Conseils pour la restauration en 1849 par Eugène Viollet-le-Duc et Prosper Mérimée


Rapport de
Conseils pour la restauration en 1849

Instructions pour la conservation, l’entretien et la restauration des édifices diocésains, et particulièrement des cathédrales.

La Commission des arts et édifices religieux (section d’architecture), instituée par l’arrêté du Gouvernement du 16 décembre 1848 près de la Direction générale de l’administration des cultes, a préparé la circulaire suivante, adressée à MM. les architectes des édifices diocésains. M. le ministre en a ordonné l’impression et la distribution[1].

Les architectes attachés au service des édifices diocésains, et particulièrement des cathédrales, ne doivent jamais perdre de vue que le but de leurs efforts est la conservation de ces édifices, et que le moyen d’atteindre ce but est l’attention apportée à leur entretien. Quelque habile que soit la restauration d’un édifice, c’est toujours une nécessité fâcheuse ; un entretien intelligent doit toujours la prévenir.

La conservation des édifices dépend, non-seulement du soin qu’on prend de les entretenir ; elle peut être encore subordonnée à des causes extérieures que l’architecte doit étudier : tels sont l’isolement des constructions, l’assainissement du sol, l’écoulement facile des eaux. L’Administration centrale ne négligera rien pour faire disparaître les causes de destruction et les inconvénients matériels que ses architectes pourraient lui signaler.

Conduite des travaux.

1. Toutes les fois que l’importance des travaux l’exigera, l’architecte désignera l’emplacement des chantiers et ateliers affectés à chaque nature de travaux.

2. L’architecte et ses agents veilleront à ce que les chantiers soient fermés les dimanches et jours fériés, sauf les cas d’urgence et l’autorisation de MM. les évêques.

3. L’architecte prendra les mesures nécessaires pour que les fers, les plombs, les bois et autres matériaux ayant une valeur et appartenant aux édifices, soient rangés en magasin et inventoriés. Ces matériaux ne pourront être enlevés, lorsqu’ils devront être réemployés dans l’édifice d’où ils proviennent, que sur un ordre signé de l’architecte ou de ses agents.

4. Toutes les mesures de police que les architectes jugeront convenable de prendre, soit pour assurer l’ordre sur les travaux, parmi les ouvriers, soit pour la conservation des monuments, seront notifiées aux entrepreneurs, qui devront, ainsi que leurs agents et ouvriers, s’y conformer scrupuleusement.

5. Les travaux, suivant leur nature, devront toujours être entrepris en bonne saison ; et l’architecte ou ses agents devront s’assurer, avant de commencer un ouvrage, que les matériaux sont disposés à l’avance et prêts à être employés, afin d’éviter des retards pendant l’exécution.

6. Lorsque, par suite d’une autorisation spéciale, il sera nécessaire de déposer, d’enlever ou de démolir certaines portions d’un édifice ayant une valeur au point de vue de l’art ou de l’archéologie, l’architecte devra faire dresser un état actuel des parties qu’il s’agit de remplacer, avant de commencer l’exécution.

7. Chaque entrepreneur est responsable des accidents et dégradations provenant de son fait ou de celui de ses ouvriers ; s’il s’agit d’une construction neuve, l’entrepreneur reconnu coupable devra, en se conformant rigoureusement aux prescriptions de l’architecte, remplacer aussitôt et entièrement à ses frais les parties dégradées ; si les parties dégradées appartiennent aux anciennes constructions, non-seulement il devra les remplacer à ses frais, mais l’architecte se réservera en outre le droit de proposer à l’Administration l’application d’une retenue, qui pourra être portée jusqu’à la valeur de l’objet détruit et remplacé.

8. L’architecte et ses agents veilleront à ce que les matériaux provenant de démolitions soient immédiatement descendus sur les chantiers désignés ; qu’ils ne soient jamais déposés, même temporairement, sur des voûtes, des dallages et des couvertures ; que la descente de ces matériaux soit faite avec soin, au moyen d’équipages suffisants, et de manière à éviter toute espèce d’accident.

9. L’architecte et ses agents auront le soin de s’assurer que les entrepreneurs chargés de travaux sont munis, chacun en ce qui le concerne, de tous les engins reconnus nécessaires ; que ces engins sont en bon état et bien établis.

10. Les dépôts de matériaux, tels que bois de charpente, pierres, moellons, etc. devront toujours être isolés des monuments, de manière à ce que le voisinage de ces dépôts ne puisse être une cause de dégradation pour les édifices.

11. Lorsque des travaux seront exécutés à proximité de sculptures, statues, bas-reliefs, l’architecte et ses agents devront indiquer aux entrepreneurs toutes les mesures de précaution nécessaires pour couvrir et protéger ces objets pendant la durée du travail.

12. L’architecte prendra toutes les mesures convenables pour que, pendant la durée des réparations, les vieilles maçonneries intérieures, et les voûtes particulièrement, soient, autant que possible, préservées de la pluie.

Tenue des attachements.

13. Les attachements se composent de la description détaillée et de l’exacte représentation des différentes parties des travaux. Le but des attachements étant de fournir tous les éléments propres à faciliter l’évaluation des travaux et le règlement des mémoires, il est indispensable, au fur et à mesure de l’exécution, de réunir tous les renseignements et dessins nécessaires pour les établir avec exactitude. Toutefois, il est important de remarquer que les attachements ne constatent que des faits, et ne peuvent être invoqués comme constituant un droit.

14. Les attachements devront particulièrement indiquer les parties qui pourraient être cachées et celles qui deviendraient d’un accès difficile, soit par suite de l’enlèvement des échafauds, soit pour toute autre cause.

15. Les attachements constateront la forme, l’origine, les dimensions, la qualité ou le poids des matériaux employés, ainsi que les détails de leur mise en œuvre.

16. Ils préciseront le nombre des contre-maîtres, compagnons et garçons présents chaque jour sur le chantier et qui travailleront à la journée, la nature des travaux auxquels ils auront été appliqués, enfin les raisons qui auront fait adopter le mode d’exécution à la journée, qui ne doit être employé que lorsqu’il sera impossible de faire autrement.

17. Les minutes écrites ou figurées seront relevées sur place, contradictoirement par l’entrepreneur ou ses préposés et l’agent de l’architecte, dans le cours ou à la fin de chaque journée ; les minutes seront écrites à l’encre, tracées et classées par ordre de date sur des calepins uniformes réservés à cet usage.

18. Les attachements écrits ou figurés, d’abord mis au net par les entrepreneurs ou leurs préposés, revus ensuite, vérifiés ou corrigés par l’architecte ou son agent, d’après les minutes relevées contradictoirement, seront enfin reportés sur les registres, sans lacunes, surcharges et interlignes ; les ratures seront faites de manière que les mots supprimés soient lisibles. Quant aux renvois, ils ne seront jamais interlignés, mais mis en marge et parafés par les personnes qui doivent signer les attachements.

19. Les attachements dressés par les entrepreneurs seront écrits sur du papier à tête, ou tracés sur des feuilles séparées dont le format leur sera désigné, ainsi que l’échelle qu’ils devront adopter.

20. Chaque attachement indiquera la date du relevé et portera un numéro d’ordre.

21. Les attachements figurés qui ne pourront être contenus dans les registres seront tracés sur des feuilles séparées, autant que possible de même format, et annotés dans le corps du registre, où il leur sera donné un numéro d’ordre de renvoi.

22. Tous les attachements figurés, dessinés au trait, lavés, s’il est besoin, seront toujours cotés avec le plus grand soin, de façon à déterminer d’une manière rigoureuse toutes les dimensions nécessaires à l’établissement du métrage et à l’appréciation des travaux. Chaque nature de pierre sera exprimée par une couleur spéciale, et, de plus, une annotation particulière indiquera tous les travaux exécutés en vieille pierre. Ces couleurs et cette annotation seront uniformes pour tous les attachements et seront indiquées par les architectes.

23. Tout attachement contenu dans les registres sur des feuilles séparées devra être reconnu, approuvé et signé, d’abord par l’agent qui l’aura dressé, et ensuite par l’entrepreneur, enfin par l’architecte après vérification.

24. Lorsqu’il deviendra nécessaire d’employer plusieurs registres pour inscrire des attachements indiquant des travaux de même nature, exécutés dans le cours du même exercice, ces registres seront classés suivant leur date, et porteront chacun un numéro d’ordre.

25. Les registres d’attachement seront clos à la fin de chaque campagne, et devront être terminés par un résumé des travaux exécutés pendant l’exercice, et par un compte rendu de l’état des constructions à l’époque de la clôture des travaux.

Échafauds.

26. Les échafauds seront isolés le plus possible des anciennes constructions, et les trous de scellement inévitables seront toujours pris dans une hauteur d’assise.

27. Ils ne devront jamais poser sur les parties faibles d’un édifice, telles que voûtes, terrasses, dallages, mais être montés sur les points d’appui solides, ou porter de fond. L’architecte et ses agents devront veiller à ce qu’ils soient exécutés avec soin, afin d’éviter les accidents.

28. Ils devront toujours être disposés de manière à ce qu’ils ne puissent briser les vitraux, les sculptures, écorner les moulures et engorger les chéneaux.

29. Ils seront munis des ponts nécessaires au bardage des pierres et matériaux pesants, qui ne devront en aucun cas être roulés sur les terrasses, voûtes et vieilles maçonneries légères.

30. Les équipes pour le montage des matériaux seront toujours placées en dehors des plus fortes saillies des édifices, afin que, dans le cas de la rupture d’une chaîne ou d’un câble, ces matériaux, en tombant, ne détruisent pas les maçonneries inférieures.

Maçonnerie.

31. Dans les travaux de réparation et d’entretien, on ne remplacera que les parties des anciennes constructions reconnues pour être dans un état à compromettre la solidité et la conservation du monument.

32. Tout fragment à enlever, s’il présente un certain intérêt, soit pour la forme, la matière ou toute autre cause, sera étiqueté, classé et rangé en chantier ou en magasin.

33. Tous les matériaux enlevés seront toujours remplacés par des matériaux de même nature, de même forme, et mis en œuvre suivant les procédés primitivement employés.

34. Toutes les pierres incrustées devront avoir le même volume que les pierres enlevées ; elles seront fichées en mortier au refouloir ; l’emploi du plâtre est interdit : il en est de même des mastics et ciments, qui ne seront adoptés que pour l’exécution de certains joints exposés directement à la pluie ; les autres joints seront faits en mortier.

35. Les jointoiements ne seront exécutés que quand ils seront jugés indispensables, et, dans ce cas, l’architecte devra les faire exécuter proprement, sans bavures sur les bords des pierres, légèrement enfoncés, de manière à ce que l’appareil soit toujours visible et dessiné. Si les pierres vieilles sont épauffrées par le temps sur leurs arêtes, les joints en mortier ne devront pas couvrir ces épauffrures, mais les laisser visibles et ne remplir que l’intervalle entre les pierres.

36. Tous les refouillements dans la vieille maçonnerie seront faits à la masse et au poinçon, jamais au tétu ou à la pioche. Tous les tasseaux nécessaires à la pose des pierres à incruster seront faits en bonnes billes de sapin ou de chêne ; ils pourront être ordonnés en maçonnerie toutes les fois que l’architecte le jugera convenable.

37. Les cales nécessaires à la pose des pierres incrustées ne seront jamais faites en fer, mais en plomb ou en cœur de chêne, et toujours éloignées des parements.

38. Toute pierre vieille portant moulure ou sculpture ne pourra être remplacée que lorsqu’elle aura été marquée par l’architecte ou ses agents.

39. L’appareil des pierres neuves sera absolument semblable à l’appareil ancien. Dans les édifices du moyen âge, les arcs seront extradossés, les parements neufs faits en assises de même hauteur que les anciennes.

40. La plus grande attention sera apportée à l’exécution des tailles des parements et moulures. L’architecte devra observer à quelle époque et à quel style appartiennent ces tailles, qui diffèrent entre elles : il remarquera que les tailles antérieures au xiiie siècle sont faites assez grossièrement et au taillant droit ; celles du xiiie, à la grosse bretture et layées avec une grande précision ; celles du xive, à la bretture fine et layées avec plus de netteté encore ; celles du xve, à la bretture et au racloir, etc. etc. Sauf de rares exceptions qui peuvent contrarier ces usages, et dont on devra tenir compte, l’architecte fera exécuter les tailles des parties restaurées d’après les indications précédentes. On lui recommande de se défier des retailles, des grattages faits après coup, qui altèrent la physionomie des parements et la forme des profils ; il faut rechercher alors les tailles primitives conservées sur les points peu accessibles ou masqués. Il en est de même pour les modifications apportées par des restaurations plus ou moins anciennes aux formes primitives ; on devra examiner alors avec grand soin toutes les traces de ces formes, et dans le doute en référer à l’Administration.

L’emploi de l’outil appelé boucharde est rigoureusement interdit.

41. L’étude approfondie du style des différentes parties des monuments à entretenir ou à réparer est indispensable, non-seulement pour reproduire les formes extérieures, mais aussi pour connaître la construction de ces édifices, leurs points faibles et les moyens à employer pour améliorer leur situation. Ainsi l’architecte observera qu’au nord de la Loire les constructions dites romanes sont, jusqu’à la fin du xiie siècle, élevées en petits matériaux ; que les murs, composés de deux parements de pierre sans liaison entre eux, sans boutisse, contiennent dans leur milieu des blocages plus ou moins solides ; que souvent, par suite de cette disposition vicieuse, les parements se séparent et laissent entre eux et le blocage central des vides dangereux. Ce n’est donc qu’avec les plus grandes précautions que ces constructions peuvent être réparées ; alors les étais ne suffisent pas toujours, parce qu’on risque de les appuyer sur des murs soufflés, et de causer leur rupture et leur ruine. Dans ce cas, il est prudent de s’assurer par des sondages, avant de rien entreprendre, de la solidité des massifs intérieurs et de leur degré de résistance. S’ils n’offrent pas une masse solide, il est nécessaire de relancer tout d’abord, et de distance en distance, des pierres formant parpaing, et qui relient les deux parements ; après quoi, on peut reprendre successivement, et toujours par tranches verticales, les portions des parements qui sont mauvaises ; on évitera les crampons en fer, et, autant que possible, on remplacera les massifs altérés par une plus forte queue donnée aux pierres de leurs parements.

D’un autre côté, l’architecte remarquera que les constructions des xiiie et xive siècles sont généralement bien liées, et que les murs, minces d’ailleurs, sont composés de pierres portant fréquemment toute l’épaisseur de ces murs. Dans ce cas, mieux vaut laisser des parements dégradés à la surface que de les remplacer par des carreaux de pierre sans profondeur ; car ce serait remplacer une bonne construction par une autre moins durable.

Quant aux édifices du xve, construits presque toujours et de préférence en pierre tendre, ils sont composés de matériaux d’une forte dimension. L’architecture de cette époque, évidée à l’excès, n’a de stabilité qu’à la condition d’être montée en grands matériaux ; on ne saurait sans imprudence remplacer les parties dégradées sans conserver la grandeur de l’appareil : c’est le cas plus que jamais d’éviter les rapiéçages, qui altèrent toujours la solidité d’un édifice.

Presque tous les monuments religieux bâtis à la même époque, dans une même province, ont des points de ressemblance incontestables. Outre qu’un édifice célèbre a dû souvent servir de type autrefois à la plupart des monuments d’un même diocèse, des matériaux semblables, des usages pareils ont nécessairement produit des analogies frappantes dans la construction et la disposition. L’architecte ne devra donc pas s’en tenir à l’étude seule des cathédrales ; mais, en examinant les églises de la même époque bâties dans leur rayon, il y trouvera souvent de précieux renseignements pour réparer des constructions altérées ou détruites dans les monuments placés directement sous sa surveillance.

42. Les constructeurs du xiie siècle ont presque toujours relié les différentes parties de leurs maçonneries par des chaînages en bois, d’un équarrissage de 0,20c à 0,25c, noyés dans l’épaisseur des murs ; ces chaînages sont ordinairement posés sous les appuis des fenêtres, sous les corniches de couronnement, à la souche des contre-forts, au-dessus des voûtes des bas côtés. Les bois, pourris aujourd’hui, laissent dans l’épaisseur des constructions des vides dangereux. L’architecte devra toujours se défier de ces vides, qui ont pour résultat de provoquer le bouclement des murs. Dans les édifices du xiie siècle, il s’assurera de la position de ces chaînages par des sondages, avant de rien entreprendre. Une fois leur position reconnue, la première opération sera de profiter des vides laissés par les bois pourris pour passer, à la place des solives réduites en poussière, des chaînages en fer, en ayant le soin de faire remplir le vide restant en bonne maçonnerie, fortement bourrée. Il augmentera ainsi la solidité des édifices et replacera les constructions dans leur état normal. Aux xiiie, xive et xve siècles, le système de chaînages en bois est remplacé par un système de crampons en fer, reliant à certaines hauteurs les pierres de la construction, et formant ainsi de véritables chaînages continus. Ces crampons, dont la longueur varie de 0,30c à 0,40c, quoique généralement coulés en plomb, se sont oxydés et ont fait éclater, par leur gonflement, une grande quantité de ces pierres cramponnées. Il est résulté de cet accident deux inconvénients graves : le premier, c’est que les pierres ainsi fêlées dans leur épaisseur ne font plus parpaing, et qu’alors les murs tendent à se dédoubler ; le second, c’est que les crampons, ne tirant plus en pleine pierre, mais dans les fêlures qu’ils ont causées, ne relient plus les murs dans leur longueur. Ce fait doit fixer particulièrement l’attention de l’architecte, qui devra, en remplaçant les pierres ainsi éclatées, supprimer les crampons, cause de leur destruction, et substituer à ce système de chaînage des tirants continus posés le long des parements extérieurs et intérieurs des murs, reliés entre eux de distance en distance par des boulons traversant ces murs, sans y être scellés. Ces tirants continus seront retenus à leurs extrémités par des ancres posées aux retours de ces murs. En un mot, on remplacera les crampons scellés dans chaque pierre par un système de chaînes qui embrasseront, soit les souches des contre-forts, en les reliant avec les piles intérieures au-dessus des bas côtés, soit les murs eux-mêmes, en les maintenant dans leur longueur et les retenant à des points d’appui solides. Quand il sera possible, par suite d’un dérasement général des vieilles constructions, de placer les chaînes dans l’épaisseur des contre-forts ou des murs, elles devront être posées à plat dans un joint ou lit horizontal, entaillées dans la pierre aussi peu que possible, et si les ancres sont d’une forte dimension, elles devront être en fer galvanisé et coulées en plomb dans un trou laissant un scellement épais autour d’elles ; on préférera le cuivre, si les ancres n’ont qu’une dimension faible. Pour les goujons destinés à maintenir les balustrades, les colonnettes et tous les détails d’une grande finesse, il sera toujours prudent de les faire faire en cuivre jaune. Les joints de ces colonnettes, les scellements des balustrades devront toujours être faits en plomb, bien coulés au moyen de lumières. Quant aux meneaux de croisées et de roses, non-seulement les joints devront être coulés en plomb, mais dans ces œuvres délicates il faudra, autant que possible, éviter les goujons en fer et même en cuivre ; c’est le plomb lui-même qui devra servir de goujon au moyen de deux trous pratiqués dans les joints. Les meneaux étant sujets à des tassements, à cause du peu de surface des lits de pose, il faut que les goujons qui relient chaque joint soient en métal très-flexible ; autrement on ne pourrait éviter de fréquentes brisures.

43. Dans les parties élevées des édifices, dans les flèches, dans la construction des voûtes, l’architecte ne devra pas substituer à des matériaux légers des matériaux d’un poids plus considérable, car ce serait changer les conditions de stabilité.

44. L’attention de l’architecte devra particulièrement se porter sur l’entretien et la restauration des arcs-boutants ; ils devront être surveillés avec soin, leurs joints entretenus constamment. Si des arcs-boutants sont tellement mauvais qu’ils ne puissent être conservés, ils ne sauraient être restaurés en partie ; dans ce cas, il est nécessaire de les cintrer au plus tôt, d’étayer les murs des nefs à la hauteur de la poussée des voûtes et de chaque côté de ces arcs ; puis on les démolira avec soin et sans secousses, et on les reconstruira en entier, depuis leur naissance jusqu’à leur portée, avec un nombre égal de claveaux, et en ayant le soin de ne point poser ces claveaux sur cales, mais bien à bain de mortier épais et en les damant fortement. Il n’est pas besoin de dire que l’ancien appareil de ces arcs devra être reproduit scrupuleusement. La flexion ou le mauvais état d’un arc-boutant entraîne presque toujours la déformation des parties de voûtes ou des piliers correspondants. L’examen des voûtes et piliers intérieurs est donc fort important pour connaître la situation réelle des arcs-boutants, et vice versa.

45. Après l’entretien des arcs-boutants vient celui des bandeaux et corniches formant larmiers. Le bon état de ces parties d’un édifice peut sans inconvénients laisser subsister longtemps des parements dont la surface seule serait détériorée.

Écoulement des eaux pluviales.

46. Jusqu’à la fin du xiie siècle, dans les édifices qui nous sont conservés, les eaux pluviales s’écoulaient simplement par l’égout des combles, sans chéneaux, conduits ni gargouilles. Les inconvénients de ce système, si simple d’ailleurs, se firent bientôt sentir : les eaux, déversées ainsi le long des murs, les imprégnaient d’une humidité qui ne tardait pas à les dégrader, et qui rendait l’intérieur des monuments malsain et froid.

En changeant le style de l’architecture, les constructeurs du xiiie siècle établirent sur tous les édifices des chéneaux qui, conduisant les eaux des couvertures dans des gargouilles saillantes en pierre, les faisaient tomber à une distance assez considérable des murs pour que l’humidité n’y pût pénétrer. Ce procédé resta en usage jusqu’au xviie siècle. Sur la plupart des édifices antérieurs au xiiie, des chéneaux et gargouilles ont été établis pendant les xiiie, xive et xve siècles. Dans ce cas, on devra entretenir et restaurer ces chéneaux et gargouilles suivant le système appartenant à l’époque où ils ont été posés ; mais si, dans certains édifices romans restés intacts, on reconnaissait l’inconvénient des égouts simples, sans chéneaux ni gargouilles, et qu’il fallût en établir dans un intérêt de conservation, on ne saurait donner à ces chéneaux neufs un style particulier : il faudrait alors, afin de laisser au monument primitif toute sa pureté, se contenter de placer sur les corniches, et à la place de coyaux des combles, des chéneaux en plomb d’une grande simplicité, avec des gargouilles saillantes, également en plomb. S’il s’agit d’entretenir ou de réparer des chéneaux et gargouilles appartenant à des édifices élevés depuis le xiiie siècle, l’architecte devra conserver scrupuleusement le système ancien d’écoulement des eaux ; car ce système est inhérent à ces édifices mêmes, il influe sur leur forme : le changer, c’est ôter à la construction de ces monuments sa signification, c’est mentir à leur construction, et, par conséquent, tomber dans des inconvénients plus graves encore que ceux que l’on prétend éviter. En effet, le système alors adopté consistait : 1° à diviser les eaux pluviales le plus possible et à les conduire à ciel ouvert ; 2° à débarrasser les bâtiments des eaux pluviales par le plus court chemin, et par conséquent le plus promptement possible. C’est ainsi que, dans les grands édifices de cette époque, on voit les eaux, partant du chéneau des grands combles, couler rapidement dans des rigoles posées sur chacun des arcs-boutants comme sur un aqueduc, et s’échapper à l’extrémité des culées de ces arcs-boutants par des gueulards qui, posés horizontalement, ont quelquefois plus de 2 mètres de saillie sur le nu des contre-forts. Quant aux eaux qui tombent, soit sur les combles des bas côtés, soit sur ceux des chapelles, elles s’écoulent de même directement par un grand nombre de gargouilles, qui, posées le plus en dehors possible des constructions, aux angles des contre-forts par exemple, divisent les eaux en une infinité de jets tombant immédiatement et sans ressauts sur le sol.

Vers le xviie siècle, beaucoup de ces caniveaux et gargouilles qui, dans nos grands édifices religieux, fonctionnaient depuis trois ou quatre siècles, se trouvaient détériorés par suite de la mauvaise qualité de la pierre, ou par un long usage, souvent aussi par défaut d’entretien. Ces gargouilles égueulées, brisées même, ces longs caniveaux des arcs-boutants rongés par la mousse, qu’aucune main ne venait enlever, laissaient les eaux suinter de tous côtés ; les soubassements, balayés par ces jets poussés par le vent, montraient leurs joints ouverts, leurs parements dégradés. On commença, dès lors, à proscrire les gargouilles et à les remplacer dans quelques monuments par des conduites verticales en plomb, qui, passant à travers les corniches, serpentant le long des contre-forts, durent rejeter les eaux pluviales en dehors des édifices, au niveau même du sol. Heureusement beaucoup de nos églises trop pauvres, ou mieux entretenues, ou construites en matériaux résistant bien à l’eau, n’ont point reçu cette nouvelle disposition.

L’usage, de nos jours, est de placer le long des murs de nos constructions des tuyaux verticaux en fonte pour conduire les eaux pluviales ; on a voulu appliquer ce système aux édifices anciens. Or, ainsi que nous l’avons dit, ce système ne saurait s’appliquer à des édifices dans lesquels l’écoulement des eaux est soumis à un principe franchement accusé ; en outre, il présenterait plus de dangers que d’avantages.

En effet, pour poser aujourd’hui des conduites verticales en fonte sur ces édifices anciens, il faudrait changer tout le système des pentes des chéneaux ; autrement chaque gargouille devrait être remplacée par une conduite, et, dès lors, les monuments en seraient couverts : il faudrait percer des corniches, entailler les bandeaux, les ressauts, et empattements de l’architecture, ou bien faire dévier les tuyaux, ce qui causerait des fuites ou des engorgements ; il faudrait faire de nombreux scellements de colliers dans les murs et les contre-forts, accrocher des cuvettes en métal à de la pierre.

En changeant ainsi l’aspect d’un édifice, on n’améliorerait même pas sa situation sous le rapport de sa conservation : car les conduites s’engorgent nécessairement pendant les temps de dégel, et font alors couler les eaux en dehors des tuyaux, le long des murs ; elles se brisent fréquemment lorsqu’une nouvelle gelée suit un dégel incomplet ; elles forment, malgré la peinture dont on les couvre, un oxyde de fer qui corrode la pierre ; leurs scellements la font éclater ; elles occasionnent, par des fuites presque inévitables, une humidité permanente le long des murs et dans les angles où elles sont posées ; elles sont d’un entretien difficile, et, enfin, les accidents fréquents auxquels elles sont sujettes sont bien plus funestes à la conservation des monuments que ne saurait l’être l’eau pure jetée par les gueulards, fouettée par le vent sur les parements, et presque aussitôt séchée par l’air. L’expérience l’a démontré : dans des monuments où des conduites en plomb avaient été posées dans le courant du xviie siècle (et le plomb en ce cas vaut mieux que la fonte), les constructions étaient bien plus altérées le long de ces conduites qu’elles ne l’étaient sous des gargouilles qui n’avaient pas cessé de fonctionner depuis six siècles.

On ne saurait donc admettre le système des tuyaux verticaux en fonte que dans certains cas particuliers, par exemple dans un monument neuf, où tout serait disposé pour que ces tuyaux fussent dirigés d’une manière convenable. Ils devraient être alors en rapport avec tout le système d’écoulement des eaux, surtout être isolés des murs, afin que l’air pût circuler à l’entour, et que, s’ils venaient à crever ou s’engorger, les fuites d’eau ne pussent causer aucun préjudice à la maçonnerie. L’architecte chargé de l’entretien des cathédrales et autres édifices anciens devra, nous le répétons, conserver partout le système primitif d’écoulement des eaux ; si les pierres des chéneaux sont d’une nature poreuse, il convient de les doubler en plomb, surtout sur les points où ces chéneaux ne sont pas, par exception, à ciel ouvert, quand, par exemple, ils traversent des contre-forts.

Il pourra, lorsqu’il reconstruira des arcs-boutants, doubler le dessous des rigoles qui les couronnent par des lames de plomb, qui, renfermées sous le lit de ces rigoles, empêcheront les infiltrations sur l’extrados des claveaux de ces arcs.

L’architecte proposera le rétablissement de l’ancien système lorsqu’il aura été modifié, et, dans ce cas, il en étudiera la combinaison primitive avec le plus grand soin, car elle est presque toujours intelligente et conçue avec un raffinement de précautions ; son attention doit se porter spécialement sur les points où tombent les jets lancés par les gueulards, comme, par exemple, le long des soubassements des édifices. Il proposera sur ces points des pavages ou dallages en pente, assis sur une forte couche de béton, avec caniveau ou égout de ceinture, afin que les eaux ainsi lancées ne se perdent pas, comme cela n’arrive que trop souvent, dans les fondations, mais soient promptement éloignées, de l’édifice. Il veillera à ce que les gargouilles soient en bon état, versent bien les eaux et ne s’engorgent jamais.

Précautions à prendre contre l’incendie.

47. L’architecte devra s’occuper, dans les édifices qui lui sont confiés, et particulièrement dans les cathédrales, de la pose des paratonnerres et de leurs conducteurs, surveiller leur entretien, et s’éclairer de toutes les instructions spéciales sur ce sujet. Il devra, sur les terrasses et autres lieux élevés et facilement accessibles, disposer des réservoirs se remplissant par les eaux de pluie. Dans les tours, près des combles des cathédrales, des échelles, quelques seaux à incendie, des haches, crochets, éponges et autres engins de pompiers devraient être mis en réserve sous la surveillance des gardiens de ces édifices, afin qu’à la première alarme ils puissent être mis à la disposition des personnes qui viennent porter des secours.

Dans les archevêchés, évêchés et séminaires, il serait nécessaire que de semblables précautions fussent prises, et les architectes sont invités à faire des propositions particulières à cet effet.

48. Les plombiers chargés d’exécuter des réparations aux plombs des toitures, chéneaux, etc. devront être munis de fourneaux couverts, entourés d’une chemise en tôle.

L’architecte et ses agents veilleront à ce qu’il y ait toujours, pendant le travail, un seau plein d’eau à côté de chaque fourneau. Pour faire fondre le plomb ou la soudure, l’emploi du bois sera rigoureusement interdit aux plombiers, qui ne devront employer que du charbon ou la flamme du gaz.

Charpente.

49. Les charpentes de nos anciens édifices sont établies d’après un système qui n’est plus en usage aujourd’hui : dans les charpentes de comble anciennes, chaque chevron porte ferme ; aujourd’hui l’usage est d’établir des fermes de distance en distance, sur lesquelles on pose des pannes, et enfin les chevrons, la volige et le plomb, l’ardoise ou la tuile. Ces deux systèmes produisent des résultats très-différents : le premier a l’avantage de charger également les murs dans toute leur longueur, et de pouvoir se poser sur des têtes de mur d’une très-faible épaisseur ; le second reporte le poids du comble sur certains points au droit des fermes, et, à cause de la triple épaisseur de l’arbalétrier, des pannes et des chevrons, demande, pour être convenablement assis, des points d’appui larges. Il est donc nécessaire de conserver l’ancien système des charpentes de comble dans les vieux édifices élevés pour les recevoir, et de les réparer dans la même forme, le système actuel ne pouvant y être appliqué le plus souvent sans qu’il n’en résulte des inconvénients.

L’architecte, toutefois, remarquera que, dans les anciens combles encore conservés, il se manifeste quelquefois, par suite d’un défaut de construction primitif, un mouvement de déversement, qui, en détruisant les assemblages, a toujours pour résultat de pousser les pignons des faces en dehors. Dans ce cas, en moisant les poinçons des fermes par une suite de croix de Saint-André qui les relient entre eux, on peut arrêter ce mouvement dangereux. Trop souvent aussi, par suite de modifications ou de réparations mal entendues, les anciennes charpentes poussent les murs des nefs en dehors. L’architecte devra s’empresser de proposer un remède efficace à ce mal ; il devra s’assurer que les charpentes ne posent pas sur les voûtes, et, lorsque ces dernières dépassent, comme il arrive souvent dans des monuments du xiie siècle, le niveau des corniches, il devra proposer l’emploi de moyens destinés à remplacer le tirage des entraits, qui, dans ce cas, ne peuvent exister.

Couvertures — Plomberie.

50. L’architecte mettra tous ses soins à ce que l’entretien des couvertures ne soit jamais négligé ; il ne changera jamais la nature des matériaux d’une couverture sans une autorisation spéciale.

Couvertures en plomb.

51. L’architecte observera que, dans les couvertures de plomb anciennes, et lorsque les pentes des combles sont fortes, les tables de plomb sont sujettes, qu’elles soient posées en long ou en large, à arracher leurs attaches, par suite de leur poids, qui tend à les faire descendre. Lorsqu’il y aura lieu de réparer ces sortes de couvertures, il faudra donc employer, pour attacher les lames de plomb à la volige, des moyens assez efficaces pour éviter ces déchirements : retourner le bord supérieur des tables de plomb de manière à leur faire faire agrafe sur la volige, et les clouer à l’intérieur, c’est empêcher toute espèce de glissement.

52. Lorsque l’architecte devra réparer ou remanier des couvertures de plomb, il s’assurera, avant de déposer les vieux plombs, qu’il n’existe aucune gravure ou peinture, aucun dessin, sur les tables ; s’il s’en trouvait, il aurait le soin de faire calquer avec soin toutes ces traces, et d’en référer à l’Administration avant d’entreprendre le remplacement des tables. Faute d’avoir pris cette précaution, bien des dessins curieux gravés sur d’anciens combles ont été perdus. Il en sera de même pour les faîtages, crêtes, ornements de flèches, de poinçons, etc. et pour toute plomberie ouvrée. Autant que possible, on devra s’appliquer à conserver tels quels ces ornements de couverture ; mais, lorsque des réparations urgentes devront nécessiter leur dépose, elle sera faite avec assez de soin pour que ces objets puissent être replacés et ressoudés ; lorsqu’il faudra remplacer ces ornements eux-mêmes par suite de leur état de dégradation, les ornements nouveaux devront être faits par les mêmes procédés, avec des matières semblables aux anciennes ; et sur des estampages, moules et modèles pris sur les originaux déposés.

Couvertures d’ardoises.

53. L’architecte, lorsqu’il aura à remanier ou remplacer des couvertures en ardoises, devra faire en sorte de substituer aux vieilles ardoises brisées des ardoises de même épaisseur et de même dimension que les anciennes. Il observera que, sur les vieux combles, les premiers couvreurs ont souvent tracé des compartiments formant des dessins, tels que losanges, chevrons, méandres, etc. en disposant sur la volige des ardoises de diverses nuances ou de reflets différents. Il recherchera et complétera ces dessins, presque toujours détruits en partie par des réparations successives.

Couvertures en tuiles.

54. Les couvertures en tuiles anciennes sont rarement conservées intactes. Remaniées à plusieurs reprises, elles présentent un assemblage de tuiles de dimensions et de qualités différentes. L’architecte s’appliquera à retrouver le système primitivement adopté ; s’il rencontre dans les vieilles couvertures des tuiles de diverses couleurs, ou vernies ou mates, avant d’entreprendre les réparations, il recherchera la composition des dessins formés par ces tuiles variées, et reproduira ces compositions dans les réparations qu’il exécutera. Il observera si les tuiles primitives étaient retenues avec des clous, des chevilles ou des crochets, et fera fabriquer des tuiles semblables en tout aux anciennes, afin de ne changer ni le système de la couverture première, ni son aspect.

Il examinera avec soin les faîtières ; si elles étaient décorées d’ornements saillants en terre cuite, ou simples, il les fera reproduire dans leur forme ancienne.

Couvertures en dalles.

55. Les couvertures en dalles ne peuvent être posées directement que sur des voûtes romanes, et encore ce système est-il toujours défectueux, surtout dans un climat humide. Dans le midi de la France, il existe encore une grande quantité de voûtes ainsi couvertes, c’est-à-dire en dalles posées sur un massif de maçonnerie ou béton adhérant aux voûtes. L’architecte respectera toujours le principe déjà posé de ne jamais apporter de changements au système de construction primitif ; il devra donc réparer les couvertures en dalles, en conservant l’ancien mode de construction, et en l’améliorant s’il est possible, soit par des chapes hydrofuges sous les dallages, soit par la substitution de dalles d’une qualité froide et compacte à des dalles poreuses, soit par des combinaisons de recouvrements qui empêchent les infiltrations pluviales dans les joints. Mais dans les monuments du Nord, et surtout à partir du xiiie siècle, les anciens dallages ne portent jamais sur des voûtes légères, qui ne sauraient les recevoir sans danger. Elles sont disposées sur des arcs ou des pannes en pierre, et laissent entre eux et les voûtes un espace libre. L’architecte ne pourrait modifier cette construction sans imprudence, et sans encourir une grave responsabilité ; il devra même rechercher si, par suite de changements apportés à la construction primitive, les dallages actuels ne présentent pas de ces vices de pose qui auraient pour résultat de les faire appuyer sur les voûtes, et, dans ce cas, il proposerait à l’Administration de remettre les choses dans leur premier état. Quant aux dallages eux-mêmes, le système généralement suivi autrefois, qui consiste à superposer les dalles en recouvrement, et à ramener les eaux dans le milieu de chaque dalle, comme dans un large caniveau, pour les rejeter sur celle de dessous, avec des bourrelets peu saillants réservés le long des joints, est celui qui paraît devoir être adopté comme le plus simple et le moins difficile à entretenir. Du reste, en thèse générale, l’architecte devra, en réparant les anciens dallages, suivre le mode adopté primitivement, et dont il trouverait des traces sur place ; dans le cas où ce mode paraîtrait défectueux, il en proposerait un autre à l’Administration.

L’architecte évitera, dans les dallages, les couvre-joints en pierre, sujets à se briser et à retenir une poussière humide qui produit bientôt des mousses et des herbes. Lorsque les joints longitudinaux sont à découvert et bien protégés par les bourrelets en pierre qui en éloignent les eaux, lorsqu’ils sont d’une largeur convenable (d’un centimètre environ), il est facile de les entretenir avec de bon ciment, des mastics ou du plomb, et lors même qu’ils resteraient béants, à peine s’ils laisseraient filtrer quelques gouttes d’eau, puisqu’ils ne peuvent absorber que celles qui tombent directement du ciel.

Serrurerie.

56. Sans vouloir repousser les perfectionnements apportés dans l’industrie des métaux, l’architecte chargé de l’entretien de monuments anciens devra bien se garder de modifier le système adopté dans la vieille serrurerie ; car ce système est essentiellement rationnel et en rapport avec la nature de la matière à laquelle il s’applique. L’architecte remarquera que les ferrures des verrières, par exemple, ne sont jamais assemblées à mi-fer, mais que les traverses et montants conservent toute leur force aux assemblages ; que ces montants ou ces traverses se coudent et ne s’entaillent point ; que les fers sont retenus, non par des goupilles, mais par des repos. Il verra que, dans ces ferrures, lorsqu’elles sont exécutées avec soin et qu’elles n’ont pas été dénaturées, l’assemblage des tringlettes destinées à maintenir les panneaux de verre est simple et solide ; que celles-ci peuvent toujours se déposer et se reposer facilement, sans qu’il y ait ni vis, ni goupilles à briser ; que, dans la serrurerie, tous les assemblages sont apparents ; que, sur ces points, les fers, loin d’être affaiblis, sont, au contraire, renforcés ; que toutes les pièces se superposent ou s’enchevêtrent, et ne sont jamais maintenues entre elles par des procédés empruntés à la menuiserie ou à la charpente.

Si, par suite d’une mauvaise exécution première, l’architecte est obligé d’améliorer certaines combinaisons de serrurerie, il devra toujours le faire avec l’esprit rationnel qui guidait les ouvriers anciens. Il ne devra jamais substituer la fonte au fer forgé, et si l’art du forgeron est négligé de nos jours, avec de la persistance et du soin, l’architecte pourra partout, grâce à l’intelligence de nos ouvriers, qui ne demandent que des difficultés à vaincre, faire produire aujourd’hui à cet art ce qu’il produisait autrefois.

57. S’il s’agit de serrurerie appliquée à la menuiserie, à la charpente, l’architecte ne perdra jamais de vue ce principe, qu’aucune partie de la construction ne doit être dissimulée, mais, au contraire, qu’elle doit concourir à l’ornementation. En conséquence, les gros fers, pentures et ferrures de portes, serrures, verroux, équerres, pattes, charnières, clous et boutons, ne sauraient être entaillés et masqués dans l’épaisseur du bois ; ils doivent être apparents, travaillés avec soin, et de manière à indiquer franchement leurs fonctions et usages.

Observations générales sur l’emploi des matériaux.

58. Les divers matériaux employés dans la construction ont des qualités particulières qui leur sont propres ; les procédés en usage pour les mettre en œuvre diffèrent suivant la nature de ces matières mêmes. Il ressort de ce fait un principe dont les architectes anciens ne se sont pas départis, et qui doit servir de guide aujourd’hui à ceux qui sont chargés de réparer nos anciens édifices : c’est que les formes qui conviennent à certains matériaux d’une même nature, comme la pierre par exemple, ne sauraient convenir à d’autres d’une nature différente, comme le bois, et réciproquement. Les formes se modifiant en raison de la nature des matériaux, l’architecte, en reproduisant ou complétant les différentes parties de nos anciens édifices, doit tenir compte, avant tout, de la nature des matériaux qu’il met en œuvre ; ne pas appliquer à des boiseries les formes usitées pour la pierre, à de la brique moulée celles qui conviennent à de grands matériaux taillés au ciseau, à du fer forgé celles que comportent le cuivre ou le fer fondu, etc. etc. Il observera donc ce principe rationnel dans les projets qu’il soumettra à l’Administration, et devra se pénétrer des exemples encore existants des diverses industries anciennes.

Sculptures d’ornement.

59. Les sculptures d’ornement à reproduire seront exécutées le plus possible d’après les fragments anciens eux-mêmes, et, à leur défaut, d’après les estampages ou des dessins modelés.

60. L’ornementation ancienne ne sera remplacée que lorsqu’il sera impossible de la conserver ; ainsi la sculpture fruste ou endommagée, toutes les fois que la construction à laquelle elle tiendra ne sera point mauvaise, devra être conservée avec soin.

61. Les sculptures de nos édifices anciens étant toujours exécutées sur le chantier avant la pose, chaque morceau de pierre portait son fragment d’ornement, et les joints ou les lits des pierres ne venaient pas contrarier la décoration. Ce système constant, auquel il n’est jamais dérogé du xiie au xve siècle, doit servir de guide à l’artiste qui restaurera ces édifices. Ainsi, dans les parties sculptées, il ne devra changer ni la hauteur des lits, ni l’écartement des joints verticaux ; car il faudra qu’il retrouve sur chaque pierre l’ornement qui s’y voyait sculpté, qu’il observe même les irrégularités premières, afin que le travail neuf ne soit point en contradiction avec le système de construction et de décoration originel.

62. Il apportera dans l’exécution des sculptures d’ornement des soins tout particuliers ; non-seulement il devra imiter scrupuleusement les formes anciennes, mais aussi le travail de la sculpture, qui varie à chaque époque. Il s’attachera à distinguer les restaurations plus ou moins récentes, notera les originaux bien authentiques, les examinera avec soin, les étudiera, s’identifiera avec les formes anciennes.

S’il est nécessaire de refaire à neuf une partie complètement détruite, l’architecte cherchera des modèles d’ornementation dans des monuments de la même époque, dans une position analogue et dans la même contrée ; il ne commencera l’exécution qu’après avoir fait approuver ses projets graphiques par l’Administration.

63. Il est rare que, dans des ornements courants à remplacer, il n’existe pas quelque partie en bon état ; on devra la conserver en place ou la reposer comme un témoignage de l’état ancien.

On remarque dans l’exécution de ces ornements des différences qui proviennent du plus ou moins de talent des ouvriers ; il est bien entendu que les fragments qui paraissent avoir servi de modèles, et qui sont probablement l’œuvre de maîtres habiles, doivent être conservés de préférence. En reproduisant des ornements courants, l’architecte remarquera qu’ils sont toujours empreints d’une certaine variété qui, sans altérer l’unité d’aspect, exclut la froideur et la monotonie ; il tâchera d’employer des sculpteurs habiles, intelligents, familiarisés déjà avec ces œuvres et en comprenant l’esprit.

Vitrerie, vitraux coloriés.

64. L’entretien et la conservation des verrières de nos églises demandent la plus grande attention.

Lorsque les verrières sont précieuses sous le rapport de l’art et de l’histoire, on devra, surtout à rez de chaussée, les faire garnir à l’extérieur de fins grillages, non point scellés dans l’architecture ou les meneaux, mais maintenus après les ferrures mêmes des fenêtres.

65. Lorsque les verrières seront en mauvais état et qu’il deviendra nécessaire de réparer la mise en plomb, l’architecte surveillera cette opération avec soin ; il empêchera qu’il n’y ait de déplacements opérés dans les panneaux lors de la repose, ou qu’aucun fragment des verres anciens ne soit enlevé. Les plombs d’assemblage que l’on sera obligé de remplacer devront avoir une forte épaisseur, conforme à celle des plombs primitifs ; ils seront bien soudés à leur rencontre, mais non point sur toute leur étendue, ce qui rendrait les réparations ultérieures difficiles. Si des fragments de verres viennent à manquer, on les remplacera provisoirement par du verre blanc dépoli ou teinté, et jusqu’à ce que la restauration puisse être achevée d’une manière convenable.

66. Pour éviter l’oxydation des fers, si nuisible à la conservation des verrières, il est essentiel de faire peindre ces fers dès que la rouille se forme à leur surface.

67. Lorsque des panneaux seront en réparation, on devra se garder d’en faire nettoyer ou gratter les verres ; il faudra se borner à les passer dans l’eau pure, bien éponger et sécher, sans employer ni brosses ni linge.

68. Jamais un panneau ne devra être démonté, sans que préalablement l’architecte n’ait fait ou fait faire un calque parfaitement conforme du panneau ancien, avec l’indication des plombs, du modelé, des couleurs et des cassures. L’architecte sentira la nécessité de cette mesure, destinée à mettre sa responsabilité à couvert ; il comprendra aussi, par la même raison, qu’il ne saurait faire sortir des verrières ou fragments de verrières des localités où elles se trouvent, sans une autorisation spéciale de l’Administration ; que les réparations et mises en plomb devront toujours être faites dans le monument même, ou dans une de ses dépendances, et sous sa surveillance particulière ou celle de son agent.

Peintures. — Badigeonnage. — Ragréage.

69. Toutes peintures ou fragments de peintures anciennes existant dans les monuments diocésains devront être respectés et préservés de tout dommage. S’il existe des traces de peintures sur des parements de murailles qu’il est absolument nécessaire de démolir, l’architecte devra faire des calques de ces fragments, ainsi que des copies réduites, avec l’indication des couleurs, avant de détruire le parement, et, dans ce cas, il ne devra même rien entreprendre sans avoir préalablement averti l’Administration, et avant d’avoir reçu des instructions spéciales.

70. Toute espèce de badigeonnage intérieur ou extérieur est interdit dans les cathédrales et les églises.

71. Si le débadigeonnage d’un édifice est autorisé, cette opération ne pourra être faite qu’au moyen du lavage ou du brossage, et en n’employant que des instruments de bois. L’emploi des râcloirs en métal est expressément interdit. Le débadigeonnage des bas-reliefs ou des sculptures ne devra jamais être confié qu’à des ouvriers habiles et soigneux, et sévèrement surveillés par l’architecte ou son agent. On évitera d’enlever les traces de peintures anciennes qui peuvent se trouver sous le badigeon, et, s’il s’en trouve, l’architecte ou son agent devront le constater immédiatement.

Pour enlever le badigeon sans altérer les peintures qu’il recouvre, on devra l’imbiber avec de l’eau chaude, et attendre, pour l’enlever avec des râcloirs de bois, qu’il soit boursouflé, ce qui arrive peu de temps après l’application de l’eau chaude.

72. Dans certains cas, sous le prétexte de donner une apparence neuve à des constructions anciennes, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur des édifices, ou de les raccorder avec des restaurations récentes, on a souvent ragréé des parements, moulures ou sculptures noircies par le temps. Cette opération, qui altère les tailles primitives, modifie la forme et le caractère des moulures ou sculptures, est formellement interdite.

Menuiserie.

73. Beaucoup de fragments d’ancienne menuiserie existent encore dans les monuments diocésains, et notamment dans les cathédrales. Ces restes, quels que soient d’ailleurs leur importance ou leur degré d’utilité, doivent être soigneusement conservés. Ils sont intéressants sous tous les rapports ; car, outre la valeur qu’ils peuvent avoir comme objets d’art, ils offrent toujours des exemples, rares aujourd’hui, d’une industrie très-perfectionnée autrefois. Non-seulement les architectes devront s’appliquer à conserver ces objets lorsqu’ils sont encore en usage, mais ils rechercheront ceux qui pourraient être relégués dans des magasins ou dépendances des cathédrales, et les feront connaître à l’Administration. S’ils sont appelés à réparer ces objets, ils ne devront le faire qu’avec la plus grande circonspection, et en suivant les procédés primitifs, de manière à respecter les formes et la construction anciennes.

Les menuiseries extérieures, surtout celles des portes, devront être imbibées d’huile chaude au moins une fois tous les trois ans. Les serrures et les ferrures qui y sont attachées ne seront jamais ni changées, ni modifiées sous aucun prétexte.

Mobilier des cathédrales.

74. S’il est nécessaire de remplacer, de modifier ou de déplacer certaines parties du mobilier des cathédrales, telles que stalles, autels, bancs d’œuvre, buffets d’orgue, grilles, clôtures, tabernacles, crédences, tableaux, tapisseries, etc. etc. ce ne pourra être que sur une autorisation de l’Administration. Ces objets, à la conservation desquels l’architecte apportera ses soins, devront, en tous cas, être disposés par lui de manière à n’altérer en rien la forme primitive du monument. On évitera absolument les entailles et les scellements dans les piles ou murs des édifices. Enfin, dans le cours de la première année de leur installation, les architectes devront dresser un inventaire raisonné de tous ces objets existant dans les cathédrales placées sous leur surveillance, et faire remettre copie de ces inventaires à l’Administration, après les avoir fait collationner par MM. les évêques. Il sera procédé de la même manière à l’égard des objets anciens composant les trésors des cathédrales.

75. Lorsqu’il existera parmi les dalles qui couvrent le sol des cathédrales des pierres tombales gravées ou sculptées, et que ces pierres seront dans un lieu de passage, l’architecte proposera à l’Administration de les remplacer par des pierres ordinaires, et il disposera ces tombes debout, le long des parements unis des chapelles, des bas-côtés ou des transsepts, à l’intérieur, en ayant le soin de les placer sur des socles peu élevés, simplement adossées au mur, et retenues seulement par quelques pattes en cuivre proprement scellées dans la muraille, et le plus possible entre des joints d’assises. Il ne pourra, en aucun cas, ni les faire poncer pour les blanchir, ni faire regraver les parties usées. Il est invité à les faire estamper en papier, au moyen de poussière de mine de plomb, suivant le procédé ordinaire, et à faire remettre ces estampages à l’Administration.

76. Dans les cathédrales et autres édifices diocésains où se trouveraient des carreaux en terre cuite émaillée formant des pavages ornés ou des mosaïques, l’architecte prendra des mesures pour les préserver des dégradations ; et, si ces carreaux étaient placés dans un lieu de passage, il les fera transporter dans une chapelle ou tout autre endroit où ils pourraient être facilement conservés. Dans tous les cas, il les fera dessiner avec soin. S’il y avait lieu de refaire le pavage dans des chapelles dont l’aire aurait été couverte autrefois de carreaux émaillés, on s’appliquera à reproduire avec exactitude les dessins primitifs. À cette occasion, on invite les architectes à bien constater le niveau primitif des églises toutes les fois qu’ils auront à refaire des dallages. Les anciens niveaux doivent être maintenus ou même rétablis, s’ils avaient été modifiés.

77. La commission des édifices diocésains recevra toujours avec intérêt les communications que MM. les architectes auraient à lui adresser touchant l’entretien ou la réparation de ces monuments ; elle s’empressera de leur transmettre ses avis motivés sur toutes les questions qui lui seraient soumises.

Vu et approuvé la présente instruction, délibérée par la commission des arts et édifices religieux (section d’architecture), d’après le rapport de MM. Viollet-Leduc et Mérimée, membres de ladite commission.

Paris, le 26 février 1849.

Le Ministre de l’Instruction publique et des cultes,
FALLOUX.
Pour ampliation :
Le Directeur général de l’administration des cultes,
E. DURIEU.

  1. Bien que ce document n’émane pas du comité des arts et monuments, sa publication dans le Bulletin a paru utile, les instructions qu’il renferme pouvant s’appliquer à toute espèce de monuments.