Contes du lit-clos/Le Vent des forêts

Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 269-270).


LE VENT DES FORÊTS




Oh ! le vent ! le grand vent des antiques forêts !
Il vient, s’en va, revient, s’en va, très loin, tout près !
Sous le couvert du bois, comme un loup qui maraude,
Le vent rôde.

Dès que le matin-jour paraît, que le soleil
Entr’ouvre un peu son œil clignotant et vermeil,
Afin de m’arracher au sommeil, à l’extase,
Le vent jase.

Je crois qu’il est l’ami du pauvre sabotier :
Du haut du frêle ormeau, du haut du chêne altier,
Sachant que son refrain me console et m’enchante,
Le vent chante.

Par contre, il n’aime pas le rude bûcheron
Qui dit à sa forêt : « Allons, courbe ton front ! »
La hache du bourreau déplait à ce grand prince :
Le vent grince.

Il ne veut pas qu’on touche aux bois où sont blottis
Ses amis les oiseaux, les grands et les petits !
— Le bûcheron brandit sa cognée… et, sur l’heure,
Le vent pleure !

Prends garde, bûcheron ! prends garde au vent amer !
Quand il va par les champs, les plaines et la mer,
Frappe !… Mais gare à toi, sitôt qu’il fait sa ronde :
Le vent gronde !…


Le voici, le voici qui s’en vient au galop !
Bûcheron, n’abats pas cet immense bouleau !
Va-t’en ! car devant lui chacun peut fuir sans honte
Le vent monte !

Hélas ! il est trop tard ! Pourquoi n’as-tu pas fui ?
Le vent terrasse l’arbre… et te voilà sous lui :
Sans pitié, pour venger sa forêt abattue,
Le vent tue !…

… Aussi je crains le vent comme la voix de Dieu
Et j’ébauche parfois, troublé comme au saint Lieu,
Un grand signe de croix quand, à travers l’espace,
Le vent passe !…








(Gallet, éditeur.)