Contes canadiens/Un Murillo/3
Après la signature de la capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760, les troupes françaises furent embarquées pour retourner dans leur patrie, mais les soldats qui optèrent en faveur de la colonie eurent la permission d’y demeurer. L’un de ces derniers, Joseph Montferrand, se fixa à Montréal et ouvrit une salle d’escrime qui fut bientôt très fréquentée. La taille imposante, la force herculéenne, l’adresse de ce maître d’armes le mirent en réputation.
Son fils se nommait aussi Joseph et paraît être né en 1754. En 1783, il s’engagea à la compagnie du Nord-Ouest pour ces rudes voyages dont les historiens ont si souvent parlé. Très fort et très brave, il se fit remarquer dans maints combats — et l’on sait si la lutte était chaude entre les compagnies qui se disputaient la traite des fourrures de l’Ouest ! Conducteur des flottilles chargées de marchandises pour les pays d’en haut ; ensuite guide ou traiteur de pelleteries, il sut amasser une petite fortune qui lui permit de finir ses jours dans l’aisance. Il avait la renommée de ne reculer devant aucune provocation et de n’avoir jamais été vaincu. Les Français et les Canadiens de Montréal se montraient fiers de lui comme de son père. Dans ces temps agités, la valeur musculaire jointe à la bravoure étaient généralement prisées. Montferrand mourut à Montréal dans le premier quart de notre siècle.
Son fils, Joseph, naquit à Montréal le 26 octobre 1802, rue des Allemands, dans une maison qui a brûlé au grand feu de 1852.
Un jour qu’il transportait à lui seul une pièce de bois énorme, sa mère lui dit :
— Tu es fort, mais n’en sois point glorieux, ton père était plus fort que toi.
À seize ans, une circonstance fortuite le rendit tout à coup célèbre dans le quartier. Il travaillait à une excavation, devant la maison de son père. Un nommé Michel Duranleau, fameux boulé traversant la rue en compagnie de deux autres fiers-à-bras, très connus dans les élections, mit le pied sur la tête de l’enfant qui se trouvait au niveau du sol. Cette insolence ne plut pas à Montferrand qui, poussé comme par un ressort, sortit de terre et alla tomber au milieu des trois hommes. Duranleau, qui n’avait pas encore « rencontré son maître », fut rossé, avec ses compagnons. Tous trois étaient de la campagne. Les gens du quartier Saint-Laurent considérèrent cette victoire comme un item à leur crédit.
Ce qui étonnait le plus dans cet adolescent, c’était la
vivacité et la souplesse de ses allures. Il ne portait pas sur le sol. On l’a vu plus d’une fois s’enlever et
marquer du talon de sa botte le plafond des salles « basses comme
Marquer du talon de sa botte le plafond.celles de toutes les demeures de cette époque » où il s’amusait avec ses camarades.
Bondir à pieds joints par-dessus une table ou une barrière était pour lui un jeu quotidien.
Son caractère était très doux. Ayant conscience de sa force surhumaine et du milieu dans lequel il vivait, il était toujours en garde et réglait son humeur d’après la justice et le droit. Loyal et honnête, il s’était acquis la réputation d’un gentleman. La famille Montferrand, très rangée, économe et bien notée dans le faubourg Saint-Laurent, élevait ses fils avec tout le soin désirable. Notre héros se ressentit toujours de la sollicitude de ses parents envers lui.
La rue des Allemands, lieu de naissance de Montferrand, est en plein milieu du quartier Saint-Laurent où se réunissaient avant 1840 tous les hommes forts de passage à Montréal. Les tavernes y abondaient. Le mélange des nationalités s’ajoutait à la physionomie déjà étrange de ce quartier. Tout voyageur un peu solide tenait à s’y faire connaître, mais on ne se battait bien que sur la grève, au pied de la place Jacques-Cartier. Être connu au faubourg Saint-Laurent, c’était avoir une réputation qui s’étendait par tout le Canada. Les habitués de ces tavernes passaient alternativement de la buvette à la salle de boxe, car l’établissement n’eut pas été complet en ce temps-là sans le noble exercice que les Anglais nomment the manly art. Plus d’une partie commencée avec les gants rembourrés se terminait, quelques jours après, en présence de la foule convoquée par la rumeur publique, et il y avait une rencontre sérieuse à coups de poing.
Les sportmen et les gentlemen les plus huppés de la ville ; les officiers des troupes ; les dames même, patronnaient ces joutes, ces tournois, ces exhibitions de la force physique. Les rencontres se faisaient suivant les règles. On n’y voyait rien de répugnant. Plus d’une taloche savante a été, dans ce temps, l’objet de commentaires passionnés et l’auteur du coup s’est attiré les louanges et les félicitations de milliers de spectateurs enthousiastes.
La légende qui s’est formée sur notre athlète est fausse en plusieurs endroits. On dit qu’il ignorait l’art de la boxe. Il la connaissait aussi bien que les plus adroits jouteurs. Élevé dans le faubourg Saint-Laurent, à deux pas du Fort Tuyau, du Coin Flambant et de dix salles de gymnase, il les fréquentait habituellement, mais évitait les querelles si communes dans ces réunions. Son éloignement pour les boissons fortes le laissait maître de lui-même et lorsque les têtes s’échauffaient il savait se retirer. Quand son adversaire le serrait de trop près, il levait la jambe et le couchait par terre sans lui faire de mal.
Deux boxeurs anglais renommés luttaient un jour, en 1818, sur le Champ de Mars de Montréal, en présence de la foule et d’une partie des troupes de la garnison. On rapporte que le vainqueur fut proclamé champion du Canada et que le meilleur homme du pays fut appelé séance tenante à lui disputer ce titre. Le sang de Montferrand ne fit qu’un tour : il ne voulait pas laisser la palme à un Anglais ! Selon la coutume du temps, il s’élança dans le cercle et chanta le coq : cela signifiait qu’il relevait le défi. Les gens du quartier Saint-Laurent battirent des mains — ils connaissaient l’enfant qui allait se mesurer contre le boxeur anglais. Leur espoir ne fut point trompé. Montferrand ne porta qu’un seul coup de poing, mais si parfaitement appliqué que son adversaire se déclara incapable de tenir devant lui.
Ses bras, sur le vainqueur, dans sa gloire troublé, |
Le lendemain toute la ville prononçait le nom de Jos. Montferrand. Il avait conquis la faveur populaire ; les sportsmen lui pressaient la main et se le présentaient l’un à l’autre. La candeur avec laquelle il recevait les éloges le faisait encore plus remarquer. Sa bonne figure plaisait aux amateurs du grand jeu.
Mais lui, dans son humble condition, ne cherchait qu’à gagner sa vie et à aider sa famille. Ses instincts étaient du côté du travail. Il exerça pour commencer, l’état de charretier de grosses voitures ; on l’employait surtout à la manœuvre des articles lourds et difficiles à remuer. Il expédiait avec prestesse la besogne d’un déménagement, on peut le croire !
Son père et sa mère décédèrent de 1820 à 1822. L’année suivante, il entra au service de la compagnie du Nord-Ouest devenue compagnie de la Baie d’Hudson sous les ordres de M. Fisher. Dès les premiers jours, un métis du nom d’Armstrong le provoqua en duel au pistolet, à vingt pas. Montferrand voulut abréger la distance, mais son adversaire s’y refusa.
— Eh bien ! puisque tu ne veux pas te battre, tu n’en sentiras pas moins la poudre !
Ce disant, il lui mit le pistolet sous le nez et tira en
l’air. Puis appliquant sa
large main sur l’épaule du
À présent, tu vas la danser !pauvre diable, il ajouta :
— À présent, tu vas la danser !
Armstrong s’excusa, à genoux, dit-on. Ce métis était contremaître d’un chantier, ou servait dans l’ancienne compagnie de la baie d’Hudson. Son amusement consistait à aller d’un campement à un autre, insulter les hommes et les appeler en combat singulier. À cause de sa force et de sa méchanceté on le craignait beaucoup. Montferrand le guérit de ses habitudes.
À l’âge de vingt-cinq ans, il laissa la compagnie pour entrer au service de Joseph Moore qui exploitait des coupes de bois sur la rivière du Nord où il fut conducteur en chef pendant deux ans ; alors, il passa chez Bowman et McGill, marchands de bois. Ce fut son premier voyage en haut de l’Ottawa.
Le commerce de bois prenait des proportions énormes à cette époque. On tirait de l’Ottawa des « cages » qui descendaient le fleuve et faisaient la fortune des entrepreneurs. Les « voyageurs » touchaient de gros gages. Les bons hommes étaient recherchés. Leur rendez-vous à Montréal, se continuait durant tout l’été. Ceux qui avaient fait plusieurs campagnes et qui s’étaient distingués par des actions d’éclat jouissaient d’une notoriété que la jeunesse enviait. L’adresse, le courage et les muscles étaient en grand honneur. Nombre de Canadiens se trouvaient riches sous ce rapport — et ils exploitaient leurs fonds avec tout l’entrain que notre race met dans les choses qui lui plaisent.
Un jour qu’il était porteur de plusieurs milliers de piastres destinées à la paie de ses gens, il fut attaqué, au lac des Sables, par cinq hommes qui voulaient le dévaliser. Malgré leurs bâtons, il assomma trois d’entre eux et s’empara des deux autres pour les livrer à la justice.
Il mettait l’ordre partout : dans la bande, souvent indisciplinée, qu’il commandait ; dans les affaires de ses patrons et jusque dans les écritures des commis, tant sa mémoire était fidèle.
Le lac des Sables est en haut de la rivière du Lièvre, à trente lieues de Buckingham. Ces terrains avaient été concédés à Philémon Wright vers 1799. En 1818, M. Fisher en acheta une partie pour établir une ferme, qui devint bientôt prospère sous sa direction. En 1830, l’arpenteur Bouchette constate que M. Bowman y possédait des cultures en bon état, ainsi que des moulins. La compagnie de la Baie d’Hudson y avait dès lors un poste de traite.
Trois qualités physiques faisaient de Montferrand un homme redoutable : les bras longs et forts, la jambe qu’il maniait comme un fouet, et la souplesse incroyable de tout son corps. Ajoutons à cela un sang-froid qui rendait son courage effrayant.
Le plus souvent, il se battait à la négligence, mais dans les surprises, il déployait tous ses moyens. C’était alors un lutteur homérique. Rien ne l’arrêtait et tout pliait devant son audace. Il semblait avoir un souverain mépris du nombre de ses adversaires, peut-être d’après ce calcul qui consiste à frapper un grand coup sur deux ou trois hommes et à terrifier ainsi toute la bande.
De père en fils, les Montferrand sont charitables. Lorsqu’un pauvre charretier perdait son cheval, les deux frères, Joseph et Louis, allaient par les maisons quêter l’argent nécessaire pour lui acheter une autre bête. Les veuves et les enfants tombés dans la misère trouvaient en eux des protecteurs d’autant plus écoutés qu’ils étaient du peuple, connaissaient toute la ville et étaient estimés dans tous les rangs de la société.
Louis est mort du choléra, à Montréal, en 1832, âgé de vingt-cinq ans. Il n’était pas marié.
Vers 1828, à Montréal, un major du nom de Jones, appartenant à l’armée anglaise, passait pour un pugiliste invincible. Il affectait un profond mépris des Canadiens. Un jour, dans une buvette de la Place d’Armes, il vit entrer Montferrand et se moqua de lui. Dix minutes après les deux hommes se mesuraient dans la cour de l’établissement. À chaque coup, appliqué d’une main sûre, Montferrand lui disait :
— Insulterez-vous encore les Canadiens ?
Le major capitula, tout grand boxeur qu’il était.
En 1828, à Québec, Montferrand pensionnait à l’Hôtel de Québec, tenu par un nommé Beaulieu. Les frères McDonnell, commis de Bowman et McGill, donnaient un bal aux voyageurs. Les officiers d’un navire anglais s’avisèrent de troubler la fête. Ils cherchaient à se mesurer contre les plus vaillants et menaçaient de tout briser dans l’hôtel. C’était la mode du temps. Les McDonell appelèrent au secours : Montferrand descendit de sa chambre. Il tenta d’abord de faire sentir sa force aux intrus, mais ceux-ci s’armèrent de garcettes — alors le véritable bal commença ! Montferrand ne manqua pas un seul officier ; il les laissa tous aux mains des médecins. La chose fit grand bruit par la ville. Les sportmen accoururent le lendemain ; ils venaient des navires en rades et principalement de la garnison. Montferrand ne pouvait suffire à répondre aux éloges dont on l’accablait et aux attentions que lui témoignaient ces visiteurs enthousiasmés.
— Nous avons parmi nous, dit un capitaine, le champion de la marine anglaise ; il est de votre force et serait heureux de voir ce que peut faire contre lui un Canadien.
Le mot n’était pas lâché que Montferrand avait dit : « j’accepte ! » Son patriotisme n’hésitait jamais quoiqu’il aimât médiocrement la bataille par elle-même.
Le rendez-vous était sur le quai de la Reine. Un trait qui peint bien les mœurs du temps, c’est que, outre
Son torse et ses bras nus étaient couverts de poils.couverts de poils. Son apparence en imposait aux plus braves — si bien que Montferrand se crut perdu. Une faiblesse générale s’empara de ses membres. Il ne savait comment se tourner. Tout à coup, la musique du régiment se fit entendre. Elle eut un effet magique sur notre héros. Il entra dans le cercle et se mit en garde. L’Anglais porta un coup habile, qu’il croyait irrésistible, mais qui fut paré. On applaudit. Aussitôt la confiance des parieurs se tourna du côté de Montferrand. Celui-ci redoutait maintenant plus la science que la vigueur de son adversaire, et comptait le fatiguer, grâce à l’inépuisable force dont il se sentait lui-même possesseur. À la douzième reprise, l’étranger donna des signes de faiblesse, et à partir de ce moment les chances parurent en faveur du Canadien. À la seizième reprise, une feinte habile permit au marin anglais de frapper à la tête, près de l’oreille, endroit sensible à l’excès, mais au début de la dix-septième reprise Montferrand para des deux bras à la fois et détacha deux coups de poing qui atteignirent son adversaire en pleines côtes le mettant hors de combat.
Le capitaine, suivi de nombre de personnages amateurs de ces jeux barbares, donna force poignées de main à Montferrand et déposa devant lui deux mille piastres, formant la part de bénéfice du vainqueur.
— Je veux bien, dit Montferrand, garder le titre de champion des cinq parties du monde que vous me décernez ; quant à l’argent, donnez-le au pauvre diable que j’ai brossé, il en aura plus besoin que moi pour se faire raccommoder la carcasse. Je ne me bats ni pour or ni pour argent.
— Alors, venez avec moi, je vous ferai voyager autour du monde et vous traiterai en bon ami. Pour commencer, allons dîner.
— J’irai dîner avec vous à bord, mais nous n’irons pas plus loin ensemble. Si vous saviez comme je ne suis pas attaché à l’argent, et combien il m’en coûterait de partir de mon pays !
À ceux qui lui offraient un jour mille piastres, la veille d’une élection, il fit cette réponse :
— Si c’est pour mon parti, pas d’argent. Si c’est contre mon parti, tout l’or de la terre ne m’achèterait pas.
Bill Collins avait la réputation d’être l’un des plus adroits boxeurs de Montréal et le plus souple de tous ceux qui se servaient du pied et du poing. Sa coutume était de parcourir le faubourg Saint-Laurent, la menace à la bouche, désignant d’avance ses victimes. Il chantait le coq à tout propos. Un ami de Montferrand, appelé Étienne Lavictoire, tenait une auberge ;
Pourtant, les amis de Collins intervinrent et une rencontre sur la grève fut décidée. C’était en 1830. À la première passe, Montferrand appliqua un vigoureux coup de poing sur l’oreille de Collins — et on crut le malheureux assommé pour jamais. Il se rétablit cependant. En 1832, le choléra lui valut la chance d’être compté un instant pour mort. Avant que de parvenir à la Pointe à Callières, (aujourd’hui place de la Douane) où l’on jetait, dans une fosse commune creusée à cet effet, les cholériques que l’on ramassait sur la route, ce grand tapageur sauta à bas de la voiture et fit un pied-de-nez au charretier, qui resta tout stupéfait de voir Bill se sauver sans même lui payer sa promenade. Le cabotage du véhicule avait dégrisé mon homme. On le vit encore faire les cent coups durant quelques années.
Parvenu au plein développement de sa croissance, Montferrand était très bien proportionné et d’un port imposant. Ses bras, longs et nerveux, descendaient jusqu’aux genoux les doigts étendus, avantage précieux qui lui permettait de tenir un antagoniste à distance. D’ailleurs, ses bras étaient pour la force et la vigueur, hors de comparaison avec ceux d’aucun homme.
Un jour il hâla par la chaîne une chaloupe qui flottait derrière un bâtiment et l’embarqua. Il fallut cinq hommes pour la remettre à l’eau.
Martin Hennessay, contremaître d’une compagnie de marchands de bois, rivale de Bowman que Montferrand représentait dans le haut de l’Ottawa, avait composé une chanson pour célébrer ses exploits. Chaque fort-à-bras qu’il démolissait ajoutait un couplet à cette kyrielle déjà longue. N’ayant jamais vu Montferrand, il lui prit fantaisie de rimer à son sujet une strophe finale, à peu près dans ces termes :
Et Montferrand, au pied léger,
Aura de mes nouvelles.
Il ne pourra pas s’en sauver :
Je le cherche et l’appelle !
À quelque temps de là, Montferrand eut occasion d’entrer dans une cambuse ou chantier tenu par un Irlandais, près du village de Buckingham, et se trouva en présence d’une vingtaine de shiners, parmi lesquels Hennessay, qui se fît connaître.
Une autre version rapporte que M. Bowman avait fait cadeau à Montferrand d’un chapeau de castor et que en le voyant passer avec cette coiffure, on l’interpella amicalement sous prétexte de « mouiller » l’article. Ces hommes avaient déjà bu passablement. Après quelques nouvelles rondes, la plupart se trouvaient gris. Hennessay avait l’ivresse désagréable. Se levant tout à coup il enfonça le chapeau de Montferrand sur les yeux de celui-ci, en disant quelques mots de provocation. Montferrand, toujours sur la réserve, ne s’était pas laissé griser ; d’ailleurs, buvant à de rares intervalles, une fois par mois à peine, et avec mesure, il résistait admirablement à l’effet de la boisson.
— Pourquoi donc te présentes-tu aujourd’hui que je
suis seul ? dit Montferrand. Quand mes hommes sont
Il enfonça le chapeau de Montferrand sur
les yeux de celui-ci.avec moi, on te
voit passer au
large.
— Je ne me sens pas en sûreté parmi les tiens.
— Moi, c’est différent, j’accepte ton défi au milieu de tes gens. Tu veux m’intimider ! Ta chanson insulte les Canadiens : c’est à la canadienne que je vais t’étriller. En garde !
Sur ces paroles, quelques hommes fermèrent la porte et se tinrent tout auprès pour empêcher les combattants de sortir.
— Tu veux donc mourir ici, maître fourbe, demanda Montferrand. C’est un piège que tu m’as tendu !
Mais Hennessay frappait déjà. Dans cette chambre remplie de monde et toute basse, il fallait mesurer ses mouvements. Lorsque Montferrand inclinait à gauche ou à droite ou rompait, les hommes de Hennessay le repoussait à coups de pied, avec tant de vigueur qu’il en a gardé les traces douloureuses le reste de sa vie. C’est alors que, voyant la situation se compliquer, il déclara qu’il allait se servir de ses pieds et mettre à mort toute la bande. La porte s’ouvrit. On était à la dixième reprise. Hennessay désirait reprendre haleine. Montferrand se plaça dans une espace libre et chanta le couplet le plus agressif de la chanson de son adversaire. Ceci ranima Hennessay, mais à la quinzième reprise il faiblissait visiblement. Montferrand chanta alors :
Un Canadien n’est pas léger
Sachez-en la nouvelle.
Tu ne pourrais pas t’en sauver :
Je viens quand on m’appelle !
Et s’adressant à toute la bande :
— Le meilleur d’entre vous, à présent !
Hennessay réclama le droit de répondre encore une fois. Montferrand para deux ou trois attaques puis tout à coup abaissant son poing sur la figure du téméraire il l’écrasa comme une pomme cuite. Hennessay ne provoqua plus les Canadiens après cela. Il fut tué d’un coup de pistolet dans une bagarre, plusieurs années ensuite.
On raconte qu’un jour, en 1829, plus de cent cinquante
shiners s’étaient mis en embuscade, du côté de
Hull,[1] à l’extrémité du pont, qui est suspendu sur
Abaissant son poing sur la figure
du téméraire il l’écrasa comme
une pomme cuite.la décharge de la cataracte.
Montferrand, qui avait
conçu des soupçons, demanda à une femme dont
l’échoppe se trouvait, comme
à présent à la tête du
pont, côté de Bytown, s’il
y avait du monde dans le
voisinage, et sur sa réponse
négative, il partit seul
pour traverser.[2]
À peine rendu au milieu du trajet,
l’ennemi se précipita au devant de lui. Il voulut
fuir, mais la femme avait refermé la porte du pont.
Les shiners brandissaient des gourdins et proféraient
des menaces en s’excitant les uns les autres, Montferrand
fit quelques enjambées rapides pour se rapprocher
des agresseurs ; ceux-ci s’arrêtèrent un instant, mais
l’un d’eux plus exposé, tomba aux mains du Canadien,
qui le saisit par les pieds et s’en fit une massue avec
laquelle il coucha par terre le premier rang ; puis ramassant
ces malheureux comme des poupées, il les lança à droite et à gauche, dans les bouillons blancs de
la rivière. Au moment de l’attaque, Montferrand
avait invoqué la Sainte-Vierge et fait le signe de la
croix. L’un des shiners culbutés se releva sur un genou
et au moment où la formidable poignée du géant
allait lui faire subir le sort des autres, il décrivit sur
sa personne avec un air suppliant, le signe de la croix.
« Passe derrière, lui dit Montferrand, qui, sans tarder,
bondit de nouveau en avant et recommença à abattre
des hommes. La bande plia et se mit à courir, mais en
même temps, Montferrand se sentit atteint derrière la
tête par un coup de pierre ou de bâton. Il se retourna
et rabattant son poing sur la poitrine du traître
(l’homme au signe de croix) il l’étendit raide à ses
pieds, puis, le saisissant par le milieu du corps, le lança
dans le gouffre. La scène était horrible. Le sang
coulait du parapet dans la rivière. Une foule de gens,
rassemblés sur le rivage de Hull, regardaient détaler
les shiners qui s’enfuyaient par la route d’Aylmer.
Montferrand venait de passer le pont comme il passait
partout : en vainqueur.
J’ai été plus embarrassé dans ce travail par l’incertitude des dates et l’abondance des faits que par l’esprit du doute. Montferrand est entré dans l’imagination populaire. Ses exploits ne souffrent point contradiction. Reste à savoir où, quand et de quelle façon telle ou telle chose qui le concerne a eu lieu. Et puis, comme le dit un proverbe : on ne prête qu’aux riches — et que ne lui a-t-on pas prêté ! Son père et son grand-père, personnages célèbres en leur temps se sont en quelque sorte fondus dans sa légende — si bien
La beauté de sa figure, l’aimable expression de ses traits, la grâce de toute sa personne, la jovialité de sa conversation en faisaient l’un des hommes les plus captivants et les plus polis de l’époque, mais il parlait toujours avec hauteur et mépris de ceux qui tentaient de se faire une renommée par des bravades. « Bon à rien », « cabochon », « morveux », « serre-le-grain », « punaise de bois », « enfant de quatre sous » — telles étaient les expressions qu’il employait pour les désigner. J’en passe, et des plus énergiques !
Avec ses grands yeux bleus, ses cheveux blond foncé, son teint clair, ses joues rosées, quand il entrait dans un bal, on ne voyait plus que lui. Danseur incomparable, un peu poseur comme tous les beaux garçons, il enlevait les suffrages. À table, gaîté et politesse, à la mode des anciens seigneurs. Il n’y a qu’une voix parmi ses contemporains pour chanter ses louanges et exprimer leur admiration à son égard.
Pouffant de rire à voir couler sa vie
Comme le vin d’un tonneau défoncé,
Amour ! tu perdis Troie. Amour ! tu fis le malheur de Samson. Amour ! si l’on instruisait ton procès, tu serais… plus chéri que jamais ! Je te consacre trois exclamations.
Montferrand ne stationnait nulle part sans faire acte de galanterie. À la ville comme au village, ses soirées appartenaient aux dames. Avec sa jovialité, l’entrain de ses manières, la politesse qui était innée en lui — et sa réputation d’homme invincible… et irrésistible, disons le mot, il attirait tous les regards, captivait les cœurs et régnait par droit de conquête dans les cercles qu’il fréquentait. Mille jalousies étaient le résultat de cette conduite, mais l’Adonis, à la fois hercule et bon vivant, n’en tenait pas compte. De tous temps, la beauté s’est plu à soumettre les hommes forts. Il s’en suivait que les rivaux de Montferrand étaient souvent des types peu ordinaires — et s’il a soutenu des combats contre quelques-uns de ses propres amis ou compatriotes, c’est dans cette situation qu’il faut en rechercher la cause. De là aussi ces attaques nocturnes, ces surprises qui tiennent du roman et dont sa carrière fut remplie. De là également le prestige de sa renommée, car notre peuple fait toujours la mesure très large à celui qui fascine le beau sexe et qui s’expose au danger en son honneur.
J’emprunte à M. Montpetit la substance de l’anecdote suivante : Un jour que Montferrand avait invité plusieurs de ses hommes à se désaltérer dans un petit hôtel bien tenu, il fut étonné en entrant de voir que les figures de la maison n’étaient plus les mêmes. L’ancien propriétaire avait changé de résidence.
— Pardonnez-moi, madame, dit-il à une jolie femme qui tenait le comptoir. Autrefois, on me connaissait ici. En ce moment, je n’ai pas de monnaie, et je me retire.
botte sur le plafond.
— Restez, monsieur, avec vos amis, sans savoir qui vous êtes je vous crois homme d’honneur. Faites-vous servir.
On profita de la permission. Montferrand entama une causette avec la nouvelle maîtresse du logis. Avant de partir, il la remercia de son obligeance, puis se plaçant au milieu de la salle, il s’enleva d’un vigoureux coup de jarret, marqua les clous de sa botte sur le plafond, et avec une grâce parfaite :
— Voici madame, une carte de visite ; vous pourrez la montrer à vos clients : je me nomme Montferrand. La « signature » du colosse a fait une partie de la fortune de la belle hôtelière. On venait la voir de dix lieues à la ronde.
Quand il signe,
Son talon
Égratigne
Le plafond.
Aux élections de 1832, à Montréal, les troupes firent parler la poudre. C’était du nouveau. Néanmoins il y eut plus d’un engagement au bout du bras. Le grand Voyer tua un tory d’un coup de poing, sur la place du marché au foin (carré Victoria à présent). Une poussée formidable s’organisa contre lui. Montferrand se tenait près de Voyer, qu’il appelait familièrement son papa. À l’approche de cette vague humaine, il lança un coup de poing qui renversa trois hommes. La bande, toute décontenancée recula. On la poursuivit et elle ne reparut plus de la journée.
L’adresse avec laquelle Montferrand choisissait, dans une foule, l’individu ou le groupe qu’il s’agissait de frapper pour jeter l’épouvante parmi le reste, a été observée dans tous ses grands combats. Jamais il ne perdait son temps. Pas un geste inutile. C’est de lui qu’on peut dire : « tous les coups portaient. »
J’ai plus d’une fois entendu dire : « Un tel a battu Montferrand, mais en allant aux informations j’ai toujours appris autre chose. Par exemple M. Jeanvean, qui demeure encore à Montréal, vient de me faire savoir que ni son père, ni son frère, ni lui-même n’ont eu chicane avec Montferrand. Néanmoins, on dit partout qu’ils se sont battus. L’origine de ce conte fut une contestation au sujet d’une paire de rames, que Montferrand préféra payer à Jeanveau, afin de satisfaire les parties intéressées.
Un maître de boxe nommé O’Rourke tenait un hôtel, rue Saint-Pierre, à Montréal. On le disait de première force dans son art. Il avait battu Reed, fameux pugiliste américain, et depuis lors il portait le titre de champion. Reed amena Montferrand chez O’Rourke et les pria de prendre les gants en sa présence. La table du dîner était dressée pour une cinquantaine de convives. Les combattants se placèrent dans un espace libre et le jeu commença. O’Rourke vit de suite que la tâche dépassait ses moyens ; il s’emporta, jeta les gants et frappa à poings nus. Montferrand méprisait les batailles sans motifs ; il enleva son adversaire à bras tendus et le lança sur la table avec une telle puissance que tout le service fut balayé. O’Rourke se ramassa péniblement de dessous un monceau de faïences brisées et vint, clopin-clopant, faire des excuses à celui qui l’avait si bien roulé. De plus, il paya une ronde aux personnes attirées par le bruit de la lutte.
Ces exploits volaient de bouche en bouche, et, comme s’exprime une vieille chronique, la réputation de Montferrand était insurpassable.
En 1838-39, la prison de Montréal regorgeait de
détenus politiques qui se plaignaient, non sans motif,
d’être mal nourris. Deux fois par semaine, Jos. Montferrand
et son bon ami François Laviolette, boucher,
allaient de porte en porte, même chez les Anglais réputés
Il enleva son adversaire à bras tendus
et le lança sur la table.ardents bureaucrates,
et demandaient la
charité pour les prisonniers.
Il va de soi que
pas un Canadien ne les
renvoyait les mains vides.
La plupart des Anglais
donnaient par admiration
pour l’excellent
caractère et les
prouesses de Montferrand.
Car il eut ce beau privilège d’être aimé de tous ceux qui le connurent. Ses anciens compagnons ; ceux pour qui il travailla ; les hôteliers qui l’hébergèrent : tous m’ont parlé de lui avec respect et affection. La postérité se tromperait grandement si elle faisait de lui un hercule mal dégrossi, avide de luttes et rude envers les autres comme il l’était parfois pour lui-même. Je tiens à faire ressortir son mérite, maintenant qu’il n’est plus et que son nom semble destiné à prendre place dans nos annales historiques.
Montferrand religieux fervent — cela étonne tout d’abord. On se figure ce redoutable athlète ne craignant ni Dieu ni diable, selon l’expression populaire. Cependant tel n’était point le cas. Chaque fois qu’il s’est trouvé dans quelque péril, il a invoqué la Sainte-Vierge pour qu’elle lui donnât du courage et ce qui est plus remarquable, il avouait cela à ses camarades, très peu enclins à la dévotion, la plupart même libres penseurs.
M. Bastien, son compagnon de voyage, dit que jamais Montferrand n’a laissé coucher ses hommes pendant le mois de mai, sans leur faire dire en commun le chapelet, et que toujours, quand sa cage était ancrée à proximité d’une église, il emmenait ses hommes à la messe le dimanche, ne laissant sur la cage que le cuisinier.
Ses camarades, qui étaient fiers de lui, le réprimandaient quelquefois d’avoir refusé la bataille. À cela il répondait :
— J’ai promis à ma mère et à la Sainte-Vierge de n’agir que si je voyais une chose mauvaise, un tort, une insulte imméritée ou le fort opprimant le faible.
En effet, on ne peut lui reprocher de s’être engagé dans des luttes pour le plaisir de manifester sa force ou sa vaillance. Il y avait un fond de chevalerie dans son cœur et dans son imagination. Au moyen-âge il eût porté la lance et la hache d’arme avec éclat, pour Dieu, sa dame et son roi.
À partir de 1840, il n’alla plus dans les forêts au-dessus de Bytown. Il guidait les radeaux de bois flotté, depuis cette ville jusqu’à Québec. Un jour, près de la rivière du Nord, il laissa échapper quelques paroles assez vives contre l’un de ses hommes appelé ordinairement le grand Baptiste Dubois. Rendu à l’Abord-à-Plouffe, Dubois songea à se venger.
— Monsieur Joe, dit-il, j’aimerais à prendre une leçon de boxe selon les principes.
— C’est bon, mais il ne faudra pas te fâcher.
— Soyez certain que je ferai attention.
Dubois était par la taille et la force l’égal de Montferrand ; il a raconté à M. J.-B. Lamontagne que son intention était de frapper un bon coup afin de donner à réfléchir à Montferrand. Le coup fut tel (en pleine poitrine) que Montferrand culbuta et faillit perdre connaissance. Il se remit et marcha sur son adversaire. Dubois, étonné de cette prompte résurrection, n’eut que le temps de lui dire :
— Pas avec les pieds !
— Tiens-toi bien, grand Baptiste !
Et dépliant son bras droit, il attira l’attention de Dubois sur la garde de gauche, mais aussitôt le poing gauche de Montferrand s’abîma sur l’oreille droite du grand Baptiste, qui n’entendit plus jamais rien de ce côté de la tête. Quand on le releva, il balbutiait :
— Ça vaut un coup de pied de cheval !
Lorsque Dubois eut amassé cinq cents piastres, il alla finir ses jours chez les Sœurs de la Longue-Pointe, disant toujours aux gens qui lui parlaient de sa surdité :
— Mon oreille droite est sourde. C’est une claque de Montferrand. Il ne fendait pas la peau, mais il assommait. Il frappait comme un coup de pied de cheval.
Gilmore, établi à Montréal en 1847, avait conquis la palme de champion de la boxe dans toute l’Amérique. Il était d’une taille colossale. Ses leçons étaient très recherchées. Il attendait son maître, disait-il souvent. Ce maître ne venait pas, et Gilmore grandissait aux yeux de ses admirateurs. Un jour qu’il jouait aux quilles, on lui annonça que Montferrand se tenait près de lui. De suite, et fort poliment, il offrit les gants à l’athlète. Son déplaisir fut immense lorsqu’il eut tâté l’adversaire qu’il croyait pouvoir vaincre avec facilité. À l’instar de O’Rourke, il commit la faute de se monter la tête. Dès lors, arrachant ses gants, il transforma le combat. Montferrand répugnait à ce genre de querelle et se contenta de parer quelques coups, mais enfin impatienté il empoigna Gilmore et lui faisant traverser la chambre, il l’envoya par-dessus les deux allées du jeu de quilles. Puis, vif comme un écureuil, il franchit l’obstacle à son tour et releva son adversaire qui lui tendit la main et se reconnut dompté.
Au grand feu de 1852, les quatre coins des rues
Mignonne et Sanguinet, étaient en flammes ; la rue
Sanguinet, vis-à-vis chez Montferrand, se trouvait tellement
encombrée de peuple occupé au sauvetage qu’il
Tiens-toi bien grand Baptiste !n’y avait pas moyen
de sortir d’un côté ou
de l’autre. Les personnes
étaient menacées
de périr avec les
meubles accumulés
dans cet espace étroit.
Pour ouvrir un passage
sur la rue Saint-Denis,
M. David Meunier, aujourd’hui
hôtelier, de la rue
Saint-Dominique ordonna
à son fils Pierre d’abattre la clôture du jardin
de Cooper mais les gens de Cooper tirèrent sur le
jeune homme un coup de fusil. Montferrand intervint.
Comme on le menaçait, il lança ses deux pieds
dans la clôture et pratiqua une brèche qui fut bientôt agrandie. Les témoins de ce tour de force disent que
la clôture avait dix pieds de haut et était appuyée de
poteaux de cinq pouces carrés. Cooper n’eut pas le
temps de se reconnaître, car en faisant sa trouée Montferrand
avait mis la main au collet de ce propriétaire
exigeant et l’avait contraint à demander pardon.
Montferrand ne croyait pas subir si tôt le poids de l’âge. À cinquante-quatre ans, date toujours critique pour les hommes fortement constitués, il s’aperçut que la nature reprenait sur lui son empire. Néanmoins, seul il le comprenait et son extérieur ne dénonçait aucunement ce qui se passait dans son être. Il agit en conséquence et se prépara à couler une belle vieillesse, qui fut moins longue qu’il ne le croyait.
Homme d’ordre, même au milieu de ses extravagances de voyageur, il avait su amasser une jolie fortune pour ses vieux jours. Son fils la possède aujourd’hui et s’en montre digne.
Son portrait, toujours mal gravé, l’a enlaidi sottement. On dirait une espèce de monstre. Les hommes de la génération actuelle n’ont vu que sa décadence, son air bonhomme, parfois un peu renfrogné sous l’influence des rhumatismes — et c’est ainsi qu’on le conçoit maintenant. Je me rappelle l’avoir rencontré par les rues, vers 1860, lorsqu’il demeurait dans sa propriété, coin des rues Sanguinet et Mignonne, faisant sa promenade quotidienne au marché Bonsecours, mis avec soin, la tête haute, la figure riante, droit, imposant comme le juge Monk, ayant un mot pour tout le monde — enfin jouissant de la vie. À pied, il dépassait la foule et sa belle figure rayonnait sous les regards qui le suivaient. Sa première visite était pour les bouchers qui l’acclamaient et badinaient avec lui. Ensuite il parcourait les rangs des voitures des cultivateurs, agaçant les femmes, goguenardant les hommes, et salué sur toute la ligne par de joyeux bonjours. Il allait souvent en voiture. Ses chevaux étaient superbes.
Quand il redressait sa taille et qu’il s’animait en parlant, c’était encore le beau garçon de 1830, sans forfanterie, sans ostentation, tout de cœur et de généreux mouvements. Oh, disait-il parfois, plus je réfléchis plus je m’aperçois que j’ai été un grand misérable ; je m’en repens ; puisse Dieu me pardonner les misères d’une vie que j’ai trouvée si longtemps inutile et souvent nuisible ! » Il semble qu’il regrettait d’être né à une époque de trouble et qu’il la comparaît avec notre temps où les lois sont obéies et respectées. Son humilité le faisait s’accuser de fautes que l’histoire ne lui reprochera pas assurément. Il déplorait en quelque sorte d’avoir acquis une renommée issue de la violence et de la force brutale.