Contes populaires d’Afrique (Basset)/70

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 175-177).

XXXI. — SONINKHÉ[1]

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QUI EST LE PLUS FORT[2]


Un enfant disait un jour à son père :

— Qu’y a-t-il de plus fort que toi ?

— Tu le verras, répondit le père.

Un jour, ils vont ensemble en voyage : Les pierres blessent le père au pied et l’enfant dit :

— Voilà : les pierres sont plus fortes que mon père.

Le père trouve un bâton sur sa route ; il le ramasse, s’en sert pour marcher et écarter les pierres.

L’enfant dit :

— Le bâton est plus fort que les pierres qu’il chasse et que mon père qu’il supporte.

Ils s’asseoient sous un arbre ; le père tire son couteau et coupe son bâton qui est trop long.

— Le fer est le plus fort, dit l’enfant.

Avant d’arriver au village, ils voient des hommes qui fondent du fer dans les fourneaux. L’enfant dit alors :

— C’est le feu qui est le plus fort de tous.

— Attends, dit le père.

Ils entrent dans le village : sur la place, il y avait un forgeron qui maniait le fer et le feu, faisait des bêches, des haches, des couteaux.

— L’homme est le plus fort de tout, dit l’enfant émerveillé.

— Attends, répond le père.

Ce forgeron, déjà sur l’âge, avait une femme jeune et jolie qui lui faisait faire toutes ses volontés, surtout depuis qu’elle lui avait donné un fils qu’elle allaitait. Le père et l’enfant se logent dans une case voisine de celle du forgeron et l’enfant entend la femme qui commande à son mari.

— Ah ! dit-il, la femme est tout ce qu’il y a de plus fort.

— Quelquefois, répond le père, mais attends.

La femme se couche et veut dormir, mais son petit, malade, pleure et elle lui obéit.

— C’est l’enfant qui est le plus fort, dit le fils à son père.

— Attends encore, répond celui-ci.

Dans la nuit, la Mort enlève le fils du forgeron.

— Je sais maintenant qui est le plus fort, dit l’enfant : c’est la Mort.

— Tu as raison, répond le père ; c’est la Mort, mais elle est dans la main de Dieu, maître des mondes qui est seul puissant, bon et fort. Que son nom soit loué !




  1. Le Soninkhé ou Sarrakholé est parlé aux environs de Bakel, dans le Haut Sénégal.
  2. P. Soleillet, Voyage à Ségou, Paris, Challamel, 1887, in-8, p. 207.