Confitou/Chapitre XXVIII


XXVIII


Raucoux-Desmares bondit dans le vestibule et rattrapa Gustave, le petit garçon du Café de la Terrasse, qui était accouru par les derrières de la maison et qui, après avoir jeté la foudroyante nouvelle, déjà s’enfuyait en criant :

— Sauvez-vous ! Ils vont tout massacrer !…

Le professeur l’agrippa au col.

— Qu’est-ce que tu as dit ? Où est Confitou ?

L’autre se secouait.

— Je vous dis qu’il a tué son oncle et qu’il s’est sauvé !…

— Mais comment a-t-il tué son oncle ? Où s’est-il sauvé ?… hurla Raucoux-Desmares.

— Il a chipé le revolver de son oncle, dans son étui, et il l’a tué comme ça, par derrière, pendant que l’oncle saluait von Bohn. Ça s’est passé devant moi. Son oncle n’a même pas eu le temps de dire : « Ouf ! » Il est tombé en étendant les bras. Confitou l’a regardé une seconde, puis, il a profité du tohu-bohu pour se glisser entre les jambes de tout le monde ! Il doit être allé se cacher du côté des hallettes. Et maintenant lâchez-moi !

Le professeur lâcha Gustave, qui s’envola. Quand Raucoux-Desmares se retourna, il se trouva en face d’une femme démente qui prononçait de vagues mots allemands où le professeur démêlait cette mélopée qui ne cessa plus : « C’est ma faute ! c’est ma faute !… »

Il ne s’attarda point à démêler cette énigme. Gustave avait dit que Confitou avait dû se cacher du côté des hallettes. Il y courut. Mme Raucoux-Desmares courait derrière lui, mais il ne s’en occupait pas.

Confitou avait tué son oncle ! Que s’était-il donc passé entre la terre et les cieux pour qu’un événement aussi prodigieux eût pu s’accomplir ? Quel motif avait eu Confitou de tuer son oncle qu’il aimait ? Il est vrai que cet oncle était officier dans l’armée allemande, mais l’inconscience avec laquelle l’enfant avait consenti à se promener avec lui dans la petite ville conquise ne pouvait guère faire présager un acte aussi farouche, et rendait plus incompréhensible encore cette explosion inattendue de patriotisme.

Raucoux-Desmares était tellement préoccupé, enflammé, grisé, enthousiasmé, confondu, terrorisé par la pensée de cet acte inexplicable, qu’il ne s’apercevait point que sa course passait à travers les balles.

Il espérait trouver Confitou sous les hallettes. Par là, Confitou jouait souvent et justement à cache-cache. C’étaient de petites halles installées à demeure sur la place du marché, derrière la mairie. Confitou avait pu trouver par là un merveilleux refuge.

Son père, en débouchant sur la place, n’eut pas à le chercher. Il le découvrit tout de suite. Confitou était debout sur une hallette, un énorme revolver au poing, et saluait de cris enthousiastes les soldats français qui occupaient déjà une partie de la ville.

Raucoux-Desmares se jeta sur son fils, l’enferma dans ses bras, et continua sa course jusqu’à la mairie. Il gravit rapidement un escalier, poussa une porte, se trouva dans le bureau de Clamart, déposa Confitou, lui prit son énorme revolver qu’il mit sur sa table, et demanda à son enfant :

— Pourquoi l’as-tu tué ?…