Contes populaires d’Afrique (Basset)/143

E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 378-380).

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POURQUOI LE CROCODILE NE MANGE PAS LA POULE[1]


Il y avait une certaine poule qui avait l’habitude de descendre chaque jour sur le bord de la rivière pour y ramasser des débris de nourriture. Un jour, un crocodile vint près d’elle et menaça de la manger. Alors elle cria :

— Ô frère, ne le faites pas.

Le crocodile fut si surpris et si troublé par son cri qu’il s’en alla, pensant qu’il pouvait bien être son frère. Il revint un jour sur la rive, bien déterminé à faire son repas de la poule.

Celle-ci cria encore :

— Ô frère, ne le faites pas !

— Maudite soit la poule ! grogna le crocodile lorsqu’elle s’en alla encore. Comment puis-je être son frère ? elle vit sur terre, et moi je vis dans l’eau.

Alors le crocodile résolut de voir Nzambi pour l’interroger et régler la question. Il se mit en route. Il n’était pas encore bien loin, quand il rencontra son ami Mbambi (sorte de grand lézard).

— Mbambi, dit-il, je suis très troublé. Tous les jours, une jolie poule grasse vient au fleuve pour manger ; chaque jour, quand je veux la saisir, l’emporter chez moi et me nourrir d’elle, elle m’effraie en m’appelant frère. Je ne peux rester ainsi plus longtemps et je vais trouver Nzambi pour tenir un palabre avec lui.

— Sot idiot, dit Mbambi, ne faites rien de cela, car simplement vous perdriez vos paroles et vous montreriez votre ignorance. Ne savez-vous pas, cher crocodile, que les canards vivent dans l’eau et pondent des œufs, que les tortues font de même. Moi aussi, je ponds des œufs. La poule en fait autant et vous aussi, mon stupide ami. Nous sommes donc tous frères dans un sens. C’est pour cette raison que le crocodile ne mange pas la poule.




  1. Dennett, Notes on the folk-lore of the Fjort (French Congo), Londres, D. Nutt, 1898, in-8, p. 106-107.