Considérations sur les bases physico-mathématiques de l’art musical

ACOUSTIQUE.


Considérations sur les bases physico-mathématiques de
l’art musical.
Par M. G. M. Raymond, principal du collége de Chambéri,
membre de plusieurs sociétés savantes.
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L’expérience a fait voir que les recherches des savans dans l’étude de la nature sont rarement infructueuses, et que celles dont l’objet semble le plus éloigné d’atteindre à quelque utilité réelle, jettent tôt ou tard une lumière nouvelle dans la pratique des arts. Combien de phénomènes long-temps isolés, dépourvus en apparence de tout intérêt, et ne paraissant offrir que le fruit stérile de quelques observations oiseuses, ont fini par se rattacher à des doctrines importantes, et par conduire à des conséquences inattendues qui ont exercé une influence directe et féconde sur les moyens de satisfaire aux besoins de l’homme ou d’augmenter ses jouissances !

Telle sera vraisemblablement la destinée des découvertes que les modernes ont faites dans l’Acoustique, relativement aux bases physico-mathématiques de l’art musical. Voici quelques légers aperçus sur cet objet.

Des savans très-versés dans la connaissance des auteurs qui ont traité de la musique des anciens, ont pensé qu’il a existé un système musical commun aux Égyptiens, aux Chinois et aux Grecs ; que ce système était uniquement fondé sur la progression triple et sur l’identité des octaves, c’est-à-dire, sur le sacré quaternaire 1, 2, 3, 4, qui donne 1 et 2, rapport de l’octave ; 1 et 3, rapport de la douzième ; 2 et 3, rapport de la quinte, 3 et 4, rapport de la quarte ; 1 et 4, rapport de la double octave ; d’où il s’ensuivait que le diagramme déduit de ce principe ne contenait que des tons égaux dans le rapport , une tierce majeure dans le rapport , et une tierce mineure dans celui de  ; ce qui excluait nécessairement les tierces et les sixtes du nombre des consonnances. Les mêmes auteurs ont pensé que tel était le système de Pythagore, et que les modifications introduites par Didyme et Ptolémée ne furent que des erreurs qui furent ensuite répétées par Zarlin, et propagées à tort comme des principes liés au système musical des anciens Grecs.

Quoi qu’il en soit, Ptolémée substitua le rapport , pour la tierce majeure, au rapport , et rendit ainsi cet intervalle conforme au résultat des expériences modernes d’Acoustique, dont on a refusé la connaissance aux Grecs. D’autres savans non moins éclairés assurent qu’en cela Ptolémée ne fit que rétablir les véritables principes du système primitif des Grecs.

Les modernes ont découvert que le son d’une corde vibrante n’est pas un son simple, mais que d’autres sons coexistent avec lui : cette coexistence de sons a donné le fondement de l’accord parfait, qui était déjà usité dans les orgues : or il paraît que cet instrument a été introduit en Europe dès le septième siècle.

Rameau, étudiant son art en philosophe, cherchait dans la nature quelque principe plus satisfaisant que tout ce qu’il avait vu jusqu’alors. Il fut frappé de la résonnance des sons harmoniques qu’il remarqua dans la corde vibrante, phénomène déjà connu, comme on le voit dans les écrits des Mersenne et Wallis. Rameau ne soupçonna que deux sons aigus réunis au son fondamental, la douzième et la dix-septième majeure, sol (3), mi (5)[1]. Il paraît qu’en 1749 les commissaires de l’académie des sciences, chargés d’examiner le principe de Rameau, et au nombre desquels était d’Alembert, n’en soupçonnaient pas davantage[2]. Mais on sait que le son fondamental d’une corde vibrante entraîne la coexistence d’une série de sons aigus représentés, quant au nombre des vibrations simultanées, par la suite indefinie des nombres naturels etc., tels qu’on les obtient en divisant le monocorde selon cette même suite de parties.

Rameau avait cru trouver dans le fait de la résonnance harmonieuse de la corde vibrante, le fondement de toute la musique, et le germe de toutes ses règles : on sait comment il en a dérivé son fameux système de la Basse fondamentale.

Tartini fit revivre en Italie une expérience déjà connue en Allemagne et en France, celle de la reproduction du son générateur par la résonnance simultanée de deux quelconques de ses produits : expérience qui présentait une sorte de démonstration inverse du premier principe de la résonnance, et de laquelle Tartini a déduit un système ingénieux.

D’autres systèmes analogues, différens ou même opposés entre eux, ont paru successivement, et l’on a cherché, par une infinité de voies, quels devaient être les élémens primitifs de la musique.

L’abbé Feytou nous paraît être celui qui a répandu le plus de jour sur cette matière, par une suite d’expériences judicieuses et par les raisonnemens qu’il a employés à en développer et à en appliquer les conséquences. Il a pris pour fondement de sa théorie le fait de la coexistence des sons aigus etc., dans le son fondamental pris pour unité. On a contesté plus d’une fois la légitimité de cette base, non quant à la certitude du fait, mais quant à son importance et à ses applications.

M. Chladni, savant physicien, à qui l’on doit des découvertes aussi neuves qu’intéressantes dans la physique du son, et qui vient de donner à l’Acoustique une face toute nouvelle[3], pense que la coexistence des sons dans une corde vibrante ne peut point être considérée comme la base de l’harmonie. Nous allons exposer en peu de mots les raisons sur lesquelles est appuyé son sentiment, et nous hasarderons là-dessus quelques observations.

L’élasticité dans les corps est une qualité indispensable pour la production, comme pour la propagation du son. Or, l’élasticité a pour cause ou la tension des corps flexibles et non rigides, ou la compression, ou le ressort naturel des corps doués d’une rigidité interne. Les corps sonores, affectés de l’une de ces trois sortes d’élasticité, peuvent être considérés sous plusieurs dimensions. Les corps non rigides d’une seule ou de deux dimensions, sont les cordes et les membranes tendues ; les corps naturellement élastiques sont des verges ou des plaques de matière rigide et à ressort. La différence dans les causes de l’élasticité en apporte une très-grande dans les lois des vibrations sonores : de là une multitude de phénomènes curieux dont chaque ordre est déterminé par la nature du corps sonore mis en action.

La loi des sons coexistans dans celui d’une corde vibrante non rigide est, comme nous l’avons dit, quant au nombre des vibrations, celle des nombres,

etc.,

et, quant aux longueurs des parties vibrantes, celle des rapports,

, etc.

Les vibrations d’une membrane tendue semblent présenter quelque analogie avec celles du cas linéaire ; mais, dans l’état actuel de l’Acoustique, on n’a pas encore assez d’expériences pour établir une théorie certaine.

Si l’on fait résonner avec un archet une verge élastique fixée par une extrémité seulement, et mettant à part le son le plus grave, les vîtesses des autres sons, à compter ainsi du deuxième, suivent la loi des nombres,

, etc.

Si la verge est seulement appuyée à l’une des extrémités, l’autre restant libre, les vîtesses des sons suivent alors la loi des nombres,

, etc.

Si les deux extrémités sont libres, la loi est celle des nombres,

, etc.

Si les deux extrémités sont appuyées, la loi est celle des nombres,

, etc.

Si les deux extrémités sont fixées, la loi est de nouveau celle des nombres,

, etc.

Enfin, si l’une des extrémités est fixée, et l’autre appuyée, la loi est celle des nombres,

, etc.

Les vibrations des verges courbes, celles des fourches, des anneaux, donnent aussi des lois très-différentes entre elles, selon les cas.

Si nous passons ensuite aux plaques planes ou courbes, nous trouverons une variété presque infinie de phénomènes assujettis à des lois particulières.

Il résulte de ce court exposé que le phénomène de la corde vibrante n’est qu’un cas particulier parmi les lois nombreuses que présentent les vibrations des corps sonores ; d’où M. Chladni conclut qu’on ne saurait prendre pour base de toute l’harmonie, une loi tirée d’un seul phénomène naturel, tandis qu’une multitude d’autres phénomènes analogues présentent d’autres lois très-différentes et tout aussi naturelles que la première. Il pense donc que le seul fondement que l’on puisse donner à l’harmonie, est la plus ou moins grande simplicité des rapports numériques[4].

Mais, en admettant, si l’on veut, ce principe, ne serait-il pas permis de dire que, parmi les divers ordres de phénomènes que présentent les corps sonores, celui-là peut être pris pour base de l’harmonie, qui donne les rapports numériques les plus simples ? Or, si la corde vibrante donne en effet les rapports les plus simples, et si la coexistence des sons qu’elle contient ne nous plaît qu’à cause de la grande simplicité des rapports numériques de ces sons, ne sommes-nous pas conduits, en vertu même du principe de M. Chladni, à une conséquence exactement opposée à son assertion ainsi conçue, que le monocorde ne peut pas servir pour établir les principes de l’harmonie[5] ? M. Chladni ne révoque point en doute que les rapports qui doivent être pris pour bases de l’harmonie, ne soient ceux des nombres,

etc.,

loi des sons coexistans dans le monocorde ; ainsi il serait rigoureusement vrai que c’est dans le monocorde qu’il faudrait chercher les principes de la seule harmonie avouée par l’oreille.

Et en effet, les corps flexibles paraissent être les seuls dont les sons s’accommodent également à tous les organes, et plaisent le plus généralement. L’élasticité produite entièrement par la tension serait ainsi la source par excellence des sons vraiment musicaux. On sait que les corps doués de la plus grande mesure de rigidité naturelle, tels que les cloches, le verre, etc., rendent des sons ou peu harmonieux, ou susceptibles d’agacer trop fortement les nerfs : tout le monde ne supporte pas les sons de l’harmonica, et ceux des cloches se prêtent très-peu à la mélodie, et moins encore aux accords. Les cordes de métal que l’on adapte à quelques instrumens, ayant une certaine mesure d’élasticité naturelle, participent de la nature des corps sonores à ressort ; aussi ces cordes rendent-elles toujours un son plus dur que les cordes de soie ou à boyau : cependant on plie leurs sons au système musical reçu, en leur donnant par la tension le complément d’élasticité nécessaire à la production du son, ce qui les fait rentrer en grande partie dans la classe des corps flexibles, quoique jamais elles ne puissent obtenir dans leur timbre ce moelleux, ce velouté si agréable qui caractérise les sons d’une bonne corde flexible.

Quant au son des tuyaux d’orgue et des instrumens à vent, en général, il est produit par des vibrations longitudinales de l’air contenu dans leur canal, et ces vibrations suivent la loi des vibrations longitudinales des verges, ce qui revient à celle des cordes flexibles, et ce qui donne au son de ces instrumens le caractère fondamental des sons musicaux proprement dits. Et remarquons que, s’il se mêle à ce son quelque résultat des vibrations qu’exécutent les parois de l’instrument, on voit aussi que le son en est d’autant plus doux que la substance de l’instrument est moins rigide par elle-même. On n’a qu’à comparer les sons de la flûte, du haut-bois, du cor, de la trompette, ceux des tuyaux d’orgue construits en bois, en plomb, en étain, en étoffe[6] ou en fer-blanc, et l’on verra que par-tout on retrouve le même principe sur la cause vraisemblable du caractère musical que nous attribuons aux sons reconnus comme tels.

Il semble donc qu’on peut poser en fait que tout instrument, composé de corps sonores à ressort naturel suffisant pour produire le son, sera peu propre à rendre la musique telle qu’elle est constituée, et si quelques instrumens de cette nature, chefs-d’œuvre de l’industrie, paraissent faire exception, nous croyons pouvoir assurer qu’ils ne plairont pas universellement[7]. N’est-il pas naturel d’attribuer cette grande différence d’effets entre les corps flexibles et ceux à ressort, à la nature intime et propre de leurs sons respectifs, c’est-à-dire, à l’effet total et simultané des sons aigus coexistans dans les uns et dans les autres ? L’expérience prouve que la résonnance simultanée des sons etc., constitue la plénitude du son qui paraît le plus pur et donne le plus beau des accords ; l’expérience prouve de même que la résonnance simultanée des sons établis sur toute autre série, ne produit plus le même effet et ne peut contenter l’oreille.

M. Chladni convient qu’il n’y a pas moyen, dans aucune espèce de corps sonores, d’empêcher la coexistence des sons aigus, tant que subsiste le son fondamental : on peut seulement isoler les premiers en touchant les nœuds des cordes ou des verges vibrantes, ou les lignes nodales des plaques et des cloches, et il avoue que cette coexistence est peu harmonieuse dans tous les cas où la série des sons n’est pas celle de la suite naturelle des nombres, laquelle est la seule qui satisfasse pleinement l’oreille. Ainsi cette coexistence qui, loin d’être un inconvénient dans le son des corps flexibles, dont elle constitue au contraire la beauté, cette coexistence est un inconvénient inhérent au son de tous les autres corps sonores, et semble ainsi les exclure du domaine de l’art musical.

Ici, comme en beaucoup d’autres choses, l’instinct a donc dévancé la science ; par-tout le sentiment a fait choisir les corps flexibles de préférence aux autres. Les corps élastiques n’ont jamais été introduits dans la musique qu’avec beaucoup de réserve, et ils l’ont rarement été sans inconvénient.

Ces considérations nous semblent jeter un grand jour sur les vraies bases de l’harmonie, et nous paraissent bien propres à justifier l’emploi du monocorde pour déterminer les premiers élémens de l’art, comme à confirmer, en conséquence la légitimité des principes que la musique moderne a adoptés, à l’exclusion de toute théorie abstraite, uniquement établie sur des rapports inanimés que l’ame ne consulte jamais en matière de sentiment.

Pourquoi le plein jeu de l’orgue paraît-il offrir une série de sons individuels, se prêtant aux mêmes emplois que si chacun d’eux était un son unique et simple, quoiqu’il soit composé en lui-même de cinq sons simultanés ? C’est que chaque groupe de sons, affecté à chaque degré de l’échelle, est une imitation du procédé de la nature dans la production de l’espèce de son le plus harmonieux. Si l’on s’avisait de former artificiellement des sons complexes, en y employant les données fournies par la résonnance des corps naturellement élastiques, tels que les sons,

, etc.

ou bien,

, etc.

et que l’on établît une échelle diatonique et chromatique avec des sons ainsi composés, on n’obtiendrait vraisemblablement qu’une affreuse cacophonie. Cette expérience assez curieuse, et qui mériterait d’être tentée, mettrait dans tout son jour la différence intime et très-importante qui règne entre les corps sonores flexibles, et ceux à ressort, envisagés comme producteurs des sons à employer dans la musique.

Ceci pourrait conduire à la solution de cette question, savoir, si les intonnations réglées sur la loi de la progression triple, seraient plus naturelles que les nôtres, comme le pense l’abbé Roussier. Pour résoudre cette question, on a recherché quelles étaient les intonnations des anciens, et parce qu’on a cru voir que leur diagramme dérivait de la progression triple, on en a conclu que le chant fondé sur ce principe est en effet le plus naturel à l’homme. Le vice de ce raisonnement est manifeste, et une telle question ne peut être tranchée par de simples autorités historiques, qui d’ailleurs sont sujettes à contestation. J’aimerais mieux que l’on consultât le chant des sauvages qui n’auraient eu aucune relation avec les peuples policés, et dont on pourrait attribuer les intonnations plutôt à l’instinct de la nature qu’au pouvoir de l’habitude ; et encore les résultats d’une telle observation ne pourraient-ils être regardés comme péremptoires.

Supposons qu’il s’agisse d’entonner successivement les deux sons ut, mi ; ce dernier, étant considéré comme un produit de la progression triple, aura pour expression numérique 81, comme quatrième douzième à la suite de l’ut fondamental pris pour unité ; et rapproché ensuite de six octaves, il forme avec l’ut l’intervalle 64, 81. Or, la résonnance de l’ut entraîne celle d’un mi (80) ; et l’on peut dire, sans aucune prévention systématique, que l’oreille est déjà disposée à la sensation de ce mi, dont l’ut lui a donné, en quelque sorte, le sentiment ; tandis qu’il n’est nullement raisonnable de penser que le sentiment de la douzième soit assez fort pour lier la sensation du mi (81) à celle de l’ut, y ayant ici quatre générations consécutives dont il est impossible à l’oreille de se rendre compte. Dans le premier cas, il y a sensation immédiate du mi dans celle de l’ut ; et, dans le second, il n’y a qu’un rapport éloigné que l’esprit seul peut apercevoir, et dont le résultat est combattu par le sentiment actuel qui naît de la résonnance, et qui exclut celui d’un produit sans analogie avec elle.

D’où l’on peut conclure qu’un diagramme entièrement déduit de la progression triple ne présente qu’une suite de sons indépendans, ne tenant à aucun système commun, et n’ayant entre eux aucune liaison directe fondée sur la sensation ; que ces sons, étant rendus librement par les cordes harmonieuses d’un instrument, manifesteraient à l’oreille, dans certaines transitions, l’incohérence, l’opposition même qui résulteraient de leur nature respective et intrinsèque, telle serait, entr’autres, la résonnance successive des cordes ut (64) et mi (81) ; qu’en conséquence, il est peu vraisemblable que la progression triple ait été en effet le principe fondamental, primitif et unique de toute la musique des anciens, et particulièrement de celle des Grecs, qui avaient une si grande délicatesse d’organes.

Il paraîtrait bien résulter de quelques autorités imposantes, que le système de Pythagore était uniquement fondé sur la progression triple. Mais les Pythagoriciens ont été accusés de n’avoir consulté que quelques préjugés métaphysiques sur les propriétés des nombres, et on leur a contesté d’avoir professé les vrais principes de la musique primitive. D’autres autorités leur attribuent une doctrine analogue à celle de Dydime et de Ptolémée, et croient avoir découvert dans la résonnance de la corde vibrante, ou, ce qui revient au même, dans les divisions naturelles et indéfinies du monocorde, les vrais principes de Pythagore[8].

Résumons maintenant les points principaux qui sembleraient résulter des observations que nous venons de faire........

1.o Les sons les plus beaux au jugement de tout le monde, les sons les plus généralement goûtés, sont ceux que produisent les corps flexibles tendus, et les instrumens à vent, c’est-à-dire, les sons formés de la coexistence des ordres de vibrations, représentés par la série naturelle des nombres etc. La coexistence des sons assujettis à cette loi ne se trouvant que dans les deux classes de corps sonores dont il s’agit, ces corps seraient donc les seuls propres à fournir les matériaux primitifs de l’art musical[9].

2.o Le fondement de tous les accords adoptés par l’oreille est dans la série naturelle des nombres etc. ; et cette série serait ainsi la base, naturelle de l’harmonie.

3.o Les corps sonores rigides ne pourraient être employés dans la musique que par une sorte de tolérance, et dans le cas seulement où ce que leur résonnance individuelle renferme de contraire à celle des corps flexibles, serait dominé et neutralisé par l’influence majeure du système de ces derniers ; et alors on pourrait dire, que l’oreille préoccupée du système de résonnance auquel elle se complaît exclusivement, et qui l’affecte habituellement, se ferait illusion sur des exceptions faibles qui rentreraient dans le système dominant. Les corps rigides ne joueraient plus alors qu’un rôle analogue à celui des autres ; et l’on n’y distinguerait autre chose qu’une différence de timbre, qui, par son caractère particulier, apporterait une expression nouvelle dans l’ensemble, et concourait à l’expression totale par cette variété de nuances.

4.o Si l’on construit des instrumens de musique avec des corps naturellement élastiques, on pourrait dire que l’oreille se prête volontiers à l’illusion qui lui fait prendre les sons qui en résultent, pour des sons individuels susceptibles d’être combinés tant en mélodie qu’en harmonie ; mais il n’est pas moins vrai que ces instrumens portent avec eux un caractère remarquable : ils ont un genre d’expression mélancolique ou énergique qui agit avec force sur les nerfs, et devient même insupportable à beaucoup de personnes.

5.o L’échelle des modernes,

a la plus grande partie de ses élémens d’accord avec ceux de la résonnance du son générateur qui les contient tous, à l’exception de deux, fa et la ; et ceux-ci rentrent dans le même principe par la manière dont ils sont employés. D’ailleurs le tempérament en vertu duquel on substitue le fa ci-dessus au son (11), et le la à l’un des sons (13) ou (14), est justifié par une foule de raisons qu’il serait trop long d’exposer ici. Nous nous bornerons à dire qu’il suffit, en général, de connaître dans les arts les bases primitives données par la nature, et que, s’il n’était permis d’y rien ajouter, les arts ne seraient plus des arts.

La nature fournit directement le modèle de tous les accords consonnans usités ; elle donne encore celui des dissonnances, sauf une légère différence avouée par l’oreille ; et enfin elle indique le principe général des salvations, comme l’a démontré l’abbé Feytou : que pouvait-elle faire de plus pour dicter toutes les lois d’une harmonie régulière ?

Ainsi les nouvelles découvertes de l’Acoustique nous auraient ramenés à cette conséquence remarquable, que les vrais et uniques fondemens de l’art musical sont donnés immédiatement par le son d’une corde vibrante, et que tous les élémens de cet art sont compris dans la suite naturelle des nombres etc. Ainsi se justifieraient les vues pleines de sagacité que l’abbé Feytou avait portées sur cet objet, à quelques restrictions près qu’une saine raison semble exiger, attendu qu’il ne faut jamais outrer aucun principe.

Ces aperçus, que nous abandonnons à des personnes plus éclairées sur ces matières, sont tirés d’un petit ouvrage que nous terminons en ce moment, touchant le système de M. Villoteau, sur la possibilité et l’utilité d’une théorie exacte des principes naturels de la musique.

  1. Démonstration du principe de l’Harmonie, etc. : Paris 1750, pag. 15 et suiv.
  2. Rapport fait à l’Académie royale des sciences, le 10 décembre 1749.
  3. Voyez son Traité d’Acoustique ; Paris, chez Courcier, 1809 ; et le Rapport fait à l’Institut par la classe des Sciences mathématiques et physiques, et par celle des Beaux-Arts, dans les séances des 13 février et 18 mars 1809.
  4. Traité d’Acoustique, pag. 11 et 251.
  5. Ibid, pag. 11.
  6. Mélange d’étain et de plomb.
  7. Les membres de la classe des Beaux-Arts de l’Institut, et ceux de la première classe à qui ils étaient réunis pour examiner le Clavi-Cylindre de M. Chladni, ces commissaires à qui on ne peut contester la qualité de connaisseurs en ce genre, n’ont pu s’empêcher, tout en rendant justice aux diverses sortes de mérite de cet instrument, d’y reconnaître sur-tout un caractère de mélancolie et de tristesse.
  8. En rendant justice aux connaissances étendues et à la profonde érudition qui règnent dans le savant mémoire de l’Abbé Roussier, sur la musique des anciens, je ne puis m’empêcher d’y voir une longue preuve de l’influence que l’esprit de système peut exercer sur les meilleurs esprits. Rien de plus remarquable que les efforts de ce savant, dominé par le système si souvent faux des causes les plus simples et de l’unité de principe, pour ramener toutes les bases de l’art musical au rapport  ; duquel il ne pense pas qu’il soit possible de s’écarter sans violer toutes les règles d’une saine logique. Selon lui, toutes les expériences d’Acoustique sont fausses ou superflues ; il n’en reconnaît aucune, et l’unité du rapport doit être la seule règle du musicien philosophe.
  9. Cette proposition acquiert un grand degré de vraisemblance ; 1.o si l’on admet, avec M. Villoteau, que c’est dans les sons naturels de la voix humaine qu’il faut chercher les élémens naturels et primitifs de la musique ; 2.o s’il est vrai, comme on serait porté à le croire, que les sons artificiels, les plus généralement agréables, soient ceux qui ont le plus d’analogie avec la voix humaine ; 3.o si l’on fait attention que l’organe vocal est un instrument mixte qui participe à la fois de la nature des tuyaux sonores et de celle des corps flexibles rendus élastiques par la tension : aussi voyons-nous que les sons de la voix humaine ne peuvent être imités avec succès que par des instrumens de l’une ou l’autre de ces deux espèces.