Contes de la Haute-Bretagne/Le petit garçon qui se vendit au diable

IV

LE PETIT GARÇON QUI SE VENDIT AU DIABLE

Il était une fois un petit garçon qui avait dépensé tout l’argent de son père à jouer aux cartes et à courir les cabarets ; ses sœurs lui disaient qu’il fallait le lui rendre, mais comme il ne pouvait le faire, il se désolait. Il vit paraître devant lui un monsieur qui lui dit que si au bout d’un an et un jour il voulait venir chez lui, il lui donnerait tout l’argent qu’il avait perdu. Le petit garçon dit qu’il voulait bien, et ainsi il put rendre ce qu’il avait pris.

Quand le jour et l’an furent écoulés, il se mit en route pour aller trouver le monsieur, qui était le diable ; il rencontra sur son chemin un bonhomme qui paraissait avoir plus de mille ans ; il était si vieux, si vieux que sur son dos il avait de la mousse :

— Va plus loin, dit le bonhomme, et porte cette lettre à mon frère, il sera bien content.

Le petit garçon se mit en route, et il trouva un bonhomme plus vieux encore que le premier ; il avait sur le dos de la mousse longue comme le doigt ; il lui remit sa lettre, et quand le bonhomme l’eut parcourue, il lui donna une autre lettre en lui disant :

— Porte-la à mon frère, il sera bien content.

Le petit garçon se mit en route ; il alla loin, bien loin, et il ren­contra un troisième bonhomme qui semblait encore plus âgé : il avait sur le dos plus d’un pied de mousse. Le bonhomme lui dit :

— Je sais où vous allez ; vous allez chez le diable ; mais il y a un moyen de vous tirer de ses griffes. Vous irez au bord de la rivière, et vous verrez trois jeunes filles qui viendront pour s’y baigner ; il y en a deux qui sont vêtues de rouge, et l’autre de vert ; celle-ci est la fille du diable. Quand elle sera déshabillée et à l’eau, vous lui prendrez ses vêtements, et vous ne les lui rendrez que si elle vous dit comment vous pourrez échapper aux pièges de son père.

Le jeune garçon remercia le vieillard, et quand il fut arrivé au bord de la rivière, il s’y cacha : il vit venir trois jeunes filles dont l’une était vêtue de vert et les autres habillées en rouge ; quand elles furent à se baigner dans la rivière, il enleva les vêtements verts, et lorsque la jeune fille sortit de l’eau, elle ne les retrouva plus. Elle aperçut le jeune garçon et lui dit :

— Rends-moi mes vêtements, c’est toi qui me les as pris.

— Non, répondit-il, je ne te les rendrai pas, à moins que tu me dises comment je pourrai ne pas être tué par ton père.

— C’est chez le diable que tu vas, lui dit-elle ; quand tu arriveras son château, il va t’offrir à manger, et te présenter des plats en argent ; si tu y manges tu es perdu. Il faudra que tu lui dises : « Non, je ne veux pas d’argent, j’ai l’habitude de me servir de porcelaine. »

Il rendit les vêtements à la fille du diable, et quand il arriva au château, le diable lui présenta à manger sur des assiettes en argent :

— Non, dit-il, je n’ai pas l’habitude d’être ainsi servi ; donnez-moi des assiettes de porcelaine.

Le diable, voyant qu’il ne pouvait le perdre de cette manière, lui ordonna de creuser un puits profond, le menaçant de le tuer s’il ne réussissait pas. À l’heure du repas, la fille du diable vint lui apporter à manger dans des assiettes de porcelaine, mais il n’en voulut pas :

— Comment, dit-il, aurai-je le cœur de manger puisque je vais être tué ? car je ne pourrai jamais creuser ce puits.

— Tiens, lui répondit la fille, voici une baguette ; quand tu auras quelque difficulté, tu diras : « Par la vertu de ma baguette, que ceci soit fait, » et aussitôt ce que tu désireras sera accompli.

Le petit garçon essaya aussitôt la puissance de la baguette, et il lui commanda de creuser le puits, ce qui fut fait à l’instant. Il alla ensuite chercher le diable qui vint voir l’ouvrage et lui dit :

— Tiens, voici une hache, tu vas aller dans la forêt, et en abattre tous les arbres.

Le petit garçon frappa un arbre avec sa hache, mais comme elle était en verre, elle se brisa aussitôt ; alors il prit sa baguette et lui dit :

— Par la vertu de ma baguette, que tous les arbres de cette forêt soient abattus !

Aussitôt toute la besogne fut faite, et il alla chercher le diable qui fut bien surpris et lui dit :

— Tu n’as guère été longtemps à abattre la forêt ; voici un levier et une hache, il faut que tu démolisses ce château ou je te tuerai.

Le levier et la hache étaient aussi en verre, et ils furent brisés en un clin d’œil ; alors il eut recours à sa baguette et lui dit :

— Par la vertu de ma baguette, que ce château soit démoli,

Aussitôt le château fut détruit et les pierres roulèrent à terre.

— Par la vertu de ma baguette, dit-il, que le diable soit écorché tout vif et ne puisse rien sur moi.

Le diable fut aussitôt écorché, alors le petit garçon retourna chez son père ; il n’eut point de mal, et pourtant il s’était procuré l’argent du diable.

(Conté en 1880 par François Marquer, de Saint-Cast, mousse, âgé de 13 ans.)