Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre II/L’Angélus

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L’ANGÉLUS.


The curfew tolls the knell of parting day.

Gray.


Schwermuthsvoll und dumpfig hallt Gelaute

Vom bemoosten Kirchenthurm herab.

Holte.


Then let the village bells, as often wont,

Come swelling on the breeze, and to the sun

Half set, ring merrily their evening-song.

Hurdis.


There is a sweetness in the bomely chime
Of village bells : I love to hear them roll

Upon the breeze. Like voices from the dead

They seem to hail us from the viewless world.
Rob. Montgomery.


Quand, sous un ciel d’été, roulant ses vagues blanches,
La lune, qui se fraie un chemin dans les branches,
Semble, de leur feuillage imprégnant ses rayons,
D’une dentelle errante estamper les gazons,
Ou, d’un émail flottant caressant la clairière,
Parsemer d’îles d’ombre un étang de lumière :

Quel séjour aimanté que celui des forêts !
Sanctuaire éloquent, sans pompe et sans apprêts,
Que j’aime à voir ce temple, ouvert aux rêveries,
Alonger devant moi ses vertes galeries l
Soit le cri de l’orfraie, ou le cri du bouvreuil,
Dont le vol anuité cherche son chèvrefeuil ;
Soit le bourdonnement du moucheron sauvage,
Qui, dans l’air embusque, guette notre passage,
Tout, aux penchans du cœur, sait accorder sa voix.
La nuit, à chacun d’eux s’adressant à la fois,
Refond, dans son creuset, la nature éclipsée,
Et présente à nos sens le ciel de la pensée.

Hermite négligent d’un Éden de son choix,
Qui ne s’est pas, le soir, arrêté dans les bois,
Pour entendre, de loin, le vent qui les effleure,
Balancer dans ces nefs le bruit plaintif de l’heure !
Ce bruit inanimé, créé par les vivans,
Perd ce qu’il tient de l’homme, en traversant les vents,

Et de ces messagers des soupirs de la terre
Emprunte, pour mourir, un accent de mystère.
J’aime, sous les taillis, le long rappel du cor,
Qui jette une fanfare à l’écho qui s’endort.
Un son plus doux peut-être, et dont l’âme amoureuse
Poursuit dans son sommeil la trace vaporeuse,
C’est le son transparent de ces luths éthérés,
Dont la brise, en passant, rase les fils dorés,
Si doux, qu’il semblerait, dans sa vague indolence,
D’un souffle harmonieux nuancer le silence,
Et, comme un gaz de plus, se fondre dans les airs.
On dirait que les cieux, un moment entrouverts,
Veulent des chants divins, qu’entend la Providence,
Propager, jusqu’à nous » la dernière cadence,
Ou qu’un ange proscrit, qui pleure sur nos bords,
De sa lyre natale y cherche les accords.
Mais parmi tous ces bruits, dont l’onduleux murmure
Vient de la part de l’homme, et non de la nature,
Celui que je préfère, et qui sait mieux, le soir,
De mes ennuis bercés assoupir le pouvoir,

C’est le sourd tremblement de la cloche du prêche,
Dont le glas villageois tinte autour de la crêche :
C’est l’agreste angélus, qui, du haut de la tour,
Semble dans les déserts sonner la mort du jour.

Morts aussi, mon enfance, et ses belles journées,
Les songes, qui brodaient mes fraîches matinées,
(Arc-en-ciel d’un moment, dont le9 couleurs, hélas !
S’éparpillent en pluie, et laissent, sur nos pas,
Leurs rubans de vapeurs se fondre goutte à goutte ),
Tous mes songes perdus, ramenés sur ma route,
Sur l’aile de ces sons flottent autour de moi ;
Tant que j’entends alors, je rêve que je voi.
Messager du passé, leur vol sombre, ou rapide,
Réveille en nous des ans le cours trouble ou limpide :
Tout ce qu’on a pensé jadis, en l’écoutant,
Dans ce bruyant miroir reparaît existant.
On dirait qu’un esprit, confident d’un autre âge,
Suspend notre mémoire au clocher du village :

Et ses discours d’airain semblent tous revenir
Ouvrir une cellule, où dort un souvenir.
Chacun d’eux, sur un point, touchant cet orgue intime,
Soulève, dans la vie, un écho qui l’exprime :
Ils refont l’existence, et, comme le marin,
Qui, sur un globe étroit relisant son chemin,
S’élance, en un clin-d’œil, du couchant à l’aurore,
Le cœur, sur une carte invisible et sonore,
Ressaisit son voyage, et, dans quelques instans,
Parcourt le labyrinthe et les circuits du temps.

Mes fleurs, que l’ouragan a si vite effeuillées,
De leur jeune incarnat renaissent émaillées :
Mon horizon terni prend un aspect vermeil,
Et ces accens, sur moi, font l’effet du soleil.
Je me retrouve heureux, comme j’avais cru l’être.
J’espère même encore, et cet espoir peut-être,
Echappé d’une voix, qui parle à l’Eternel,
A quelque chose, en lui, qui tient moins du mortel.

Je suis sûr qu’attentive à tout ce qui supplie,
A ces accords humains la nature s’allie,
Et commande aux esprits, qui nagent dans les airs,
D’y promener long-temps ces rustiques concerts.
Oui, je suis sûr qu’un ange interdit à la brise
D’emporter loin de nous les soupirs de l’église.
Ils glissent dans les fleurs, dans les vagues du blé,
Et semblent, régnant seuls sur le monde troublé,
D’un souffle de prière agiter les feuillages.
L’incrédulité même y joint un cri d’hommages :
Quand Dieu passe, qui peut, s’armant de cécité,
En faveur du néant, casser l’éternité !

Ce n’est pas que je croie à ces enfantillages,
Dont la fourbe mystique a broché, d’âge en âges,
Le canevas naïf qu’ont tissu nos aïeux :
Tous les cultes mêlés n’en font qu’un à mes yeux.
Comme tous les rayons composent la lumière,
Tous les vœux des mortels ne sont qu’une prière :

C’est toujours la faiblesse, implorant un appui.
Qui n’en a pas besoin, et qui, dans son ennui,
N’importe sous quel nom, ne se fait pas d’idole ?
Moi, ma divinité, c’est tout ce qui console,
C’est tout ce qui m’émeut, ou me parle de vous.
Le besoin d’adorer fait fléchir mes genoux,
Et quand j’entends prier, ma voix involontaire
S’unit, comme la vôtre, aux transporte de la terre :
Quand j’entends l’angélus, je sens qu’autour de moi,
Chacun cherche son ange, et moi, que je le voi.
Comme aux pieds de la Vierge une offrande embaumée,
Mon ame, autour de vous, s’exhale consumée.
Qui dans ce monde, hélas ! peut aimer sans prier ?
Parler de son amour, c’est déjà supplier.

O je vous en supplie i une seconde encore
Respirons ce parfum, qui des bois s’évapore,
Cette humide fraîcheur, qui sent l’obscurité,
Cette odeur de silence et de tranquillité !

Restez, et maintenant que la cloche nocturne
N’interrompt plus du soir le repos taciturne,
Maintenant, Maria, qu’avec ses bruits sacrés,
Mes rêves d’autrefois se sont tous retirés,
Entraînez ma pensée au-devant d’autres songes,
Même pour n’y pas croire, inventez des mensonges :
Mon amour, un moment, en fait des vérités.
Si j’aime, auprès de vous, ces accens enchantés,
Qui rendent à nos cœurs un âge d’espérance,
C’est qu’en vous y mêlant, je refais mon enfance,
Que je la recommence aux pieds du même amour,
Et qu’en vous consacrant mon passé, jour à jour,
Je n’aurai pas marché sur la terre ravie,
Sans voir la même image accompagner ma vie.

Autrefois, Maria, quand l’airain pastoral
Tintait du couvre-feu l’orémus féodal,
C’était une heure amie, où, dans l’ombre embrassées,
Les âmes, qui s’aimaient, échangeaient leurs pensées,

Et les accords flottans des antiennes du soir,
Dans ses balancemens imitaient leur espoir.
O parle-moi de toi ! comme autrefois, sans crainte,
Tu m’en aurais parlé dans ta chaumière éteinte.
Comme ces sons tremblans, qu’ont emportés les airs,
Elève, sous mes pas, un magique univers ;
Ta voix est plus puissante, et plus sainte peut-être :
Ils rappellent des fleurs, et toi, tu les fais naître.
Je prévois les faveurs qu’ils peuvent ramener :
Ils ne peuvent que rendre, et toi, tu peux donner.
Ils endorment nos maux, et toi, tu les désarmes.
Parle-moi : tes aveux effacent tant de larmes !
A chaque mot de toi, je renais d’un printemps :
Fût-ce pour dire adieu, parle-moi bien long-temps.