Contes du lit-clos/La Nuit des Âmes
Soyez graves ce soir, nous dit grand’maman Lise.
Plus recueillis qu’aux soirs passés,
Car c’est demain matin que l’on prie à l’Église
Pour le salut des Trépassés.
Voici l’une des nuits où les Âmes en peine
Lèvent les dalles des couvents,
Désertent les charniers pour, visibles à peine,
Revenir parmi les vivants,
Où les pauvres Défunts, en longues théories,
Entrechoquant leurs bras osseux,
Vont passer l’échalier des vieilles métairies
Pour revoir leurs anciens « chez eux ».
Comme au temps, qui n’est plus, des joyeuses années,
Chacun d’eux faisait, chaque soir,
Dans le coin préféré des vastes cheminées
Ils vont s’en revenir s’asseoir.
Laissez dans le foyer la cendre chaude encore,
Qu’ils se puissent chauffer un peu,
Car ils sont nus, livrés au ver qui les dévore,
Au fond des sépulcres sans feu !
Ils pourront réchauffer leurs grands yeux sans paupières,
Leurs pauvres mains, leurs pauvres pieds :
Pour qu’ils n’y touchent pas, retirez les crêpières,
Retirez les brûlants trépieds.
Enfin, laissez dehors de la crème caillée,
Des crêpes chaudes, du pain bis,
Pour que les pauvres morts, au cours de leur veillée,
Goûtent aux choses de jadis…
Puis, avant de dormir, enfants, hommes et femmes,
En chœur, nous allons, coup sur coup,
Chanter à demi-voix la « Complainte des Âmes »
Et la « Ballade de l’Ankou » :
Vierge Marie, ô bonne Mère,
Ô bonne Mère de Jésus !
C’est ici la Complainte amère
Que chantent ceux qui ne sont plus !
Nous venons en ce soir d’Automne,
Frapper aux portes des Amis :
C’est Jésus-Christ qui nous ordonne
De réveiller les endormis !