Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/Le Téléphone

LE TÉLÉPHONE



ÀL’ÉPOQUE dont je vous parle, c’était dans les premiers jours de la téléphonie. Mon ami Buies était rédacteur du Pays, avec MM. Napoléon Aubin et Auguste Achintre, trois rudes plumes, comme ceux de cette date le savent. Napoléon Bienvenu, qui devait prendre plus tard la direction du National, entrait dans la carrière. Quoique possédant des talents incontestables, et surtout une mémoire prodigieuse, il était lourd et ne pouvait percevoir de suite la portée des choses. Il s’informa auprès de Buies de cette nouvelle invention qui devait bouleverser le monde. Celui-ci se lança dans une dissertation scientifique à perte de vue.

— Vous savez, Bienvenu, ce phénomène que vous constatez n’a pas encore donné tous les résultats qu’on en attend. Mais, même aujourd’hui, c’est un vol commis envers la Divinité ; c’est une parcelle du pouvoir céleste que personne ne comprend bien encore, mais, la science aidant par la suite des siècles, on finira bien par découvrir le principe de cette force inconnue dont on ignore aujourd’hui l’origine. Dans l’intervalle on ne peut faire autre chose que de constater le fonctionnement de cette machine merveilleuse. Si vous voulez bien me le permettre, je vais vous faire une démonstration ad rem que vous saisirez facilement, tant elle est simple. Nous allons supposer un chien dont les pattes de devant seraient appuyées sur l’un des quais à Montréal, et celles de derrière sur le quai de Longueuil. Vous marchez sur la queue de l’animal et il aboie à Montréal. Voilà ce que c’est que le téléphone.

— Je vous demande pardon, M. Buies, il n’y a pas de chien long comme ça !