Contes populaires d’Afrique (Basset)/32

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 84-88).
XI. — AFAR ou DANKALI[1]

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LES TROIS DERNIÈRES RECOMMANDATIONS D’UN PÈRE À SON FILS[2]


Un homme qui avait un fils unique vint à mourir, mais auparavant il appela son fils et lui dit :

— Viens ici.

Il obéit.

— Mon fils, dit le père, je vais te faire connaître mes derniers souhaits : ne confie jamais un secret à ta femme ; n’emprunte jamais rien à un riche qui a été pauvre, ne fais pas de présent à un soldat.

Le fils pensa :

— Je verrai si les paroles de mon père ont quelque chose de fondé ou non.

Puis il dit à sa femme :

— Je vais enterrer sous mon lit un homme que j’ai tué.

Il enveloppa dans un linceul une pièce de bois qui figurait un homme, la cousit dans un sac et l’enterra sous son lit. Il fit ensuite un présent à un soldat du gouvernement, emprunta cent talaris à un homme qui était devenu riche, de pauvre qu’il était, et les serra soigneusement.

Des femmes vinrent trouver la sienne et se mirent à causer. Celle-ci leur dit :

— Je pourrais vous confier un secret.

— Raconte-le-nous.

— Mon mari a tué un homme, il l’a enterré sous son lit et personne ne l’a vu.

Ses amies s’en allèrent et répétèrent ce propos.

Le gouverneur, qui en eut vent, envoya pour arrêter le coupable le soldat qui avait reçu un présent. Le prétendu meurtrier lui dit :

— Je t’ai donné cinquante talaris, pourquoi me mènes-tu au gouverneur ?

— Comment pourrais-je te laisser aller ? répliqua le soldat, puisque mon maître m’a ordonné de t’amener à lui.

Et il le conduisit devant le gouverneur.

En route, ils rencontrèrent celui qui avait prêté de l’argent.

— Où l’emmènes-tu ? demanda-t-il.

— Je l’emmené chez le gouverneur, répondit le soldat, parce qu’il a tué quelqu’un.

— Rends-moi mon argent ! cria le créancier.

— Je ne l’ai pas ici, répondit le prisonnier ; je te le rendrai plus tard.

Mais l’autre reprit :

— Tu ne feras pas un pas de plus que tu ne m’aies rendu mon argent.

— Réclame-le chez le pacha, fit observer le soldat, car tu ne peux retenir cet homme sur la route quand le pacha a ordonné de le lui amener. Le créancier, le prétendu meurtrier et le soldat arrivèrent tous trois devant le gouverneur. Celui-ci demanda :

— Lequel a tué un homme ?

— C’est celui-ci, dit le soldat.

— Tu assassines les gens pendant la nuit, sur le territoire du sultan ! s’écria le pacha.

— Par Dieu, je n’ai tué personne, répliqua l’homme.

— Tu as dit à ta femme : J’ai tué un homme ; et j’ai appris aussi que tu l’avais enterré sous ton lit :

L’homme lui dit :

— Jamais de la vie, je n’ai tué personne ; mais, avant sa mort, mon père m’avait exprimé un souhait et j’ai voulu voir s’il était sage ou non ; mais je n’ai tué personne.

— Quel souhait ton père t’a-t-il exprimé ? demanda le gouverneur.

— Mon père m’a dit trois paroles, et ces trois paroles se sont réalisées aujourd’hui.

— Quelles sont ces trois paroles ?

L’homme répondit :

— Ne fais jamais de présent d’argent à un soldat. — J’ai donné à ton soldat cinquante talaris en cadeau.

Mon père m’a dit encore :

— N’attends pas de prêt d’un pauvre qui est devenu riche. — J’ai emprunté à celui-ci cent talaris. Il m’a saisi aujourd’hui sur le chemin et m’a dit : — Si tu ne me rends pas mon argent sur le champ…

Enfin mon père m’a dit :

— Ne confie pas un secret à ta femme. J’ai dit à la mienne : — J’ai tué un homme et je l’ai enterré sous mon lit. Je voulais voir comment elle garderait un secret, c’est pourquoi je lui ai parlé ainsi. J’avais besoin de voir si mon père était sage ou non ; c’est pourquoi j’ai agi de la sorte. Maintenant, faites des recherches : ce que j’ai enterré devant ma femme comme étant un homme, n’est qu’une pièce de bois.

On chercha et on trouva la pièce de bois. L’homme rendit l’argent à celui à qui il l’avait emprunté, en lui disant :

— Reprends ton argent.



  1. La langue afar est parlée par les Danakil des bords de la mer Rouge, dans l’Érythrée italienne et une partie de la colonie française d’Obok.
  2. Reinisch, Die Afar-Sprache, fasc. I, Vienne, Gerold’s Sohn, 1885, in-8, p. 80-84.