Contes populaires d’Afrique (Basset)/52

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 133-137).

TROISIÈME PARTIE

LANGUES DU NIL

XVIII. — NOUBA[1]
a) Dialecte de Dongola

52

LE SINGE ET LE BUCHERON[2]


Un bûcheron allait ramasser du bois dans la campagne pour le vendre au marché et, du produit de sa vente, il vivait, lui et sa femme. Un jour, dans le marché, un homme lui proposa d’échanger un cynocéphale contre deux fagots. Le bûcheron y consentait, mais sa femme s’y opposait. Alors le singe, par la permission de Dieu :

— Renvoie ta femme, dit-il, et prends-moi pour les deux fagots.

Et le bûcheron ayant éloigné la femme, s’éloigna avec le singe.

— Suivez-moi, ajouta celui-ci, et je vous ferai épouser la fille du roi.

Ils partirent pour le palais du roi. Or, celui-ci prétendait n’accorder sa fille qu’à celui qui lui en donnerait le poids d’or.

— Comment, disait le bûcheron au singe, voulez-vous que j’épouse cette princesse ? Où trouver un pareil poids d’or ?

Et le singe entra dans le palais, et ayant pénétré près de la princesse, il l’amusa par ses jeux et ses discours.

— On raconte, dit-il, que ton père ne veut te marier qu’en échange de ton poids d’or, est-il donc si riche lui-même ?

Et il voulut voir le trésor royal. La jeune fille prit alors une clef sous un coussin, ouvrit le trésor et le montra au cynocéphale Mais celui-ci observa la place de la clef et, à la nuit, ayant fait des vêtements de son maître un sac qu’il se pendit au cou, il se glissa sans bruit auprès de la princesse endormie, tira la clef de dessous le coussin et ouvrit le trésor, et il charria l’or jusqu’au matin. Avec de l’or, ils achetèrent des chevaux, des esclaves, un palais. Puis le bûcheron monta à cheval et s’en fut chez le roi.

Après être entré et s’être assis :

— Marie-moi ta fille, ô roi, dit-il.

— Peux-tu donc fournir un poids d’or égal à celui de ma fille ?

— Certes !

— Eh bien, apporte ton or, et si le poids n’y est pas, je te couperai la tête.

L’or fut apporté, et le poids ayant été trouvé juste, le bûcheron épousa la princesse et demeura avec elle dans le palais.

Et le bûcheron, pensant à sa fortune, se prit à rire. Alors la princesse :

— De qui riez-vous ? dit-elle en colère, est-ce de mon père ou de moi ?

Le bûcheron fut très embarrassé. Au matin, la princesse courut se plaindre à son père. Quand le singe vint trouver son maître, il le vit plein de trouble et lui demanda pourquoi il était ainsi. Mis au fait :

— Si le père vous interroge, dit-il, répondez-lui qu’ayant habité jadis le palais de briques d’or et d’argent, il vous a paru bizarre d’habiter aujourd’hui un palais de briques de limon.

Or. le roi manda son gendre, et celui-ci ayant fait la réponse indiquée par le singe, le roi, irrité contre sa fille, la fit venir et, après l’avoir battue, la rendit à son mari. Les deux époux vécurent heureux dans leur appartement.

Mais il advint que la princesse eut l’idée de voir le palais de briques d’or et d’argent. Le bûcheron fut encore dans l’embarras. Le singe dit :

— Attendez sans inquiétude, je trouverai ce qu’il faut.

— C’est bien, dit-il.

Le singe partit à la recherche et il arriva enfin à un palais construit en briques d’or et d’argent. Le roi était mort et, comme il n’avait pas d’enfant, son esclave avait pris sa place. Le singe entra et adressa à l’esclave de vifs reproches de s’être emparé du trône sans avoir prévenu les enfants du roi.

— Avait-il donc des enfants ? repartit l’esclave.

— Certes ! et un fils qui me suit. Malheur à vous, misérables !

À ces mots, tous les Arabes furent remplis de crainte et on s’empressa de mettre le palais en état de recevoir son maître. Le singe courut vers celui-ci :

— Écoute ! cria-t-il et bientôt le bûcheron vint s’installer dans son nouveau palais avec son épouse, ses esclaves milles et femelles, ses chevaux et ses chameaux.

Voilà comment, par l’esprit d’un singe, un homme, ô retour de fortune ! de bûcheron qu’il était devint roi.




  1. Les trois dialectes nouba sont parlés en Nubie depuis la Haute-Égypte jusqu’à Khartoum.
  2. Rochemonteix, Quelques contes nubiens. Œuvres diverses. Paris, éd. Leroux, 1894, in-8o, p. 361-367.