Contes des landes et des grèves/G’laume le loup et Pierre le renard

XXXIV

G’LAUME LE LOUP
ET PIERRE LE RENARD


G’laume le Loup et Pierre le Renard s’en allaient un matin travailler dans les champs ; au bout d’un chemin, Pierre le Renard aperçut une gâche de pain et dit à son compère :

— Ah ! voilà une gâche de pain.

— Ramasse-la, répondit G’laume le Loup.

— Oui, dit Pierre le Renard ; mais il faut la « cuter. »

Ils la cachèrent dans un creux de fossé, puis ils s’en allèrent travailler ; au milieu de la matinée, Pierre le Renard se mit tout d’un coup à dresser l’oreille :

— Ne ois-tu rien, G’laume ?

— Non.

— J’entends bien, moi ; c’est un baptême ; on m’appelle pour nommer.

— Tiens, c’est drôle ; mais va-t’en ; tu me diras comment s’appelle ton filleul.

Pierre le Renard courut à l’endroit où la gâche était cachée ; il en mangea un bon morceau, puis il revint au champ où G’laume le Loup travaillait de son mieux.

— Hé bien, Pierre, comment s’appelle ton filleul ?

— Entama.

— Entama ! En voilà un drôle de nom ? de quel pays est ce saint-là ?

Vers midi, Pierre le Renard se mit encore à dresser l’oreille :

— Ne ois-tu rien, G’laume.

— Non.

— J’entends bien, moi ; voilà encore qu’on m’appelle pour nommer.

— Encore ! mais va-t’en ; tu me diras comment s’appelle ton filleul.

Pierre le Renard courut à l’endroit où était la gâche ; il en mangea encore un bon morceau ; puis il revint au champ où G’laume travaillait.

— Hé bien, Pierre, comment s’appelle ton filleul ?

— Mitan.

— Mitan ! ton filleul a là un drôle de patron.

Pierre le Renard laissa encore G’laume travailler comme un plaud[1] et au milieu de l’après-midi, il lui dit :

— N’entends-tu rien ?

— Non.

— Voilà encore qu’on m’appelle pour aller nommer.

— Hé bien, va ; tu me diras comment s’appelle ton filleul.

Le Renard courut à l’endroit où la gâche était cutée, et cette fois il la mangea tout entière, puis il revint au champ où G’laume le Loup travaillait et suait à grosses gouttes.

— Hé bien, Pierre, lui dit-il, comment s’appelle ton filleul ?

— Finissement.

— Finissement ! voilà encore un saint dont je n’avais jamais ouï parler. Mais il faut maintenant aller manger notre gâche de pain.

— Oui, dit Pierre le Renard, j’ai joliment faim !

Ils allèrent à l’endroit où la gâche avait été cutée ; mais ils ne trouvèrent rien.

— Comment faire ? dit G’laume le Loup, il n’y a plus rien.

— Ne t’ébahis pas pour si peu, G’laume, nous allons trouver moyen de manger.

Comme ils marchaient le long des champs qui bordaient la route, ils virent une charrette chargée de morues.

— Laisse-moi faire, dit Pierre le Renard.

Il courut sur la route, et avant que les charretiers puissent le voir, il se coucha et resta sans mouvement, les jambes étendues comme s’il était mort.

— Tiens, dit un des charretiers, voilà un renard crevé ; il faut le mettre sur le haut de la charrette ; nous l’écorcherons et nous vendrons sa peau en ville.

Pierre le Renard fut mis sur le haut de la charrette, et quand les charretiers ne firent plus attention à lui, il fit doucement tomber des morues sur la route, puis il se laissa glisser, et les ramassa.

— Tiens, dit-il au Loup, regarde, G’laume, si j’ai ramassé du bien ; il ne tient qu’à toi de t’offrir un bon souper ; fais comme moi, va devant la charrette, et étends-toi par terre comme si tu étais mort ; les charretiers te mettront sur le tas de morues, et tu en prendras tant que tu voudras.

G’laume le Loup alla s’étendre sur la route comme s’il était mort, mais il se mit maladroitement, car la roue de la charrette lui passa sur la queue et la lui écourta. Il s’en revint en criant comme un écorché.

— Ne te désole pas, G’laume, lui dit Pierre le Renard ; nous allons aller chez le maréchal et te faire remettre une belle queue toute neuve.

Le maréchal forgea pour le Loup une queue de fer recourbée, et quand elle fut rouge, il la lui attacha solidement ; le pauvre G’laume eut si grand mal qu’il s’enfuit et monta dans un arbre ; mais il perdit l’équilibre et resta suspendu en l’air par sa queue de fer.

Pierre le Renard resta au pied de l’arbre à le regarder ; je m’en suis revenu après, et depuis je n’ai pas eu de ses nouvelles.


(Conté en 1881, par Mathurin Reland, sabotier, de Loudéac.)




  1. Paysan.