Contes de l’Ille-et-Vilaine/Saint Court-en-Bruyère

Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 193-198).


SAINT COURT-EN-BRUYÈRE, SAINT TIRE-AU-JOUG ET SAINT BÊLANT.

Au temps jadis, vivait dans une petite bourgade située sur les bords de la Vilaine un brave homme de curé qui était toujours à court d’argent, parce qu’il donnait beaucoup aux pauvres.

Les notables de la paroisse vinrent un jour le trouver à son presbytère et lui dirent : « Monsieur le Recteur (c’est ainsi qu’on appelle les curés chez nous), les lieux de pèlerinage sont une cause de richesse pour les pays où ils se trouvent, et nous avons songé que, si nous possédions des reliques de saints en renom, nous pourrions attirer chez nous de nombreux étrangers qui nous apporteraient leur argent. »

— Bien pensé, mes amis, répondit le curé ; mais les reliques de saints sont rares et coûtent cher.

— Nous nous en doutions, monsieur le Recteur ; aussi avons-nous fait une collecte qui a réussi au-delà de toute espérance. Nous vous apportons le montant de cette quête, en vous priant de faire diligence pour nous procurer au plus vite les reliques que nous désirons. Nous annoncerons leur arrivée en grande pompe, ainsi que la cérémonie à laquelle elles donneront lieu et les brillantes fêtes qui suivront.

Le bon curé prit le magot avec la ferme résolution de se mettre en campagne pour découvrir les saintes reliques. Mais il ne tarda pas à avoir besoin d’argent pour ses pauvres. Bientôt, hélas ! le produit de la quête fut englouti !

Des mois et des mois s’écoulèrent et tous les jours les bonnes gens disaient à leur pasteur : « Eh bien ! monsieur le Recteur, aurons-nous bientôt nos reliques ? »

— Oui, mes enfants, je suis en pourparlers avec des moines qui doivent me les procurer, et j’espère qu’ils me les apporteront prochainement.

Malgré cela les reliques n’arrivaient point, et les ouailles du curé commençaient à murmurer.

Ne pouvant plus différer davantage, le pauvre pasteur qui se voyait dans l’impossibilité de rendre l’argent qu’il avait reçu annonça à ses paroissiens que les reliques tant désirées étaient arrivées, et fixa au dimanche suivant la date de la cérémonie.

Les braves gens ne se possédaient pas de joie et colportèrent la nouvelle dans tout le pays.

Le curé, pour se tirer d’embarras, prit des os de lièvre, de bœuf et de mouton, les fit bouillir, nettoyer, blanchir, les entoura de bandelettes et, finalement, les plaça séparément, dans trois vieux reliquaires qu’il avait pu se procurer d’un colporteur, en échange de calices et de ciboires hors de service.

Au jour dit, les cloches sonnèrent à toute volée, les femmes parées de leurs plus belles toilettes, les hommes en habits de fête, arrivent en foule à l’église, se pressent, se heurtent pour approcher de l’autel sur lequel sont déposés les trois reliquaires.

La messe d’actions de grâces est célébrée, l’église retentit de chants d’allégresse, puis enfin le curé monte en chaire et s’exprime ainsi :

« Mes chers frères, j’ai sans doute bien tardé à vous procurer les reliques que vous attendiez avec tant d’impatience ; mais c’est qu’aussi je voulais avoir, pour notre paroisse les restes des plus saints martyrs de la foi chrétienne, de ceux-là, qui, ayant le plus souffert ici-bas, sont à même, là-haut, de nous attirer les célestes bénédictions de Dieu.

« J’y suis arrivé, non sans peine, mes chers frères, et les reliques sacrées que vous avez sous les yeux sont celles que j’ai cru devoir choisir.

« Le premier reliquaire renferme un fragment de tibia du bienheureux saint Court-en-Bruyère. Toute sa vie, mes frères, ce saint a été en butte aux méchancetés des hommes. Il a été chassé et pourchassé partout où il est allé. Bien que réfugié au milieu des champs et des bois, où il ne vivait que de légumes et de racines sauvages, il a été traqué de buissons en buissons comme une bête fauve. Toute son existence n’a été qu’un long supplice, et il est mort lâchement fusillé. Priez-le donc souvent, mes frères, car ce fut un grand saint.

« Le second reliquaire contient les restes mortels du bienheureux saint Tire-au-Joug.

« Celui-ci, mes frères, fut la bonté même, la mansuétude incarnée. Il n’est pas de service qu’il n’ait rendu au genre humain. Aidant le laboureur, dès l’aube matinale, à creuser le sillon large et profond qui devait contenir les richesses de la vie, il a travaillé jour et nuit comme un pauvre mercenaire. En récompense de ces durs labeurs, il a été battu, fouetté, aiguillonné jusqu’au sang, et cruellement assommé ! Honorez, honorez, mes frères, ses restes vénérés que vous devez être fiers de posséder.

« Dans le dernier reliquaire sont les côtes du bienheureux saint Bêlant » Oh ! celui-là, mes frères, invoquez-le souvent et vous en serez récompensés.

« Doux comme l’agneau du Sauveur, il a toute sa vie pratiqué le symbole de la charité chrétienne, il s’est dépouillé de tout ce qu’il possédait pour vêtir les hommes et les préserver de la froidure. Et vous croyez sans doute, mes frères, qu’ils ont été reconnaissants envers lui du bien qu’il leur a fait. Erreur ! Oh ! ingratitude humaine ! ils l’ont traîne au supplice comme un vil scélérat, ils l’ont conduit à la boucherie, et là il a été ignominieusement égorgé !

« Oh ! mes chers frères, bénissons Dieu ; remercions-le d’avoir permis que nous fussions sous la protection de pareils saints, et chantez avec moi les cantiques les plus beaux. »

Après cette allocution, le digne Pasteur descendit de la chaire, acheva la cérémonie au milieu de la joie la plus complète, et depuis ce temps on célèbre tous les ans, à pareille époque, les fêtes des trois illustres martyrs saint Court-en-Bruyère saint Tire-au-Joug et saint Bêlant.

(Recueilli par Victor Hamon,
percepteur à Saint-Hilaire des Landes).