§ 11. — LES 18 VICES

La négligence, dont il vient d’être question, est un vice. Cependant je ne la trouve pas expressément citée dans la nomenclature des vices que nous offre le récit même où se trouve l’argumentation dont nous parlions tout à l’heure. Ces vices sont au nombre de 18, nombre choisi probablement pour faire opposition aux 18 sciences, quoiqu’on ne puisse songer à mettre les 18 vices et les 18 sciences en regard les uns des autres. Les 18 vices se classent aussi sous deux catégories, l’amour et la colère ; il y en a 10 de la première et 8 de la seconde. L’énumération des dix vices procédant de l’amour revient à peu près à une énumération des diverses sortes de plaisirs. Voici la liste des 18 vices :


Amour.

1. Passion de la chasse.

2. Passion du jeu de dés.

3. Sommeil de jour.

4. Esprit de dénigrement.

5. Amour des femmes.

6. Égoïsme.

7. Passion de voir les danses.

8. Passion d’entendre les chants.

9. Passion d’entendre les instruments.

10. Promenade au hasard et sans but.


Colère.

11. Malignité.

12. Esprit d’hostilité non motivée envers les gens de bien.

13. Désir de tuer des gens inoffensifs.

14. Impatience de l’éloge d’autrui.

15. Tendance à découvrir des défauts dans les qualités des gens supérieurs.

16. L’action d’enlever frauduleusement aux autres leur bien.

17. Le refus de faire les dons nécessaires.

18. Le blâme d’autrui.


Il y aurait bien des remarques à faire sur cette énumération, je me borne à quelques-unes. Pourquoi le quatrième article et même le sixième n’ont-ils pas été placés dans la deuxième catégorie ? Je suis étonné de ne pas trouver dans cette énumération l’amour de la bonne chère et des liqueurs enivrantes, des liqueurs enivrantes surtout prohibées par tant de textes formels. Parmi tous ces vices, il en est un sur lequel je dois m’arrêter un instant, la passion du jeu de dés. On sait quel rôle terrible il joue dans le Mahâbhârata[1] : mais il en est plus d’une fois question dans nos récits : c’est même à l’occasion d’une série indéfinie de parties de dés que l’énumération des 18 vices est faite à un roi qui perdait joyeusement son royaume. Le récit 26 est spécialement consacré au jeu. Un homme magnifiquement vêtu se livre à un bavardage désordonné : le roi en conclut que c’est un méchant homme et un homme mal élevé. — Notons à ce propos que le bavardage n’est pas compris dans les 18 vices ; il aurait pourtant bien pu prendre la place d’un des 10 vices nés de l’amour qui semblent n’être qu’un double ou une redite. — Le bavard du récit 26 est un joueur qui se montre de nouveau le lendemain couvert de haillons : il avait perdu. Vikramâditya exprime un blâme énergique ; il met sur le même plan le joueur, le mendiant et l’ascète aussi misérables les uns que les autres. Le joueur censuré réclame en faveur du plaisir que cause le jeu et que ne peuvent ressentir ceux qui ne s’y livrent pas. Le roi ne se laisse pas convaincre ; il n’en condamne pas moins le jeu dont les conséquences désastreuses sont visibles dans la personne même du joueur qu’il a sous les yeux et obtient de lui qu’il renonce à son vice. Mais ce succès n’est dû ni à l’éloquence du roi, ni à la force de ses raisons ; elle résulte uniquement d’un service que le roi, grâce à sa puissance surnaturelle, a pu rendre au joueur.

  1. Le Mahâbhârata est le récit d’une guerre formidable par laquelle les fils de Pandu recouvrent leur empire perdu dans une partie de dés.