Contes du jongleur/Note Préliminaire

(traduction)
Édition d'Art H. Piazza (p. Note).

NOTE PRÉLIMINAIRE



On a réuni ici quelques contes choisis parmi les meilleurs et les plus typiques du moyen âge. Ils sont dans l’ensemble fidèlement traduits, à peine allégés çà et là des longueurs et des répétitions que les plus habiles écrivains de ce temps n’évitent pas toujours.

Le Prélude est résumé de diverses pièces de Colin Muset ; le Lai de l’Oiselet est traduit sur le texte publié par Gaston Paris dans les Légendes du Moyen Âge ; les autres contes proviennent du classique Recueil général des Fabliaux de Montaiglon et Raynaud.

On trouvera à la fin une version nouvelle d’Aucassin et Nicolette. Il existe de ce charmant petit roman des traductions modernes justement estimées ; celle que nous publions en diffère en plusieurs points. D’abord elle utilise la récente et admirable édition de M. Mario Roques, qui en certains passages corrige excellemment le texte antérieur, et pour certains autres établit une explication nouvelle. En outre, elle propose de l’ensemble de l’œuvre une interprétation un peu différente, à laquelle les derniers travaux et nos propres études nous ont amené.

On a généralement traité Aucassin comme un conte populaire, dont il fallait mettre en lumière la grâce un peu simplette et la naïveté. Il est fort probable qu’aux yeux de ses contemporains l’auteur de ce petit chef-d’œuvre possédait aussi peu que possible ces qualités-là. C’est nous qui les prêtons uniformément à tout le moyen âge. Ménestrel de profession, c’est-à-dire homme de lettres, selon toute probabilité, il connaît bien les romans de son temps et en emprunte adroitement des thèmes ; mais il en perçoit aussi l’artifice, le poncif, et il s’en égaye. Bon nombre de ses épisodes cachent sous les complaisances de la fiction une intention moqueuse. Le combat et la victoire involontaire d’Aucassin, notamment, est une pure dérision ; le royaume de Turelure ne peut être compris que comme la parodie de ces contrées prodigieuses où les romans d’aventures avaient accoutumé de conduire leurs héros. Et il y a bien d’autres exemples que nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir. C’était un esprit ingénieux : il n’est pas jusqu’au mélange, assez insolite, de prose et de vers qui ne témoigne de son originalité. C’est cette alliance subtile du romanesque et de l’ironie, ces continuels changements de ton, cette souplesse qu’on a tâché de rendre sensibles à des lecteurs modernes, afin qu’ils retrouvent, dans cette traduction, quelque chose de l’impression qu’une œuvre si personnelle dut produire en son temps.

Au reste, le même souci de vérité nous a conduit, dans ce petit livre, à fuir autant que possible le style archaïsant, simpliste et attendri qu’il est de mode aujourd’hui d’appliquer à tous les textes du moyen âge. Il semble qu’on ait trop imité certain exemple admirable, mais qui devait rester unique. Pour nous, plutôt que de glacer sous cet apprêt monotone les œuvres que nous rappelions au jour, nous avons tâché de les faire réapparaître telles qu’elles furent d’abord, vivantes, malicieuses et diverses.

A. P.