Contes populaires d’Afrique (Basset)/16

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 48-51).


f) Touareg.

16

AMMAMELLEN ET ELIAS[1].


Ammamellen avait une sœur, et toutes les fois qu’elle mettait au monde un garçon, il le tuait. Les choses se passèrent ainsi jusqu’à ce qu’un jour, étant accouchée en même temps que sa négresse, la sœur d’Ammamellen donna son fils à la négresse et prit avec elle celui de cette dernière. Ammamellen vint, saisit cet enfant et le tua. Le fils de la femme libre resta chez l’esclave ; il grandit et devint homme. Il s’appelait Elias.

Il n’est rien qu’Ammamellen ne tentât pour l’attirer dans un piège et le tuer ; mais Elias était plus rusé que lui et il ne put accomplir ses projets de meurtre.

Un jour, Elias alla trouver Ammamellen ; il avait très soif et Ammamellen connaissait de l’eau dans la montagne, mais il ne voulait pas dire où elle était. Le sol de la montagne était de rocher nu et ne conservait pas l’empreinte des pieds. Ammamellen allait la nuit avec ses nègres faire boire les troupeaux et rentrait pendant que tout le monde dormait encore. Elias prit les souliers des nègres et les enduisit de graisse. Le lendemain, il suivit leurs traces. Là où les souliers avaient touché le rocher, ils avaient laissé de la graisse. Il put ainsi arriver jusqu’à l’eau.

Ammamellen l’avait vu et le suivait. Au moment où Elias penché sur l’eau s’apprêtait à boire, il aperçut dans l’eau l’image d’Ammamellen qui tirait son sabre et allait l’en frapper sur la nuque ; il s’élança de l’autre côté et s’enfuit.

Ammamellen revint à sa tente. Un jour, il alla dans une vallée et, avec des pieds d’animaux morts, il y fit des traces de chamelles, de chèvres, de brebis et d’ânes ; il y mit aussi trois vieux chameaux : l’un borgne, l’autre galeux et le troisième ayant la queue coupée. Il rentra chez lui et le lendemain, il dit à Elias :

— Va visiter cette vallée là-bas, tu nous diras ce qui s’y trouve.

Elias alla voir la vallée et lorsqu’il fut de retour, Ammamellen lui dit :

— Eh bien, as-tu visité cette vallée ?

— Oui, répondit Elias, je l’ai visitée.

— Et que s’y trouve-t-il ? Le pays te plaît-il, oui ou non ?

— Il me plaît, seulement il y a des traces d’animaux morts et trois vieux chameaux dont l’un est borgne, l’autre galeux et le troisième a la queue coupée.

— Comment distingues-tu la trace d’un animal vivant d’un animal mort ?

— La trace d’un animal vivant revient sur elle-même, tandis que celle d’un animal mort ne revient pas.

— À quoi reconnais-tu qu’un vieux chameau est borgne ou qu’il a ses deux yeux ?

— Le chameau borgne mange toujours les arbres du côté de son bon œil.

— Et le chameau galeux ?

— On reconnaît un chameau galeux parce qu’il se gratte à tous les arbres qu’il rencontre.

— Et qui te fait distinguer un chameau dont la queue est coupée de celui qui a sa queue ?

— Lorsqu’un chameau qui n’a pas de queue vient à fienter, les crottes restent en tas, tandis que celui qui a sa queue s’en sert pour les disperser.

Un jour Ammamellen alla dans un certain endroit et ramassa beaucoup d’herbes dont il fit plusieurs tas. Il revint et dit à Elias :

— Demain, tu iras à tel endroit et tu rapporteras l’herbe que j’y ai mise en tas.

Le lendemain, il prit les devants et se blottit dans un tas d’herbe, attendant Elias pour le tuer. Celui-ci vint et rassembla toute l’herbe, excepté un tas dont il ne voulut pas s’approcher. Ses compagnons lui dirent :

— Tu as rassemblé tous les tas d’herbe, pourquoi laisses-tu celui-là ?

— Celui-là respire, dit Elias ; les autres ne respirent pas.

En entendant cela, Ammamellen se leva précipitamment, saisit son javelot elle lança contre Elias qu’il manqua. Il s’écria alors :

— Va, je m’incline devant toi, fils de ma sœur ! que ma sœur a enfanté et qu’elle a fait enfanter à ma négresse.



  1. Hanoteau, Essai de grammaire tamachek, Paris, 1860, in-8, p. 148-161.