Contes des fées (Aulnoy, 1825)/Les Contes des Fées

Contes des FéesCorbet, Ainé (p. 235-238).

LES CONTES
DES FÉES.



Après avoir éprouvé tout ce qu’un long hiver a de plus rigoureux, le retour de la belle saison invita plusieurs personnes d’esprit et de bon goût d’aller à Saint-Cloud. Tout y fut admiré, tout y fut loué. Madame D… qui s’était lassée plus vite que le reste de la compagnie, s’assit au bord d’une fontaine. « Laissez-moi ici, dit elle, peut-être que quelque Sylvain ou quelque Dryade ne dédaigneront pas de venir m’entretenir. » Chacun lui fit la guerre sur sa paresse. Cependant l’impatience de voir mille belles choses qui s’offraient aux yeux, l’emporta sur l’envie qu’on aurait eu de rester avec elle. « Comme la conversation que vous méditez avec les hôtes de ces bois, n’est pas bien certaine, lui dit M. de Saint-P…, je vais vous donner les Contes des fées, qui vous occuperont agréablement. — Il faudrait que je ne les eusse pas écrits, répliqua madame D…, pour me laisser au moins prévenir par les grâces de la nouveauté ; mais laissez-moi ici sans scrupule, je n’y serai point désœuvrée. »

Elle continua ses instances là-dessus d’une manière si pressante, que cette charmante troupe s’éloigna. Après avoir tout parcouru, elle revint dans l’allée sombre ou madame D… l’attendait.

« Ha ! que vous avez perdu, s’écria la comtesse de F… en l’abordant, ce que nous venons de voir est merveilleux. — Ce qui vient de m’arriver, lui répliqua-t-elle, ne l’est pas moins. Sachez donc que jetant les yeux de tous côtés pour distinguer mille objets differens que j’admirais, j’ai vu tout d’un coup une jeune nymphe proche de moi, dont les yeux doux et brillans, l’air enjoué et spirituel, les manières gracieuses et polies, m’ont causé autant de satisfaction que de surprise. La robe légère qui la couvrait, laissait voir la proportion de sa taille ; un nœud de ruban arrêtait à sa ceinture les nattes de ses cheveux ; la régularité de ses traits n’avait rien qui ne fit plaisir. J’allais lui parler, lorsqu’elle m’a interrompue par ces vers :

Quand un auguste prince habite ce séjour,
Quand ce palais superbe et ces jardins tranquilles
Souvent de sa pompeuse cour
Sont les agréables asiles,
De tout ce qui s’offre à vos yeux
Est-il rien qui doive surprendre ;
Et ne devrait-on pas s’attendre
À voir tant de trésors enrichir ces beaux lieux ?
On fait renaître ici les heureux jours de Rhée ;
Les chagrins en craignent l’entrée,
Ils en sont pour jamais bannis.
L’innocence, les jeux, les plaisirs et les ris
Y règnent partout à leur place :
Ces bocages charmans, ces parterres fleuris
Ne craignent point l’effort de la saison de glace.
Voyez que le ciel est serein ;

Jamais un importun nuage,
Du soleil, en ces lieux, ne couvre le visage ;
Mille couleurs de Flore embellissent le sein ;
Voyez quelle vive verdure
De tant d’aimables fleurs relève la peinture :
Dans ces bois enchantés, écoutez les oiseaux ;
Voyez dans ces fertiles plaines
Errer ces paisibles troupeaux,
Et sur l’émail des prés serpenter les fontaines ;
Voyez jusques aux cieux ces bondissantes eaux ;
Jusqu’au fond des vallons ces bruyantes cascades,
Ces ténébreuses promenades
Dont tous ces bois sont embellis.
Les bergers y sont plus polis,
Les bergères plus gracieuses.
On cesse de vanter, en voyant ces beaux lieux,
Les retraites délicieuses
Qu’habitaient autrefois les dieux.
Dans le sein d’une paix durable,
Ici règne la majesté ;
Ici d’une agréable bonté
La grandeur est inséparable :
Mais rien toutefois d’admirable
Ne vient ici frapper mes yeux,
Que la princesse incomparable
Pour qui s’embellissent ces lieux.

» La nymphe de Saint-Cloud se lassait aussi peu de parler que moi de l’entendre, continua madame D…., lorsqu’elle m’a semblé inquiète du bruit que vous faisiez en vous approchant. Adieu, m’a-t-elle dit, je vous croyais seule ; mais puisque vous êtes en compagnie, je vous reverrai une autre fois. En disant ces mots, elle est disparue. Je vous avoue que je n’ai point été trop fâchée de vous voir approcher, car je commençais à m’effrayer d’une telle aventure. — Vous êtes trop heureuse, s’écria la marquise de…, d’être dans un commerce si agréable tantôt avec les muses tantôt avec les fées ; vous ne pouvez pas vous ennuyer, et si je savais autant de contes que vous je me trouverais une fort grande dame. — Ce sont des trésors, répliqua madame D…, avec lesquels on manque ordinairement de bien des choses nécessaires. Toutes mes bonnes amies les fées m’ont été jusqu’à présent peu prodigues de leurs faveurs ; je vous assure aussi que je suis résolue de les négliger comme elles me négligent. — Ha ! madame, dit la comtesse de F….. en l’interrompant, je vous demande grâce pour elles ; vous nous devez encore quelques-unes de leurs aventures : voici un lieu tout propre à nous les apprendre, et vous n’avez jamais été écoutée avec plus d’attention que vous le serez aujourd’hui. — Il semble, dit madame D…., que j’avais deviné une partie de ce que vous souhaitez. Voici un cahier tout prêt à vous lire ; et pour le rendre plus agréable, j’y ai joint une nouvelle espagnole, qui est très vraie, et que je sais d’original.