Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/Le Cochon à Toinon

LE COCHON À TOINON




LE « Grand Rang » entre St-Jean-de-Matha et St-Félix-de-Valois, une distance de huit milles, n’a que cinq maisons. Le chemin de ligne est une belle route en pente douce bien entretenue, et semble fait exprès pour le plaisir des amateurs de sport hippique, qui trottent leurs chevaux sur toute la distance.

Ils viennent d’un peu partout, de Joliette, de Saint-Félix-de-Valois, de Saint-Jean-de-Matha, et d’autres paroisses environnantes.

Toinon St-Georges demeurait à une distance d’environ dix arpents du village et il avait un cochon de « la grand’ordre » qui broutait tous les jours le long du fossé, sans demander permission à personne. Il lui était facile de s’évader, car la barrière de Toinon avait été arrachée de ses gonds et il ne restait que le piquet.

Barthélémy Lavigne, un jockey de profession, se rendait tous les jours sur cette piste pour trotter ses chevaux.

Un jour, Toinon, qui n’avait consulté personne au sujet de ses droits de faire pacager son cochon sur le chemin du roi, s’amena au bureau de l’avocat de la Couronne pour exposer ses griefs qui étaient réels à son avis et avoir une « consulte. »

Après les salutations d’usage, l’avocat lui demanda le motif de sa visite, et voici l’histoire de Toinon :

— J’voudrais savoir si Barthélémy Lavigne a l’droit de tuer mon cochon, parc’qu’y pacageait dans le chemin.

— Mais non, Toinon, il n’a pas le droit de tuer ton cochon. Conte-moi comment c’est arrivé et n’oublie aucune circonstance.

— Vous savez, en arrivant su’ l’côteau, il s’est mis à pousser son ch’val, pis mon cochon s’est mis à courir devant lui au p’tit trot — un grand cochon maigre — pis Barthélémy a poussé su’ l’cochon, pousse, pousse, pousse, jusqu’à c’que l’cochon prenne l’épouvante ; pis, en arrivant cheux nous, y a voulu prend’ la barrière, pis y a viré drette en équerre.

Mais, M’sieu, y v’nait si vite qu’y s’est attrapé l’fouillon su’ l’piquet et pis y s’est défouillouné nette, y avait pus yinq’ l’écuelle en d’sour. Pis, comme de raison, y était trop maîgre pour le manger, et j’perds toute.

— Comme ton animal était errant sur la voie publique, il n’y a pas de recours.

— C’est ben sacrant, la loi !


— Dors-tu, Joe ?

— Non.

— Prête-moi donc ton buggy neuf pour la journée.

— J’dors.