Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre I/Inspirations du Soir

INSPIRATIONS DU SOIR.


Whispering we went, and love all our theme,

Love pure, and spotless, as at flrst, I deem,

He sprang from heaven !

S. T. Coleridge.


The night
Hath been to me a more familiar face
Than that of man ; and in her starry shade
Of dim and solitary loveliness,
I learned the language of another world.

Byron.


L’acque parlan d’amore, e l’aura, e i rami,
E gli angeletti, e i pesei, e i flori, e l’erba :
Tutti insieme pregando ch’ia sempre ami.

Petrarca.


Comme un roi d’Orient, qui meurt dans son sérail
Sous des festons de pourpre, et sur un lit d’émail,
Tout radieux encor d’un luxe despotique,
Le jour, environné d’un deuil asiatique,
Se retire du monde, en versant, dans les airs,
L’éblouissant adieu de ses derniers éclairs.

Voyez comme, en tombant de l’urne des nuages,
Il vient d’un cercle d’or entourer nos feuillages ;
Et sur les peupliers, qui serrent leurs rideaux,
Comme ce vieux clocher découpe ses créneaux,
Que jaunit du soleil la fuite occidentale !
Ces tissus cotonneux, dont les flocons d’opale,
De leurs reflets moirés, tapissent l’horizon,
Ou d’une ombre, qui court, caressent le gazon,
Tous ces tons gradués qu’invente la nature,
Vous ont fait, Maria, regretter la peinture !
Vous rougissez, cherchant vos pinceaux d’autrefois,
D’admire^seulement des yeux et de la voix !
Ne les reprenez pas ces pinceaux que j’envie :
Parlez, au lieu de peindre, et qu’un moment ravie,
Mon âme, comme un luth, exhale, au lieu de pleurs,
Des sons dont l’harmonie imite vos couleurs !

Déjà comme un vaisseau, qui glisse dans la brume,
Vsendra s’est voilé d’une vapeur d’écume ;

La forêt disparait, et le fleuve qui dort,
De ses baisers noircis, mouille l’herbe du bord.
L’heure de Raphaël est passée : oublions,
Oublions tous les arts, la lyre et les crayons.
S’ils veulent se mêler à nos vagues délices,
Sans en fixer les traits, composons nos esquisses.
Craignons, en le chantant, d’effrayer le bonheur ;
Lent à poser son vol mobile eu suborneur,
Il fuit, au moindre mot, nos demeures mortelles :
Souvent un cri de joie a réveillé ses ailes.
Des spectacles pompeux, autour de nous épars,
Sans vouloir les comprendre enivrons nos regards.
Le savant, qui s’exerce à savoir quelle cause
Imbibe de parfums le velours de la rose,
En laisse, inattentif, l’éclat s’évanouir :
Il a, pour l’expliquer, oublié d’en jouir.

Ne nous expliquons rien : mais que tout dans le monde,
Comme un rayon d’amour, dans nos sens se confonde !

Sous l’ogive des bois, dans l’air et sur les eaux,
De nos vœux dispersés, recueillons les tableaux,
Et d’un sort menaçant démentant les présages,
Comme un oracle ami lisons nos paysages.
Soyons, comme les fleurs, qu’on commence à moins voir,
Et qui semblent de loin écouter, si le soir
Vient, avec la rosée, humectant la verdure,
D’un collier pluvieux leur prêter la bordure :
Essayons de prévoir un ciel long-temps serein,
Et n’allons pas, tremblans d’un orage incertain,
Laisser l’aziola, pleurant dans la feuillée,
Des chants du rossignol attrister la veillée.
Qui sait si cette nuit n’aura pas le pouvoir
D’alonger d’un anneau notre chaîne d’espoir !

D’un rêve d’Elysée embellissons ces plaines.
Confions-nous, tout bas, nos secrets et nos peines,
Nouons nos deux passés, marions notre ennui :
Retrouvons-nous ensemble hier comme aujourd’hui.

Inventons, s’Use peut, quelqu’hymen impossible,
Et vers cet avenir, dont la glace inflexible
Me réfléchit mes pas, d’avance embarrassés,
Ne fût-ce qu’un moment, marchons entrelacés.
Même, sans les nommer, accordons nos souffrances,
Sans nous dire leurs noms, joignons nos espérances,
Et voyons-les de loin se suivre en s’embrassant,
Comme aux sentiers perdus du ciel éblouissant,
Ces deux globes jumeaux de forme et d’existence,
Qui ne semblent unis qu’à force de distance.

Que j’aime, Maria, que je préfère au jour,
Ces heures, dont la paix conspire avec l’amour,
Et dont le voile errant, qu’a mouillé leur dictame,
Passe de la nature aux visions de l’âme !
Le jour est trop brillant pour l’œil des malheureux,
Et son éclat trop vif contraste avec nos vœux ;
Mais quand le crépuscule en éteint l’opulence,
L’ombre étend jusqu’à nous son réseau de silence,

Et sur les cœurs fanés descend plus doucement,
Que d’un nid de fauvette, effleuré par le vent,
Une perle du soir sur la feuille ternie,
Que de son premier dard l’automne aurait jaunie.
La nuit a des trésors pour les infortunés :
Si vous voulez les voir, je les connais… venez.

Sous ce buisson, couvert d’une gaze d’ébène,
Voyez-vous scintiller cette étoile incertaine ?
C’est un insecte oiseux, qui, vivant loin du bruit,
Et jetant ses lueurs seulement dans la nuit,
Sans craindre le reptile, ou l’épervier qui rôde,
Allume pour l’amour son fanal d’émeraude.
Souvent, quand j’étais seul à parcourir les bois,
Je me suis dit : Heureux l’exilé de son choix,
Qui, dans son hermitage, emporte, avec l’étude,
Un flambeau, dont l’éclat trompe sa solitude,
Et, bornant les rayons de son phare jaloux,
N’étend pas leur clarté plus loin qu’un rendez-vous 1

Tel m’inspirait l’insecte, errant sous la ramée,
Où luisait à l’écart sa pudeur enflammée.
Maintenant que mon œil l’aperçoit avec vous,
Je crois que c’est un astre envoyé parmi nous,
Pour éclairer vos pas d’une sainte lumière,
Et qui, pour vous fixer dans notre humble carrière,
Vous y montrant ce ciel, que vous cherchez sans moi,
Enrichit de ses feux celui que je vous doi.

Que veut dire la brise, en rasant le feuillage ?
Est-ce une âme qui vole, et pleure sous l’ombrage,
Qui vient de vos sermens réclamer le trésor ?
Oh, ne répondez pas, et qu’elle pleure encopi
Hors même des vivans, j’ai peur qu’on ne vous aime :
On ne peut vous chérir, qu’aux dépens de moi-même.
Non, le vent sans pitié n’apporte point des cieux
Une voix du passé, qui dicte nos adieux.
Son souffle, qui retient les feuilles accouplées,
Semble aussi retenir nos deux âmes mêlées,

Et sur mon front bruni, roulant vos blonds cheveux,
Me promettre un espoir qui dorera mes vœux.
C’est un souffle d’augure, un signal, un présage :
D’un ange protecteur c’est peut-être un message,
Qui nous instruit tout bas d’un meilleur avenir :
Comprenez-vous aussi qu’il veut nous réunir ?
Oh ! si je traduis mal la langue de la brise,
Ne dites pas comment vous l’avez mieux apprise !

Je crois, tant il m’est doux, que je suis né le soir.
Quand tout dort et se cache, on a presque l’espoir
De ne rien rencontrer qui repousse, ou qui blesse,
Et sans gagner de joie, on perd de sa tristesse.
Peut-être ai-je déjà, pour vous qui m’écoutez,
De la nuit dans mes vers encadré les beautés :
Que voulez-vous ! la lyre a les bornes de l’âme ;
Je n’ai, comme un amour, qu’un mot qui le proclame.
N’étions-nous pas ensemble hier dans ces déserts ?
Ces escadres de feux, qui croisent dans les airs,

Brillaient, comme à présent, entre nos chèvrefreuilles,
Ou nous cachaient leur vol, éclipsé par des feuilles ;
Pourquoi donc les tableaux, que j’y puisais pour vous,
Ne reviendraient-ils pas errer autour de nous ?
Quels que soient les efforts de l’art qui les nuance,
Leur commune origine est une ressemblance.
Ce ruisseau dérobé, dont je ne parle pas,
Maintenant, comme hier, semble aux mêmes lilas
Porter de ses aveux les humides tendresses,
Et nous, nous écoutons gazouiller ses caresses ;
Comment ne pas reprendre à ce miroir si clair,
Le symbole d’amour, que j’y lisais hier ?
Peut-être t’ai-je dit : Si cette eau, qui trépille,
Et des astres bercés réfléchit la famille,
Sait aussi, dans les bruits de son mouvant cristal,
Être l’écho flottant de leur vol musical,
Pourquoi veux-tu t’enfuir vers ta sphère chérie ?
La terre, où tu l’entends, est aussi ta patrie.
Je te dis maintenant : As-tu vu, sous les eaux,
Ces nageurs écaillés, suivre, dans les roseaux,

Comme des grains tombés d’une grappe vermeille,
Des graines d’or du ciel la fuyante merveille ?
Ils ne l’atteignent pas, mais souvent en chemin,
Pour une fleur, qui vogue, ils oublieront leur faim.
Et toi, quand de ton ciel tu poursuis le mirage,
Si tu trouves l’amour à moitié du voyage,
Veux-tu pas, Maria, t’arrêter avec moi ?
N’est-ce pas comme hier le même mot pour toi ?
Sous des sons différens la pensée est la même :
C’est toujours moi qui prie, et toujours moi qui t’aime.

Oui, Maria, je t’aime, et le dirai toujours !
Tant qu’il existera des heures dans les jours,
Et que j’aurai des sens, pour bénir le silence,
Pour consacrer du soir l’humide nonchalance :
Dans les champs, que mes vers viennent de moisonner,
Il restera toujours quelque gerbe à glaner.
Partout où mon regard récolte une étincelle,
Il en fera jaillir une source nouvelle :

J’exprimerai du monde un mot qu’il ne sait pas,
Pour vous dire tout haut ce dont je meurs tout bas.

Jaloux de tout, ma lyre, humblement souveraine,
Voudrait tout recréer, pour vous en rendre reine.
Tout en les protégeant, si vous les admirez,
Je suis jaloux des fleurs, quand vous les respirez.
Pour enivrer vos sens, au lieu de vous distraire,
Je voudrais m’emparer de tout ce qui peut plaire,
De l’argent fugitif, qu’agitent les ruisseaux,
De l’éclat du soleil, et du chant des oiseaux ;
Comme le blanc lychnis qui, de ses banderoles,
Le long de vos sentiers suspend les girandoles,
Sur votre front plus pur je voudrais me bercer,
Me cacher sous la mousse, où vous allez passer,
Ou comme les épis de ces muguets qui meurent,
Baiser de mes parfums vos pieds qui les effleurent.
Je voudrais devenir tout ce que vous aimez,
Vous sabler vos chemins de rubis enflammés,

Et de mon âme enfin imprégnant la nature,
Transformer avec moi l’univers en parure.
Je deviendrais ta vie, en t’entourant de moi,
Ton rêve, ton sommeil, ton espoir, et ta foi.
Prenant pour t’adorer mille formes vivantes,
Je deviendrais pour toi le dieu que tu t’inventes,
Et tu m’invoquerais avec mes propres fleurs.
Je serais le ciel même, où n’iraient plus tes pleurs,
Et lorsque tu prîrais, moi, soulevant mes voiles,
Je te verrais prier de toutes mes étoiles !

Dieu ! que le soir fait mal à force d’être doux !
Ce paradis nocturne est trop beau près de vous :
La parole résiste à tout ce qui l’inspire.
Oiseaux, qui la chantez, en la voyant sourire,
Taisez-vous : vos chansons me volent ses accens.
Vents, ne m’emportez pas son souffle que j’attends,
Contentez-vous des lys, que fait plier votre aile :
Je veux ne voir, n’entendre, et ne respirer qu’elle.