban et l’arrière-ban des Amis du XIXe. Tous s’en allèrent confondus, ayant mal au foie, criant vengeance contre les bibliographes et les historiens de la révolution littéraire de 1830. La beauté incomparable des frontispices de Célestin Nanteuil, de Tony Johannot et d’Eugène Lami leur glissa dans la bile l’encre amère de l’envie, et je bus vraiment du lait durant un moment, à la vue de ces damnes de l’Enfer des Bibliofols qui se tordaient devant les couvertures immaculées, les épreuves sur chine et les marges à pleines barbes, sans une tare ni une piqûre dans la pâte du papier ; ils maniaient les exemplaires avec rage, râlant d’une voix rauque qui m’apostrophait : L’Animal veinard ! et non coupé, par-dessus le marché ! — Pendant six mois ce fut une apothéose.

Les libraires de la jeune Bibliophilie pschuteuse se succédèrent dans mon cabinet apportant, avec l’espérance de cessions possibles, toutes les séductions et tous les transformismes des Jupiters mythologiques ; portefeuilles nourris comme pour une foire aux bestiaux, offres d’échanges, tantalismes d’ouvrages du siècle dernier, dessins originaux. Que sais-je encore ? — J’apprenais que le petit B… agonisait de dépit, que le vieux K… jaunissait dans l’attente, que le gros M. avait juré de compléter ses Nanteuil par les miens, et je demeurais fier comme Albion et inexpugnable comme elle sur mon îlot d’exemplaires uniques.

Peu à peu cependant l’effervescence se calma, il y eut armistice, et la feinte indifférence des combattants me semble aujourd’hui si pénible, mon abandon de bibliophile si amer après les branle-bas de naguère, que je me suis juré de réveiller de nouveau les hostilités en démasquant très ouvertement ainsi que des batteries mes principales richesses au monde des curieux, en ce moment en pleine accalmie.

De ce sentiment de combativité provient le récit qui précède et le catalogue sommaire que je vais exposer aux yeux allumés des Romanticolâtres.
Vignette non signée pour
Les larmes de l’athée ou le retour du crucifix.
— J’aime assez à tisonner l’envie, à m’éclairer du reflet de ses flammes et à écouter la musique par pétarades de ses étincelles. — En avant donc ! Que l’esprit d’Asselineau me seconde ! Voici la nomenclature des Romantiques inconnus du château d’Isgny.

1o Les Gondoles du cœur ou les Bercements de l’Amour, poésies, par Joseph d’Ortigues. Paris, Eugène Renduel ; 1831. In-8o de vi et 295 p. — Très beau frontispice de Célestin Nanteuil, en double état sur chine ; couverture bleu d’eau, avec vignette sur bois représentant une gondole fermée ; pour épigraphe, ces vers sur le gondolier :

Un beau chant, alterne comme une flûte antique.
S’en vient saisir votre âme et vous enlève aux cieux ;
Vous pensez que ce chant, cet air mélodieux
Est le reflet naïf de quelque âme plaintive,
Qui ne pouvant le jour, dans la ville craintive
Épancher à loisir le flot de ses ennuis,
Par la douceur de l’air et la beauté des nuits
S’abandonne sans peine à la musique folle,
Et, la rame à la main, doucement se console
Et, la rame à la main, doucement se consolexxxxA. B.

Exemplaire à toutes marges :

2o Les Crinières romantiques ou les Lions de Paris, par Abel Hugo. Paris, Persan ; 1823. In-18 de 312 p. Exemple broché, avec portraits de Nodier, Guiraud, Ancelot, A. Soumet, etc. (de toute fraîcheur).

3o Tiberge (Abbé). — Un Bal chez la Reine Amélie, roman, par l’auteur d’Une Fille de joie. 2 vol. in-8o (Imprimerie Cassegrain, au Marais). Paris, Dumont ; 1831. Superbe frontispice d’Eugène Lami, représentant un bal à la Cour, avec les portraits distincts des membres de la famille royale. Vignette non signée sur le titre. Broché, non coupé.

4o La Fille d’Ophélie ou le Fantôme d’Elseneur, par Alphonse Giraud. 1 vol. in-8o de 418 p., impression gothique. Paris, Eugène Renduel ; 1831. — Frontispice de Célestin Nanteuil, le plus beau connu, dont nous donnons la reproduction. Épreuve sur chine volant. Très bel exemplaire avec sa couverture originale. Sur le titre, un château en ruine et ces mots de Shakespeare formant épigraphe : — « Ne soupirez plus, femmes ! ne soupirez plus ! les hommes furent toujours trompeurs, un pied dans la mer, l’autre sur le rivage. Constants en une chose : jamais ! »

5o Les Tortures de Don Juan ou la Victime des femmes, contes par Paul Foucher, Paris, G. Barba ; 1832. 1 vol. in-8o de iv et 247 p. Frontispice gravé sur

ROMANTIQUES INCONNUS
(Fac-similé d’une eau-forte de Célestin Nanteuil)
bois, non signé. — Sur le titre en épigraphe Il n’y eut jamais de séducteurs,

toujours des hommes séduits.

6o L’Armagnac noire, légende de la vieille France » par Ernest Fouinet, In-8o Paris, Silvestre ; 1831. Lithographie de Jehan Parlin. — Sur le titre, cachet de cabinet de lecture, La couverture manque.

7o La Mansarde du Proscrit ou les Veillées de Montmartre, par P.-L. Jacob, bibliophile, 1 vol. in-12. Paris, Delaunay ; 1837. Exemplaire relié et rogné. Ex dono du Bibliophile Jacob à M. de Salvandy.

8o La Grisette des Lilas, par Louis Huart. Paris, Abel Ledoux ; 1833. 1 vol. in-8o, avec vignettes sur chine, de Boisselat. — Broché dans un étui de percaline. — exemplaire aussi frais que possible.

9o La Chasteté des Muses, poésies par M. de Tercy, auteur de la Prière du soir, 1 vol. in-8o de 204 p. Paris, Cabassol ; 1839, — Vignette de Camille Rogier, gravée par Cherrier. Couverture rose tendre sans fleuron. Broché, d’une belle conservation »

10o Le Pont de la Vie, par le baron de Lesser. Délicieuse vignette de Tony
Vignette de Gigoux pour
Les souterrains de l’abbaye.
Johannot, gravée par Thompson. 1 vol. In-8o, Paris, Giraudat ; 1839. — Roman très curieux et dramatique, dont Bouchardy s’est inspiré pour l’un de ses principaux drames. Relié avec dos en maroquin anglais.

11o La Lyre du Diable, poésies infernales, par Henri lier thoud, 1 vol. in-8o de 367 p, Paris, Ledraîn ; 1827. Joli frontispice compose pur Pétrus Ringard. Exemplaire intact avec sa couverture rouge et noire. — Nous reproduisons l’étonnant frontispice de Pétrus Ringard*

12o Les Orgies d’Héliogabale, contes féroces, par Jules de Saint-Félix, 1 vol. in-8o, Paris, Pelicier ; 1828. Ravissante vignette de E. Wattier, formant cul-de-lampe. — Exemplaire cartonné, non rogné.

13o Le Boucher de Béthune, roman, par de Saint-Mégrin (?), 2 vol. in-8o Paris, Busquin-Desessart ; 1834. Ouvrage des plus curieux, orné d’un saisissant frontispice d’une rare beauté d’exécution et non signé, mais qu’on pourrait attribuer a Delacroix dans sa première manière. Exemplaire avec sa couverture. — Épigraphe du titre : Du sang ! du sang ! du sang ! à la brute altérée !

On trouera en gravure hors texte la reproduction du frontispice.

14o Les Cendres de la Passion, poésies, par Philothée O’Neddy, avec un portrait de l’Auteur de Feu et flammes. Paris, imprimerie de Dondey-Dupré ; 1831. 1 vol. in-8o de 398 p., avec une épître dédicatoire au lecteur en forme de rondeau. — Seul portrait connu de Théophile Dondey. Sur le faux titre, ces vers du catéchisme bousingot de Philothee l’hirsute :

Amour, enthousiasme, étude, poésie !
C’est là qu’en votre extase, océan d’ambroisie,
Se miraient nos âmes de feu !
C’est là que je saurai, fort d’un génie étrange,
Dans la création d’un bonheur sans mélange.
Être plus artiste que Dieu ! ! !

Rodomontade.

15o Monsieur Joseph ou la Pudeur alarmée, par l’auteur de Madame Putiphar (Petrus Borel). 2 vol. petit in-8 ocavalier. Paris, Eugène Renduel ; 1839. Imprimerie de Terzuolo. Vignettes sur bois de Louis Boulanger, Frontispice d’Eugène Lami, gravé par Porret. — Sur les deux couvertures, l’épigraphe choisie par le Lycanthrope est : Madame ! Madame ! que faites-vous ? — Superbe exemplaire sur papier jonquille.


Vignette de Gigoux pour le fils de cromwell.
16o Les Frissons du tombeau ou les Résurrections, contes funèbres, par Charles de Lourcy. Cherbourg, chez Alcide Lebieu ; 1829). Frontispice non signé, à la manière noire. 1 vol. in-18. État de neuf, Contes très étranges, qui révèlent un réel talent de styliste coloré et vibrant. — Nous reproduisons le frontispice.

17o Les Larmes de l’Athée ou le Retour au Crucifix, roman tumultueux et moral, par M. ***. Paris, Ladvocat ; 1833. 1 vol. in-8o de 338 p. — L’auteur inconnu de cet étonnant torrent d’idées blasphématoires et recueillies pourrait bien être Regnier-Destourbet, dont on retrouve plus d’une analogie de style. Cet ouvrage mériterait une étude ; c’est le livre de la plus grande véhémence romantique que nous connaissions jusqu’ici.

18o Edgard le Taciturne ou l’Étrangleur de femmes, légende du xie siècle, par Julîus Sorel. Illustration de Tony Johannot, gravée par Porret. Paris, Desessart ; 1832. 2 vol. In-8o raisin.

Genre troubadour et Anne Radcliffe. — Ces deux volumes brochés. Légères mouillures sur le faux titre du tome II.

19o Alma et Clodamir, par M. Bouchardat. Roman de 293 p. in-12. Caen ; 1827. Vignette de Colin, lithographiée par Bertrand, Rue froide. Petit roman vertueux, sentimental et très dessus de pendule. Genre Restauration, à peine éclaire par l’aurore du Romantisme.

20o Crânes et Tibias, poésies chrétiennes, par Jean Polonais, avec un dessin de Carolus Marchenoir, lithographie de Motte. Paris. Curmer ; 1829. 1 vol. in-8o. — Sur le faux titre, un scoliaste a écrit : « L’auteur de ces poésies est étranger, mais son style n’en est pas moins élégant, et beaucoup de nationaux envieraient sa pureté. »

21o Les Souterrains de l’abbaye, par Alphonse Brot, Paris, Auguste Lahot ; 1835. 1 vol. petit in-8o, Illustration de Gigoux, gravée par Porret. — Roman humide et sternutatoire, ainsi que son titre l’indique. Exemplaire dont la couverture est maculée d’un cachet singulier sur lequel on lit : Bibliothèque du Bagne.

22o Les Amours d’un Squelette, poésies d’outre-tombe, par Timoléon Aubiernet. Vignette lithographiée par Porret. 1 vol. in-12. Paris, Pelicier ; 1827. Ce livre est dédié à Dorothée *** avec les vers suivants :

Ah !… ma flamme ressemble à la lampe des morts ;
Sans fin comme elle, et comme elle invisible,
Rien ne pourra l’éteindre ; aux soucis, aux remords,
Son triste feu survit inextinguible.

Un souvenir de toi, voilà ce que ma tombe
Veut pour reliques et pour tous ornements.
Mais ton oubli !… mon cœur à ce penser succombe,
Lui qui brava la vie et ses tourments.

23o Le Dernier des Mérovingiens, tragédie en cinq actes, en vers, par Charles Huret. Paris, Tenré ; 1833. In-8 Û. Grande lithographie de A. de Pujol Drame shakespearien, formidablement sanguinaire, ou tous les personnages

meurent assassinés les uns par les autres Le héros T Méruaid, succombe le dernier. Après avoir, durant cinq actes, perpétré les crimes les plus noirs, il s’écrie, blessé à mort, avant la chute du rideau :

J’aî fauché tous les miens ; ô gerbes magnifiques ! Leurs têtes, lourds épis, reposent pacifiques Et je vais m’endormîr : Deus sit cum tilts ! Calme comme Bacchus dans son dégobillis.

24o Edith, la Belle au cou de cygne, ou le chant d’Hasting, poème, par Ulric Guttinguer. Composition de Deveria, gravée par Brewère. Pans, Charles Gosselin ; 1830. 1 vol. in-8o. Au crayon, sur les gardes, se trouve écrite cette réflexion :

« Poème assez fade et nébuleux de l’ami auquel Alfred de Musset adressa tant de charmants vers, — On sent que l’auteur, en appliquant son talent à ce sujet septentrional, a rendu sa muse poitrinaire et défaillante. »

25o Le Fils de Cromwell, ou la Galerie de Whitehall, drame en cinq actes, en vers, par M. d’Epagny. Vignette de Gigoux sur le titre, 1 vol. in-8o. Paris, chez Bossange père ; 1830. Exemplaire en très bel état, non rogné ni piqué.

Sur la première page, on a collé cet extrait de journal :

« L’intrigue de ce drame est trop compliquée pour que nous puissions l’analyser ici ; le Fils de Cromwell a réussi au Théâtre-Historique ; cependant, il a été interrompu par suite de la fermeture du théâtre, et n’a pas été repris. »

26o Les Fiancés de Devonshire, conte, par Victor Boreau. Vignette de Louis Boulanger sur le titre. Paris, chez Hivert, quai des Grands-Augustins ; in-8o.

27o Les Ruines du Château ou les Charmes de la solitude, roman, par Albert Desbordeliers. Paris, Louis Janet ; 1830. 1 vol. in-12. Joli petit frontispice signé de Devéria, gravé par Quarteley. La première page s’ouvre par ces vers :

Salut, murs que couronne et la ronce et le lierre !
L’homme ne voit en vous qu’un vain amas de pierre
Qu’habite le reptile et que ronge le temps ;
Mais le sage, à qui Dieu révèle sa pensée,
Voit dans tous vos débris la piété tracée
En caractères éclatants.

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Oh ! comme dans ces lieux, lorsque règne l’automne,
Le voyageur bercé par te bruit monotone
Des dépouilles des bois qui jonchent le vallon,
Aime à Livrer son âme aux sombres rêveries,
S’il voit Je jour s’enfuir et les feuilles flétries
Suivre le vol de l’aquilon !

Exemplaire sur papier vert pâle, non rogné.

28o Le Cimetière des Damnés, roman Scandinave, par le comte Gaspard de Pons. 1 vol, in-18, avec vignette non signée. Paris, Ambroise Dupont ; 1831. Légende véritablement trop mortuaire et qui décèle chez son auteur une nécrophilie déréglée et incurable.

Admirable lithographie frontispice non signée, représentant des squelettes et des potences. — On la trouvera reproduite dans ce catalogue.

29o Marias l’Enamorado ou Amour et Destinée, par Ferdinand Denis, À Saragosse (?), chez Luiz Gaspar y Pelez ; 1834. In-16 de 400 p. — Le lieu d’impression nous semble devoir être une supercherie. Il est bon de la signaler à M. Gustave Brunet, de Bordeaux, qui vient de terminer le supplément au Barbier et au Quérard.

30o Soulas et Plaisir, Rondeaux et Ballades, Parangon des Poésies du bon vieux temps, par M. de Baour-Lormian. 1 vol. in-8o de 296 p. Impression gothique, dans un encadrement ogival de style feuillu. Paris, Gosselin ; 1832.

Poésies remplies des images éclatantes chères à Baour-Lormian, qui fut un M. de Jouy rongé par les vers. Ce ne sont que « globes d’albâtre », « cheveux que des lis teint l’éclat argenté », « palais de porphyre », « vierges de lumière et réseaux d’ébène de la nuit ». Genre éminemment Pompier, mais le plus curieux de tous les Baour-Lormian comme note exaspérée de la métaphore.

Tels sont les trente volumes qu’il me fut donné d’acquérir au Château de mon défunt compagnon de natation, Bernard d’Isgny. Je puis affirmer que ces trente exemplaires sont absolument uniques, ayant depuis de longs mois remué en vain la Bibliothèque nationale, l’Arsenal, Carnavalet et lu tous les catalogues à prix marqués et autres bibliographies et Répertoires mis en circulation publique et privée. Tous les limiers de la librairie mis en marche active, toutes les demandes en forme de desiderata insérées dans les publications les plus répandues n’ont servi jusqu’ici


Lithographie. Frontispice non signé du
cimetière des damnés.

qu’à me confirmer plus amplement de l’état unique et mystérieux de mes Romantiques inconnus. C’est en vain que j’ai fait réclamer en vedette, dans les feuilles curieuses de France et de l’étranger, des frères jumeaux de ces enfants égarés, c’est inutilement que de vive voix j’ai fanfaré leurs louanges : ces merles blancs n’ont point de semblables. Je ne saurais dire évidemment par quelles aventures bibliolithiques ils sont ainsi solitaires ; je ne veux point m’aviser de penser qu’ils aient été faits pour le plaisir de feu Bernard d’Isgny, ou qu’ils soient les seuls survivants de ces lots innombrables de livres qui, si j’en crois Frédéric Soulié, étaient, vers 1840, immergés par milliers en haute mer pour désencombrer les éditeurs. — Ils sont uniques ! uniques ! uniques ! Je le puis proclamer. — Aussi je songe avec une morgue très castillane à l’ahurissement des bibliographes futurs, lorsque ces ouvrages singuliers apparaîtront dans ma vente post mortem avec des demi-reliures genre Thouvenin, exécutées par le maître Cuzin, ou vêtus de plein cuir ciselé avec des rinceaux et des rosaces cathédralesques, exécutés par les plus habiles relieurs faussaires de cette époque. — Quel tapage, alors, mes amis, chez la gent bouquinière ! — La Bibliographie des ouvrages illustrés du xixe siècle sera toute a refaire, et l’âme de Jules Brivois hurlera plaintive, lointaine et désespérée dans les profondeurs inconcevables de l’Enfer des Bibliophiles.


Vignette de Louis Boulanger pour les
(Fiancés de Devonshire)