Contes de la Haute-Bretagne/Le cheval blanc

XII

LE CHEVAL BLANC

Il y avait une fois un jeune garçon que sa mère voulait mettre hors de chez elle sans s’inquiéter de ce qu’il deviendrait.

Comme il s’en allait bien triste, il rencontra son petit cheval blanc, qui lui dit :

— Tu as l’air bien chagrin, mon ami.

— Hélas ! oui, ma mère ne veut plus de moi à la maison, et je ne sais ce que je vais devenir.

— Tu vas aller chez le roi, et lui demander s’il ne lui manque pas un domestique : quand tu auras besoin de moi, tu m’appel­leras et je viendrai à ton secours.

Le petit gars alla trouver le roi et lui dit :

— Bonjour, sire, n’auriez-vous pas besoin d’un gardeur de vaches ?

— Si, répondit le roi, le nôtre est parti, et je te prends à sa place, mais à la condition que tu feras tout ce que je te dirai.

Quelques jours après que le gardeur de vaches fut entré en service, le roi lui dit :

— Il faut que tu ailles me chercher la plus belle fille du monde : si tu me l’amènes, tu seras récompensé ; mais si tu ne réussis pas, je te brûlerai dans trente-six fagots.

Le jeune garçon appela son petit cheval blanc, qui accourut aussitôt et lui dit :

— Qu’as-tu à pleurer, mon ami ?

— C’est, répondit-il, que le roi m’a ordonné d’aller lui chercher la plus belle fille du monde, en jurant que si je ne pouvais la lui amener, il me ferait brûler dans trente-six fagots.

— Tiens, voici une petite carte ; tu verras arriver trois vapeurs, tu la montreras à leur capitaine, et tu ne seras pas encore brûlé cette fois-ci.

Le jeune garçon alla se promener sur le bord de la mer, il vit trois vapeurs et dès qu’il eut montré sa carte ils arrivèrent et le capitaine lui demanda ce qu’il voulait :

— Je veux, dit-il, la plus belle fille du monde.

Les vapeurs s’éloignèrent, et quand ils revinrent ils amenaient la plus belle fille du monde. Mais elle était si en colère qu’elle jeta ses dés en or dans la mer, et en passant près la forêt elle lança sa bague d’or au plus épais des buissons. Il amena au roi la belle fille ; mais, quelques jours après, le roi le fit venir et lui dit :

— Ce n’est pas assez d’avoir été chercher la plus belle fille du monde, il faut que tu me rapportes ses clés d’or, ou tu seras brûlé dans trente-six fagots.

Le jeune garçon appela encore son petit cheval blanc :

— Qu’as-tu aujourd’hui, mon ami ? lui demanda-t-il.

— Le roi m’a ordonné d’aller chercher les clés d’or de la belle fille, et il m’a dit que si je ne les retrouvais pas, il me ferait brûler dans trente-six fagots.

— Tout cela n’est pas bien difficile, répondit le cheval blanc : les clés d’or sont dans la mer ; tu vas prendre un morceau de pain et le mettre sur un rocher. Il viendra un petit poisson pour le manger, et tu le prieras de t’apporter les clés.

Le jeune garçon prit un morceau de pain et alla le placer sur un rocher de la mer ; il vit aussitôt apparaître un petit poisson rouge qui lui dit :

— Donne-moi ton morceau de pain, et je te rendrai service si tu as besoin de moi.

— Ah ! poisson, répondit le petit gars, tu peux me sauver la vie : va chercher les clés d’or que la plus belle fille du monde a jetées dans la mer ; si je ne les apporte pas, le roi veut me brûler dans trente-six fagots.

Le petit poisson rouge plongea dans la mer, et ne tarda pas à rapporter les clés d’or.

Quand le roi les eut, il dit à son domestique :

— Ce n’est pas le tout que d’avoir les clés d’or, il faut encore que tu ailles chercher la bague d’or que la belle fille a perdue dans la forêt ; si tu ne l’apportes pas, tu seras brûlé dans trente-six fagots.

Le petit garçon appela le cheval blanc à son secours, et lui raconta ce que le roi exigeait encore :

— Monte sur mon dos, et n’aie pas peur, lui dit le cheval blanc.

Il alla dans la forêt qui était pleine de bêtes de toutes sortes ; mais le cheval blanc les étrangla toutes, et il trouva la bague d’or dans le ventre d’un loup.

Le petit gars la rapporta au roi ; mais le loup en l’avalant lui avait donné un coup de dent, et elle était un peu écornée. Le roi lui dit :

— La bague est écornée : si d’ici trois jours tu ne peux la raccommoder si bien qu’on ne s’aperçoive pas de l’endroit où elle a été éraillée, je te ferai brûler dans trente-six fagots.

Le petit gars appela son cheval blanc, et lui dit en pleurant :

— Je suis perdu cette fois, le roi m’a dit qu’il me brûlera dans trente-six fagots si je ne pouvais faire disparaître la trace de sa cassure.

— Monte sur mon dos, lui dit le cheval blanc ; voici une petite bouteille, je vais entrer dans le cimetière et faire le tour du Calvaire jusqu’à ce qu’elle soit remplie des gouttes d’eau du bon Dieu.

Quand la bouteille eut été remplie des gouttes d’eau du bon Dieu, le cheval blanc dit au petit gars :

— Tu te mettras une goutte d’eau sur la langue, et le feu ne te fera aucun mal.

Au bout de trois jours la bague n’était pas raccommodée : le roi fit mettre trente-six fagots dans la cour du château, et on attacha le petit garçon au milieu ; mais les trente-six fagots brûlèrent sans lui faire aucun mal. Les domestiques allèrent chercher d’autres fagots, et ils en brûlèrent trente-six mâts sans pouvoir parvenir à faire mal au petit garçon.

Ils allèrent prévenir le roi qui arriva et lui dit :

— Pourquoi les flammes ne t’ont-elles point fait de mal ?

— Croyez-vous que je vais me laisser brûler quand j’ai un moyen sûr d’empêcher le feu d’avoir-prise sur moi ?

— Comment as-tu fait ?

— C’est avec de l’eau qui a pouvoir sur le feu.

— Va m’en chercher, je veux essayer.

Il appela son cheval blanc et monta sur son dos ; mais, au lieu de remplir sa bouteille avec l’eau du bon Dieu, il la remplit d’eau de mer.

Le roi fit faire un bûcher de trente-six fagots et se mit au milieu, Le jeune garçon et le petit cheval blanc soufflaient le feu : le roi, malgré sa bouteille, fut grillé.

Le petit garçon épousa la plus belle fille du monde et il fut heureux, et le petit cheval blanc eut de l’avoine pour le restant de ses jours.

(Conté en 1880 par Auguste Macé, mousse, âgé de 14 ans.)