Contes indiens (Feer)/Récit/9

(p. 79-82).

RÉCIT DE LA 9e FIGURE



Un autre jour, le roi Bhoja prit encore une fois la détermination de s’asseoir sur le trône pour se faire sacrer. Comme il s’y rendait, la neuvième figure lui dit : « Hé ! roi Bhoja, écoute ! Celui qui a une grandeur égale à celle de Vikramâditya, celui-là seul est capable de s’asseoir sur ce trône. » En entendant ces mots, le roi dit : « Hé ! figure, en quoi consistait cette grandeur de Vikramâditya ? » La figure reprit : « Écoute, roi Bhoja.

« Dans la ville d’Avanti, l’auguste roi Vikramâditya exerçait la royauté. Un yogî arriva dans cette ville et se tint au milieu du parc. Ce yogî savait tout ; sa parole était toute puissante ; il était libre de désirs, complètement affranchi de tout attachement. Ce qu’il disait à qui que ce fût réussissait infailliblement. Le roi apprit tout le cas de ce yogî par la rumeur publique, et lui dépêcha les pandits de son conseil avec l’ordre de le lui amener. Le yogî ne se rendit pas à l’invitation que les pandits lui firent de la part du roi, il leur répondit : L’homme qui est sans désirs considère comme un brin d’herbe une femme d’une beauté sans pareille : celui qui est sans péché considère Yama[1] comme un brin d’herbe ; celui qui n’a point de cupidité considère la royauté et la souveraineté comme un brin d’herbe.

« Les pandits, revenus près du roi, lui redirent ce qu’ils avaient entendu de la bouche du yogî. À l’ouïe de leur rapport, le roi dit : Le yogî a bien parlé ; des gens sont venus lui demander de venir près du roi ; c’est moi qui l’ai fait chercher, et il n’est pas venu. J’en conclus que ce yogî a parlé avec un désintéressement extrême.

« À la suite de ce raisonnement, le roi se rendit lui-même auprès du yogî, qui, voyant les insignes royaux et les signes du grand homme sur (la personne du) roi, fut extrêmement satisfait et donna au roi un fruit divin. En même temps, il lui expliqua la vertu de ce fruit : celui qui mange ce fruit est à l’abri de la vieillesse, de la mort, de la maladie[2].

« Le roi prit le fruit et s’en retournait cher lui, lorsque, sur sa route, il aperçut un individu extrêmement malade : ému de pitié, il lui donna le fruit. »

La neuvième figure (continuant) dit au roi Bhoja : « Si tu as toutes ces qualités, alors tu es digne de t’asseoir sur ce trône. » Le roi Bhoja comprit qu’il n’avait pas ces qualités, et, ce jour-là encore, il tourna le dos et s’en alla.


  1. Le dieu des morts, l’Hadès et le Pluton des Indiens.
  2. Voir : Introduction (page 11).