Contes du lit-clos/La Sonneuse de glas

Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 163-166).


LA SONNEUSE DE GLAS




Notre Port-Blanc possède une Chapelle ancienne
Qui date, pour le moins, de cinq à six cents ans ;
La vieille Anna Le Gwen en était la gardienne :
Elle y sonnait le glas pour les agonisants !

Nul n’était mort, chez nous, depuis mil-huit-cent-onze,
Dans les champs, sur la mer, ou dans les vieux lits-clos
Sans que les longs sanglots de la Cloche de bronze
Ne se fussent mêlés à nos propres sanglots !

Oh ! comme la Sonneuse aimait sa bonne Cloche !
Quand les autres clochers, là-bas, dans les lointains,
Laissaient leurs Angélus voler de proche en proche
Elle avait grand’pitié de tous les Sacristains,

Car elle n’aimait pas les carillons alertes
Des bourgs de Penvenan et de Saint-Nicolas :
« Vous chantez, disait-elle, oh ! vous chantez bien, certes…
« Mais pas un seul de vous ne sait pleurer le glas ! »


…Et voici qu’un matin la bonne Anna s’éveille,
Tremblant la fièvre froide à ne pouvoir marcher…
Et voici que, là-haut, soudain, la pauvre Vieille
Entend sonner sa Cloche en son petit clocher !


« Hé, mon gâs ! va-t-en voir, dit à son fils l’aïeule,
« Qui donc sonne le glas que l’on entend d’ici !… »
Et le gâs s’en revint en disant : « Toute seule,
« Toute seule, vraiment, la Cloche sonne ainsi !!! »

Et la Vieille comprit que sa cloche fidèle
En vain ne devait pas ainsi carillonner :
Elle sonnait le glas… et le sonnait pour Elle
Puisque nulle autre main ne le pouvait sonner !

La Cloche pleura seule ainsi, jusqu’au Dimanche,
Jour et nuit, sans repos, son lamento si las
… Jusqu’à l’heure où l’Ankou, dans sa charrette blanche,
Emporta, pour toujours, la Sonneuse de glas !…