Connaissance de l’Est/La nuit à la vérandah

Larousse (p. 86-87).

LA NUIT À LA VÉRANDAH


Certains Peaux-Rouges croient que l’âme des enfants mort-nés habite la coque des clovisses. J’entends cette nuit le chœur ininterrompu des rainettes, pareil à une élocution puérile, à une plaintive récitation de petites filles, à une ébullition de voyelles.

— J’ai longuement étudié les mœurs des étoiles. Il en est qui vont seules, d’autres montent par pelotons. J’ai reconnu les Portes et les Trivoies. À l’endroit le plus découvert gagnant le point le plus haut Jupiter pur et vert marche comme un veau d’or. La position des astres n’est point livrée au hasard ; le jeu de leurs distances me donne les proportions de l’abîme, leur branle participe à notre équilibre, vital plutôt que mécanique. Je les tâte du pied.

— L’arcane, arrivant à la dernière de ces dix fenêtres, est de surprendre à l’autre fenêtre au travers de la chambre ténébreuse et inhabitée un autre fragment de la carte sidérale.

— Rien d’intrus ne dérangera tes songes, tels célestes regards n’inquiéteront point ton repos au travers de la muraille, si, avant de te coucher, tu prends soin de disposer ce grand miroir devant la nuit. La Terre ne présente pas aux astres une mer si large sans offrir plus de prise à leur impulsion et son profond bain, pareil au révélateur photographique.

— La nuit est si calme qu’elle me paraît salée.