Contes populaires de la Gascogne/Le Bâtard

Contes populaires de la GascogneMaisonneuve frères et Ch. Leclerctome 1 (p. 287-304).

II

le bâtard



Il y avait, autrefois, à Sainte-Radegonde[1], un enfant qu’on appelait le Bâtard, parce qu’il n’avait jamais connu ni son père ni sa mère. Cet enfant gagnait sa pauvre vie à garder les brebis, dans le bois de Réjaumont[2].

Un jour d’été, le Bâtard gardait au bois, comme de coutume. Il était midi. Le soleil rayonnait, et l’enfant dormait un moment, couché au pied d’un vieux chêne. Tout-à-coup, il entendit des cris terribles, et se réveilla. C’était un grand aigle qui venait du côté de la Montagne[3], et qui volait aussi vite que le vent. Le grand aigle vint se jucher à la cime du vieux chêne.

— « Bâtard, Bâtard, le bien nommé, écoute, écoute. Ta mère est morte, et tu ne la verras jamais, jamais. Elle est morte, après avoir longtemps pleuré son péché. Maintenant, elle est avec le Bon Dieu. Ton père est le roi de France, et la preuve de ce que je te dis est écrite dans ta bouche. Si, avant le moment manqué, tu viens à montrer ta langue à tout autre qu’à ton père, qui doit la voir le premier, le fils du roi de France et sa mère le sauront, et ils te feront mourir. Quand il sera temps de faire ta première communion, attends de trouver un prêtre mort, qui te confessera, qui te donnera l’hostie, et qui ne pourra dire à personne ce qu’il aura vu et entendu. Si tu fais ce que je te commande, tu seras roi après ton père. Mais tu n’es pas à la fin de tes épreuves, et rien ne te sera donné que tu ne l’aies cent fois gagné. »

Alors, le grand aigle repartit, en criant, du côté de la Montagne, et il ne revint jamais, jamais.

Depuis ce moment, le Bâtard songea nuit et jour à ce qu’il avait vu et entendu. Jamais le curé de la paroisse ne put le décider à faire sa première communion. Pourtant le Bâtard était bien vu de tout le monde, car il était dévot comme un prêtre, fort comme une paire de bœufs, et toujours prêt à faire service à chacun.

Quand le Bâtard eut vingt ans sonnés, il partit, un dimanche matin, pour entendre la grand’messe à l’église de La Sauvetat[4]. À cette messe, se trouvait une demoiselle de quinze ans, belle comme le jour, et honnête comme l’or. C’était la fille d’un noble, qui demeurait au château de Sérillac[5]. Aussitôt, le Bâtard tomba amoureux fou de la demoiselle ; et, le soir, il ne la quitta pas des yeux, pendant toutes les vêpres. Comme elle sortait de l’église, avec ses parents, le Bâtard regarda partout s’il n’y avait pas quelque galant, pour le tuer comme un chien. Par bonheur, il n’y en avait aucun. Alors, le Bâtard pensa :

— « Il faut que cette demoiselle soit ta femme. Autrement, tu es capable de faire de grands malheurs. »

Cela pensé, il attendit que le noble et les siens fussent rentrés à Sérillac, et vint frapper à la porte du château.

— « Bonsoir, noble.

— Bonsoir, Bâtard. Qu’es-tu venu faire ici ?

— Noble, je veux te parler à part. »

Les gens du château sortirent de la chambre, et les laissèrent tous deux seuls.

— « Noble, il faut que ta demoiselle soit ma femme. Autrement, je suis capable de faire de grands malheurs.

— Bâtard, tu auras ma fille à deux conditions. Prouve-moi que tu es noble. Prouve-moi que tu es riche. Je n’ai rien à compter à ma fille, et je ne veux pas marier la faim et la soif.

— Noble, je suis d’un sang plus grand que le tien ; et je te l’aurais vite prouvé, s’il ne m’était commandé de me taire. Riche, je vais travailler à le devenir. En attendant, dis aux galants de s’écarter de ta fille. Autrement, je suis capable de faire de grands malheurs. »

Le Bâtard salua le noble, et sortit. Comme il traversait un petit bois, devant le château, il rencontra la demoiselle.

— « Bonsoir, demoiselle.

— Bonsoir, Bâtard. J’étais derrière la porte de la chambre quand tu es venu me demander en mariage. Bâtard, je ne veux pas d’autre homme que toi. Va t’engager au service du roi de France et gagne-s-y vite assez de bien pour nous faire vivre tous deux avec nos enfants. Si tu reviens compte sur moi comme sur toi. Si tu meurs, je me rendrai religieuse dans un couvent, et je prierai Dieu pour ton âme, jusqu’à ce qu’on me porte au cimetière. »

Le Bâtard salua la demoiselle, et partit. Tout en filant son chemin, il pensait :

— « Voilà une brave demoiselle. Si j’en fais ma femme, je ne serai pas à plaindre. »

Aussitôt, il alla s’engager au service du roi de France, et partit en pays étranger, pour combattre les ennemis. Au bout de trois ans, le général lui dit, devant tous ses camarades :

— « Bâtard, il n’y a pas, dans toute l’armée, un soldat fort et hardi comme toi. Je te fais capitaine.

— Merci, général. Mais il me faut encore autre chose.

— Parle, Bâtard.

— Général, je meurs de peine, en pensant à ma maîtresse, que j’ai laissée depuis trois ans au pays. Donnez-moi cent jours de congé, pour aller la voir.

— Bâtard, pars, et reviens au temps promis. »

Le Bâtard salua le général, et revint en France. En arrivant dans une ville, il aperçut force gens faisant le rond, autour d’un homme qui battait le tambour.

— « Ran plan plan ran plan plan ran plan plan. Vous êtes prévenus tous, de la part du roi de France, qu’il vient de perdre son fils, et que tout le peuple doit prendre le deuil. Pourtant, le roi de France a encore un bâtard, qui s’en est allé on ne sait où. Ce bâtard ne sera reconnu pour héritier de son père que lorsqu’il aura tranché le vent en deux, et prouvé qu’il est de sang royal.

— Bon ! pensa le Bâtard. Le grand aigle ne m’a pas menti. »

Aussitôt, il se remit en route, marchant nuit et jour, pour revoir plus tôt la demoiselle. Enfin, le soir de la Toussaint, il arriva tout proche de son pays. Par malheur, il faisait déjà noir, et d'épaisses brumes couvraient toute la campagne. Le Bâtard perdit son chemin, et il le chercha longtemps, longtemps, sans jamais rencontrer ni une maison ni un homme. À minuit, il arriva devant la porte d’un cimetière perdu dans les champs, avec une église au milieu. C’était l’église de La Roumiouac, qui appartenait aux Maltais[6].

— « Bon ! pensa le Bâtard. Voici du moins un abri. »

Il entra sans peur ni crainte. L’autel était préparé, et les cierges allumés, comme pour dire la messe. Pourtant, il n’y avait personne dans l’église. Enfin, une pierre du pavé se leva. Un vieux prêtre mort sortit de terre, avec l’aube et la chasuble, et s’avança jusqu’au pied de l’autel.

— « Y a-t-il ici quelqu’un pour me servir la messe ?

— Il y a moi, dit le Bâtard.

— Mon ami, il y a bien longtemps que je t’attendais. Quand j’étais vivant, une veuve me donna l’argent de cent messes, à l’intention de son pauvre mari. J’en avais une encore à dire quand je suis mort. Voilà pourquoi Notre-Seigneur m’a condamné à n’entrer en paradis que lorsque je serais quitte. Depuis trois cents ans, je me lève chaque nuit, et j’appelle un clerc. Enfin, il en est venu un, et bientôt je serai tiré du purgatoire. Mon ami, confesse-toi, et sers-moi la messe. Ainsi, tu gagneras la communion. »

Le Bâtard s’agenouilla, se confessa, et servit la messe. Au moment de lui donner la communion, le vieux prêtre mort regarda la langue de son clerc, et se troubla. Pourtant, il continua jusqu’au dernier évangile. Cela fait, il dit au Bâtard :

— « Mon ami, tu as une fleur-de-lys d’or marquée sur ta langue. C’est la preuve que tu es du sang des rois de France. Le jour viendra, sans tarder, où tu seras roi toi-même ; mais tu n’es pas au bout de tes épreuves. Adieu. Tu trouveras, cachée derrière cet autel, une vieille épée de chevalier maltais, qui n’a pas sa pareille pour tuer les ennemis. Moi, je m’en vais en paradis, et j’y prierai le Bon Dieu de te payer le service que tu m’as fait. »

Le vieux prêtre mort rentra sous terre, la pierre retomba, les cierges s’éteignirent, et le Bâtard demeura seul dans l’église, jusqu’à la pointe de l’aube. Alors, il prit, derrière l’autel, la vieille épée de chevalier maltais, et s’en alla frapper à la porte du château de Sérillac.

— « Bonjour, noble.

— Bonjour, Bâtard.

— Noble, j’arrive de la guerre, et je suis capitaine. Maintenant me voilà riche. Bientôt tu auras la preuve que je suis d’un sang plus grand que le tien ; mais à présent, il m’est commandé de me taire. Garde-moi toujours ta fille, et dis aux galants de s’écarter d’elle. Autrement, je suis capable de faire de grands malheurs.

— Bâtard, je ferai mon possible pour te contenter. »

Le Bâtard salua le noble et sortit. Comme il traversait un petit bois, devant le château, il rencontra la demoiselle.

— « Bonjour, demoiselle.

— Bonjour, Bâtard. J’étais derrière la porte de la chambre, quand tu es venu parler à mon père, et je ne veux pas d’autre homme que toi. Retourne-t-en au service du roi de France. Tu as maintenant assez de bien pour nous faire vivre tous deux avec nos enfants. En attendant que tu prouves que tu es noble, j’attendrai tant que le Bon Dieu voudra. Si tu reviens, compte sur moi comme sur toi. Si tu meurs, je me rendrai religieuse dans un couvent, et je prierai Dieu pour ton âme, jusqu’à ce qu’on me porte au cimetière. »

Le Bâtard salua la demoiselle, et partit. Tout en filant son chemin, il pensait :

— « Voilà une brave demoiselle. Si j’en fais ma femme, je ne serai pas à plaindre. »

Après sept jours de voyage, le Bâtard arriva, vers le coucher du soleil, devant la porte d’un grand château.

— « Mon ami, dit-il à un passant, quel est le maître de ce château. Mon cheval est essoufflé. Je veux demander ici le logement pour la nuit.

— Gardez-vous-en bien, monsieur. Ce château est mal habité. Jusqu’à présent, tous ceux qui y sont entrés n’en sont jamais revenus.

— Merci, mon ami. Je n’ai peur de personne, et je veux prendre ici le logement pour la nuit.

— Que le Bon Dieu vous garde, monsieur. »

Le Bâtard entra sans peur ni crainte, et fouilla tout le château, depuis la cave jusqu’au grenier, sans trouver ni maîtres ni valets. Pourtant un grand feu brûlait dans la cheminée de la grand’salle. La table était mise, et le pain, le vin et la viande n’y manquaient pas.

Le Bâtard s’attabla donc, et but et mangea jusqu’à ce qu’il fût repu. Alors, il s’alla coucher dans un bon lit, en prenant garde de laisser brûler la lumière, et de poser à son côté la vieille épée de chevalier maltais qu’il avait trouvée, la nuit de la Toussaint, derrière l’autel de l’église de La Roumiouac.

Le dernier coup de minuit sonné, le Bâtard regarda dans la chambre. Elle était pleine de petites créatures, qui étaient venues on ne sait comment, et qui demeuraient en repos, sans même remuer les lèvres ni les yeux. Tout à coup, il se fit un grand bruit dans la cheminée.

— « Bâtard, tomberons-nous, ou ne tomberons-nous pas ?

— Tombez, si vous voulez. Ne tombez pas, si cela vous plaît. Je m’en fous comme de vous. Tâchez seulement de me laisser dormir en paix. »

Le Bâtard n’avait pas fini de parler, que cinq jambes gauches tombèrent de la cheminée dans la chambre. Les cinq jambes gauches dansaient en chantant :

— « Dansons le lundi. Dansons le lundi[7]. »

Alors, cinq jambes droites tombèrent de la cheminée dans la chambre. Les cinq jambes droites et les cinq jambes gauches dansaient en chantant :

— « Dansons le lundi. Dansons le lundi. Dansons le mardi. Dansons le mardi. »

Alors, cinq bras gauches tombèrent de la cheminée dans la chambre. Les cinq jambes gauches, les cinq jambes droites et les cinq bras gauches dansaient en chantant :

— « Dansons le lundi. Dansons le lundi. Dansons le mardi. Dansons le mardi. Dansons le mercredi. Dansons le mercredi. »

Alors, cinq bras droits tombèrent de la cheminée dans la chambre. Les cinq jambes gauches, les cinq jambes droites, les cinq bras gauches et les cinq bras droits dansaient en chantant :

— « Dansons le lundi. Dansons le lundi. Dansons le mardi. Dansons le mardi. Dansons le mercredi. Dansons le mercredi. Dansons le jeudi. Dansons le jeudi. »

Alors, cinq corps avec leurs têtes tombèrent de la cheminée dans la chambre. Aussitôt les jambes et les bras s’ajustèrent d’eux-mêmes à ces corps, et formèrent cinq hommes qui dansaient en chantant :

— « Dansons le lundi. Dansons le lundi. Dansons le mardi. Dansons le mardi. Dansons le mercredi. Dansons le mercredi. Dansons le jeudi. Dansons le jeudi. Dansons le vendredi. Dansons le vendredi. »

Pendant que ces cinq hommes dansaient, les petites créatures qui remplissaient la chambre, et qui étaient venues on ne sait comment, se tenaient en repos, sans même remuer les lèvres ni les yeux. Le Bâtard crevait de rire, et regardait les cinq hommes qui dansaient en chantant :

— « Dansons le vendredi. Dansons le vendredi. »

Et toujours ils dansaient et chantaient ainsi, sans pouvoir nommer les deux autres jours de la semaine. À la fin, le Bâtard impatienté sauta du lit, et se mit à danser en chantant :

— « Dansons le samedi. Dansons le samedi. Dansons le dimanche. Dansons le dimanche. »

Alors, les petites créatures qui remplissaient la chambre, et qui étaient venues on ne sait comment, se fondirent en brume, et le Bâtard ne vit plus que les cinq hommes, qui ne dansaient et ne chantaient plus.

— « Bâtard, tu connais les sept jours de la semaine. Les cinq premiers sont pour les Corps sans âmes comme nous. Le samedi est pour les juifs, et le dimanche pour les chrétiens. Reste avec nous. Tu seras le maître ici. Tout le peuple des Corps sans âmes t’obéira.

— Non. J’ai des affaires qui pressent, et je ne veux pas être roi du peuple des Corps sans âmes. Faites-vous baptiser. Le baptême vous fera chrétiens. Alors, vous fêterez le dimanche, et non pas le vendredi, qui est un jour de malheur. En attendant, faites de ce château un hôpital, pour les pauvres et les passants.

— Bâtard, nous t’obéirons en tout, et ceux que nous commandons feront comme nous. Pour te payer tes bons conseils, nous allons t’enseigner les finesses de ceux qui ont le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses.

— Avec plaisir, mes amis. »

Alors, les cinq hommes enseignèrent au Bâtard les finesses de ceux qui ont le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses, et lui souhaitèrent bonne nuit. Cela fait, le Bâtard s’endormit jusqu’au matin, et se remit en route au soleil levant. Le soir du centième jour, il avait rejoint, en pays étranger, l’armée du roi de France qui combattait les ennemis.

Le Bâtard alla trouver son général.

— « Bonsoir, général.

— Bonsoir, Bâtard. Tu es garçon de parole, et tu fais bien de revenir. Depuis que tu es parti, les ennemis ont pris à leur service un homme qui a le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses sept fois par nuit. Par ce moyen, il me tue force soldats. Si cela continue, toute mon armée y passera. Te sens-tu capable de me débarrasser de ce rien qui vaille ?

— J’essaierai, général. »

Le même soir, le Bâtard prit sa vieille épée de chevalier maltais, et s’en alla tout seul faire sentinelle dans un grand bois. Jusqu’à minuit, il ne vit ni n’entendit rien. Le dernier coup de minuit sonné, le Bâtard vit venir à lui l’homme qui avait le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses sept fois par nuit. Aussitôt, l’homme se changea en chien.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme se changea en hibou.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme se changea en ver luisant.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme se changea en feuille sèche.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme se changea en brume.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme se changea en bruit de cloche qui sonne l’agonie.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. Alors, l’homme pensa qu’il n’avait plus, pour cette nuit-là, qu’une seule fois à changer de forme, et il attendit longtemps, avant de prendre son parti. Enfin, il se changea en vent, et s’élança sur la sentinelle.

Mais le Bâtard se méfiait, et il attendit sans peur ni crainte. D’un seul coup de sa vieille épée de chevalier maltais, il trancha le vent en deux, et l’homme tomba par terre en deux morceaux.

— « Bon ! pensa le Bâtard. Le grand aigle ne m’avait pas menti. Maintenant, je puis me présenter devant mon père, le roi de France. »

Alors, il alla trouver le général.

— « Bonjour, général. J’ai fait passer le goût du pain à l’homme qui avait le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses sept fois par nuit.

— Merci, Bâtard. Maintenant, la guerre sera bientôt finie, et nous pourrons tous retourner au pays. Dis-moi, Bâtard, en quoi l’homme s’était-il changé, quand tu lui as fait passer le goût du pain ?

— Général, il s’était changé en vent, et je l’ai tranché en deux.

— Tu as tranché le vent en deux ! Vite, montre-moi ta langue.

— Général, vous ne verrez pas ma langue. Pour cela, je ne vous dois pas obéissance.

— C’est vrai. Jure-moi du moins que tu as fait ta première communion, et que ta langue a été vue par le prêtre qui t’a donné l’hostie consacrée.

— Général, je vous le jure par mon âme.

— C’est bien. Attends-moi ici, jusqu’à ce que je revienne. »

Le général sortit, et revint un moment après.

— « Bâtard, tu vas monter à cheval. Voici une lettre pour le roi de France, et tu la lui donneras toi-même. Si tu l’ouvres, pour la lire, il t’arrivera de grands malheurs.

— Général, vous serez obéi.

— Bon voyage, Bâtard. »

Le Bâtard prit la lettre, et sauta sur son cheval. Sept jours après il était devant le roi de France.

— « Bonjour, roi de France. Voici une lettre de mon général, qui commande votre armée en pays étranger. »

Le roi de France prit la lettre, et la lut d’un bout à l’autre. Alors, il devint pâle comme la mort.

— « Bâtard, ton général me mande que tu as tranché en deux un homme qui avait le pouvoir de se changer en toutes sortes de choses sept fois par nuit, et qui s’était changé en vent.

— Roi de France, mon général vous a mandé la vérité.

— Vite, Bâtard, tire la langue. »

Le Bâtard tira la langue, et montra la fleur-de-lys d’or.

— « Tu es mon fils ! Tu es mon fils ! Il y a bien longtemps que je t’attendais. Je suis content d’être le père d’un homme fort et hardi comme toi. Vite, dis-moi ce que tu veux, en paiement du service que tu m’as fait.

— Roi de France, j’ai promis mariage à une demoiselle belle comme le jour et honnête comme l’or. C’est la fille d’un noble du château de Sérillac. Si vous ne me la donnez pas pour femme, vous serez cause d’un grand malheur. Je m’en irai loin, bien loin, en pays étranger, me rendre moine dans un couvent, et je ne reviendrai jamais, jamais.

— Bâtard, je ne veux pas que tu te rendes moine. Ici, tout le monde a besoin de toi. Je suis trop vieux pour rester roi plus longtemps. C’est toi dorénavant qui commanderas à ma place. Je te donne un mois pour aller épouser ta maîtresse et l’amener ici. Pars, et ne manque pas de revenir au temps marqué.

— Merci, roi de France. »

Le Bâtard partit aussitôt, pour épouser la demoiselle, et il revint avec elle au temps marqué. Le roi de France fut bien aise de les voir tous deux. Il commanda de grandes fêtes dans tout le pays, et fit faire force aumônes. Le Bâtard devint roi à la place de son père, et il vécut longtemps avec sa femme, craint et aimé de tout le monde[8].

fin du tome premier.
  1. Commune du canton de Fleurance (Gers).
  2. Bois situé dans la commune de Réjaumont, canton de Fleurance (Gers).
  3. Les Pyrénées.
  4. Bourg du canton de Fleurance (Gers).
  5. Château situé sur le territoire de la commune de Sauvetat, canton de Fleurance (Gers).
  6. Cette église appartenait, en effet, à l’ordre de Malte.
  7. Dans le conte gascon, le chant des fantômes et celui du Bâtard sont toujours en français.
  8. Ma grand’mère paternelle, Marie de Lacaze, de Réjaumont, canton de Fleurance (Gers), m’a souvent récité ce conte dans mon enfance. Néanmoins, je me défie de l’exactitude de mes souvenirs, et je n’en consigne ici que ce qui a trait à des particularités locales (Sainte-Radegonde ; le bois de Réjaumont ; La Sauvetat ; le château de Sérillac), que je n’ai pas retrouvés dans la bouche des autres narrateurs, qui sont : le vieux Cazaux, et Françoise Lalanne, tous deux de Lectoure, et Bernarde Dubarry, de Bajonnette, canton de Fleurance (Gers).