Contes/L’Intelligence

Le Roman du LièvreMercure de France (p. 260-261).


L’INTELLIGENCE


Un jour, les livres où étaient les pensées des hommes disparurent par enchantement.

Alors, de grands savants s’assemblèrent : ceux qui sont dans la mathématique, la physique, la chimie, l’astronomie, la poésie, l’histoire et autres sciences et lettres.

Ils tinrent conseil et dirent :

— Nous sommes les dépositaires du génie humain ; nous allons nous rappeler, pour les graver sur un marbre immortel, les inventions les plus belles des savants et des poètes ; mais seulement celles qui représentent, depuis que le monde existe, les plus hauts sommets de l’entendement. Pascal n’aura droit qu’à une pensée ; Newton qu’à une étoile ; Darwin qu’à un insecte ; Galilée qu’à un grain de poussière ; Tolstoï qu’à une charité ; Henri Heine qu’à un vers ; Shakespeare qu’à un cri ; Wagner qu’à une note…

Et alors, comme ils se recueillaient pour ressaisir en leurs mémoires les chefs-d’œuvre indispensables à la consécration de l’homme, ils sentirent avec effroi que leurs têtes étaient vides.