Contes et légendes/Robin des bois

Kéva et Cie (p. 13-18).

ROBIN-DES-BOIS



Les imaginations, frappées du bruit du cor et des aboiements des meutes, dans le silence des bois, personnifièrent leurs impressions sous le nom de Barbatos, duc de l’Abîme.

Il entend, dit la légende, le chant des oiseaux, les hurlements des loups ; il comprend le cerf qui brame et la feuille qui craque en se détachant et va rejoindre ses sœurs dans les valses du vent.

Il connaît les trésors enfouis, les cavernes et les aires.

Devant lui, quatre rois sonnent du cor, et il mène d’un bout du monde à l’autre la chasse des ombres.

C’est de Barbatos que l’on fit les robins-des-bois, les chasseurs noirs, les grands veneurs et toutes les chasses fantastiques qu’on croit entendre la nuit dans les bois.

Le vent souffle-t-il fort ? l’orage est-il dans les bois ? Les petits enfants des villages croient encore, comme leurs grands’mères, que c’est la chasse du grand veneur qui passe avec grand bruit.

Parfois la tempête hurle comme les loups, résonne comme les trompes ; alors on dit, sous les grandes cheminées, où toute la famille se chauffe à la fois : c’est Robin-des-Bois qui chasse.

Cette croyance servit, il y a quelques années, à faire rentrer en lui-même un vieux paysan avare qui, ayant enterré son trésor au pied d’un chêne, s’imaginait qu’on a de la fortune pour mettre dans un vieux bas, renfermé dans un pot, sous la terre, ce qui peut servir à soulager les autres.

Quand je dis rentré en lui-même, cela ne signifie pas qu’il ait beaucoup mieux valu : car l’intérieur d’un avare n’est jamais bon ; mais enfin, il fit, grâce à la peur, une bonne action.

La peur ! c’est un motif honteux ! Qu’attendre de plus d’un avare ?

Le père Mathieu était riche, comment en eût-il été autrement ? On disait que quand il dépensait un sou, il en mettait toujours la moitié de côté.

Comment faisait-il ? Je n’en sais rien. Comment avait-il gagné ses terres et tout l’argent que dans le bois il cachait au pied d’un vieux chêne ? Je n’en sais pas d’avantage.

Dans tous les cas, son argent, caché là, n’était pas même bon à nourrir les vers ou à faire pousser les truffes.

Chaque fois que le père Mathieu avait quelque pièce d’or à ajouter à son trésor, il attendait une nuit sombre et s’en allait au pied du chêne où, à la lueur d’une lanterne sourde, il comptait son argent en tremblant de peur, et d’affection aussi ; car il aimait ce trésor comme on aime sa famille, son pays, sa mère, tout ce qu’on a de plus cher au monde.

Un soir donc, à genoux au pied du chêne, il venait de compter, en tremblant, son or, le caressant de la main comme on eût fait à un enfant, et pensant que s’il se fût marié, sa femme aurait dépensé pour se nourrir et se vêtir, qu’il eût fallu élever ses enfants, que tout cela coûte horriblement, et qu’en restant seul il avait pu entasser. Il regrettait seulement de ne pouvoir vivre sans manger.

Mais il ne regrettait pas d’être demeuré orphelin fort jeune ; il aimait mieux son trésor qu’une famille.

Une seule chose l’ennuyait, c’est qu’on n’enterrerait pas son or avec lui ; et c’est à cela qu’il pensait, outre la crainte qu’il avait qu’on vint le surprendre.

Il avait donc grand soin de tourner contre lui la lueur de sa lanterne, et le moindre bruit de vent dans les feuilles le faisait tressaillir.

Tout à coup, une lueur rouge parut au fond d’une allée couverte, et en même temps une grande chasse, une chasse fantastique, telle que celles des légendes, s’élança de son côté ; les chiens ne donnaient pas un coup de voix, ils flairaient la piste ; les chasseurs à cheval ne donnaient pas de fanfare ; c’était la chasse du Grand-Veneur, mais avec le silence de la mort, une vraie chasse de fantômes.

Le père Mathieu croyait à tous les chasseurs fantômes, beaucoup plus fermement qu’à sa conscience qu’il n’avait jamais sentie ; il serra son trésor contre son cœur, sous sa blouse, et se cacha derrière l’arbre, dans un fourré fort épais où il s’était ménagé une entrée en cas de surprise.

Il vit les chasseurs s’arrêter, et à la lueur des torches de résine, l’avare, épouvanté, distingua le poil du dos des chiens horriblement dressé ; leurs yeux semblaient pleins d’épouvante, et ils flairaient sans cesse de tous côtés. Les chevaux avaient même les crins hérissés.

À ce moment, une trompe lointaine sonna l’hallali : chevaux, chiens, chasseurs, se précipitèrent de ce côté.

Mathieu entendit craquer les branches, et les pieds des chevaux frapper le sol, dans un galop effrayant.

C’était bien réellement, pensait-il, le Grand-Veneur ou Robin-des-Bois.

Le vieil avare avait eu si peur, qu’il se croyait au moment de la mort.

Mourir, pour lui, c’était quitter son trésor. Mais, contre son ordinaire, il avait autant de frayeur pour sa vie que pour son or ; car le danger était imminent.

Lorsque le bois fut redevenu silencieux, il se hasarda à sortir de sa cachette, emportant son or, dont il ne voulait plus se séparer, quelque danger qu’il crût avoir à le conserver auprès de lui.

De retour dans sa maison, une sorte de masure toute en ruine, vraie demeure de hiboux et d’avare, il se coucha glacé d’effroi, tenant toujours dans ses bras le vieux pot qui contenait le bas plein de pièces d’or.

La frayeur l’avait brisé ; n’étant plus soutenu par la nécessité de fuir, il resta sans connaissance dans son lit.

Depuis deux jours, personne ne voyait le père Mathieu ;


dessin de firmin bouisset, d’après louise michel

comme il était déjà vieux, on pensa qu’il pouvait être malade ou mort, et des voisins vinrent frapper à sa porte, qu’il avait barricadée solidement en rentrant.

Ne recevant aucune réponse, les voisins allèrent trouver le maire.

Celui-ci mit son écharpe, beaucoup trop courte pour lui, parce que son prédécesseur était extrêmement maigre et lui extrêmement gros ; mais à l’aide d’un bout de ficelle il parvint à la consolider. On amena le serrurier pour ouvrir la porte, les membres du conseil pour servir de témoins, et on procéda à l’ouverture.

Ce n’était pas le tout de faire jouer une clé dans la serrure ; il y avait, derrière la porte, une barricade de meubles. On pensait que Mathieu était devenu fou, et, n’entendant rien, qu’il s’était pendu.

Une heure passa à déranger les vieux bahuts entassés derrière la porte, après quoi on découvrit Mathieu, couché, pâle et froid.

On pensa alors qu’il aurait fallu amener le médecin ; mais pendant qu’on allait le chercher, le maire, ayant soulevé la couverture pour savoir si le cœur de Mathieu battait encore, sa main fit remuer le pot et un grognement sortit de la gorge de l’avare.

On avait, en effet, touché le cœur.

Alors tout fut découvert ; Mathieu revint à la vie.

Il se garda bien de raconter son aventure du bois ; mais on avait vu son trésor. Ne pouvant plus le garder chez lui, il se décida à le placer où il lui rapporterait le plus et sûrement.

Notre homme alla donc trouver le maire. Celui-ci, qui était un brave homme, se mit en tête de faire faire une bonne action à Mathieu. Cela devait étonner tout le pays.

« Père Mathieu, lui dit-il, avant de placer tout ça, vous devriez faire une chose qui vous porterait bonheur. Il y a ici la mère Nicole, qui est veuve avec sept enfants ; un loup enragé a mordu sa vache et les pauvres gens n’ont plus rien. Vous devriez lui acheter une génisse, ça ne coûte pas cher et vous porterait bonheur. »

Puis, comme il était bavard, le brave homme raconta à Mathieu quelle fière chasse on avait faite à ce loup qui avait inquiété toute la contrée ; tous les louvetiers du département y étaient, ils s’étaient séparés en deux bandes et on avait fini par tuer le loup pendant la nuit. Les chevaux et les chiens en avaient une telle frayeur qu’ils en avaient les crins et le poil tout droits. Les chiens n’ont pas donné de voix, ce qui prouvait que l’animal était vraiment enragé.

Le père Mathieu comprit que c’était là sa chasse de Robin-des-Bois, qu’il avait pensé perdre la vie et son argent ; sans savoir ce qu’il faisait, il compta cent francs pour la génisse de Nicole, comme s’il eût payé quelque chose.

Quand il se ravisa, il n’était plus temps. Nicole eut sa vache, et le maire aida le vieil avare à trouver un sûr placement pour son trésor : il avait dans son bas cent mille francs en or et billets de banque.