Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre I/Contemplation

CONTEMPLATION.


Wissen sie, wie weit die Harmonie der aüssern Natur mit unsrer reicht, und wie sehr das ganze All nur eine Aeolsbarfe ist, mit langern, und kurzern Saiten, mit langsamern und schuestern Bebungen vor einem gottlichen Hauche ruhend !
J. Paul.


Cercato ho sempre solitaria vita.

Petrarca.


That thou didst often wander from the crowd,
And hold brief commune with the living things,
That pant on nature’s bosom…

Rob. Morris


Depuis qu’on vous a dit que souvent la pensée
A ma plume inquiète échappe cadencée,
Vous croyez, Maria, que mon rêve assidu,
Au luth qu’on me suppose, est toujours suspendu,
Et qu’occupé toujours de tragiques discordes,
Mon esprit nébuleux flotte autour de ses cordes ?

Si je préfère au monde, où j’ai déjà souffert,
D’un bois, qui m’en distrait, l’officieux désert,
Au lourd bourdonnement d’un frélon de ruelles,
L’insecte délicat, qui chante avec ses ailes,
Et loin du vol épais de vos faux papillons,
L’air vivant de la plaine à l’air mort des salons :
Vous croyez qu’emporté par un vague délire,
Je ne demande aux champs qu’un souffle, qui m’inspire ?
Attendez, Maria : vous me connaîtrez mieux
Moi, de la solitude amant injurieux,
Aller, de mes travaux tourmentant la nature,
Pour glaner une image exploiter sa parure !
Non, non ! je ne veux pas perdre, à la célébrer,
Une heure que je puis passer à l’adorer.

Sans doute ; quelquefois, après l’avoir bénie,
On veut, de sa richesse imitant l’harmonie,
Jeter, comme un encens, ses accords vers les cieux :
Mais tant qu’on peut la voir, on pense avec les yeux.

C’est, quand le printemps fuit, qu’on songe à le décrire !
Sa guirlande qui meurt revit sur notre lyre :
On se souvient des fleurs, pour parer ses concerts,
Et les bouquets fanés embaument seuls nos vers.
Oui, ce n’est qu’en pleurant, que l’on devient poëte !
On ne chante jamais que les dons qu’on regrette :
On recompose ainsi tout son écrin d’amour ;
Que j’ai peur, Maria, de vous chanter un jour !

Cet effroi, né du monde, isolé, je l’oublie ;
La retraite sauveuse à l’espoir nous rallie.
Maria, j’y veux vivre à l’abri des humains,
Et ne plus voir que vous passer sur mes chemins.
Que ne puis-je, entraînant, dans ma libre carrière,
Votre âme qui s’obstine à rester prisonnière,
Vous apprendre à n’aimer que ce qu’on doit chérir,
Arracher votre orgueil au soin de conquérir
De misérables cœurs, qui valent… ce qu’ils donnent,
Et loin des faux trésors, dont vos yeux s’environnent,

Reconduire aux vrais biens vos regards délivrés !
Je les sentirai mieux, quand vous les connaîtrez.



Lorsqu’un réseau de jour qui descend des montagnes,
Sous ses mailles d’argent vient moirer nos campagnes,
Quand les gazons soyeux se pointillent de fleurs,
Quand un ange affligé, si le ciel a ses pleurs,
Y suspend sa tristesse, et ses larmes amies,
Ou mouillant des oiseaux les plumes endormies,
Vers la chaleur, qui vient, les invite à monter,
Que j’aime, du sommeil, qui voudrait m’arrêter,
A jeter la langueur au vent qui la disperse,
Dans les plis moins bronzés du fleuve qui le berce,
A voir trembler l’adieu d’une étoile qui part,
Ou dans les flots du ciel étanchant mon regard,
A mêler mon silence à ce chœur de prière,
Que la nature envoie adorer la lumière !

Je ne cherche jamais un mot pour l’exprimer :
Mais quand j’entends des eaux le murmure écumer,
Quand je vois l’hirondelle, au-dessus de ma tête,
A moi, comme au printemps, jeter son cri de fête,
Ou raser, comme un lac, l’onde des blés nouveaux,
L’arbre incliner vers moi son salut de rameaux,
Et d’un nuage ailé la brumeuse gondole
Porter tout Ossian sur sa poupe qui vole,
Je crois au fond du cœur, j’imagine du moins,
Que de tous mes secrets mystérieux témoins,
Les arbres, les ruisseaux, les gazons, l’hirondelle,
Reconnaissent en moi leur courtisan fidèle,
Et dans leur langue à part, que je voudrais savoir,
Se parlent du bonheur, que j’éprouve à les voir.
Tout semble, autour de moi, s’aimantant de ma flamme,
Graviter vers ma vie, et compléter mon âme.

Le monde est un cercueil, où les morts font du bruit,
La solitude, un temple, où le silence instruit.

Allez voir le matin empourprer ses coupoles :
Le feu de ses rayons passe dans nos paroles ;
L’avenir transparent, que devancent nos vœux,
Suspend à l’horizon ses tableaux vaporeux,
Et, pour nous détourner de sonder ses promesses,
Met la crédulité de plus dans ses richesses.
Nos visions du jour en ont l’éclat vermeil :
On sent, à leur chaleur, qu’on les tient du soleil.
Si le lierre balance un rêve sur sa tige,
La mésange, qui passe, en porte un qui voltige.
La cascade a le sien, qu’elle berce en courant,
Et sur nos églantiers, mille autres murmurant
Vont, sans craindre l’abeille, ou le dard de la guêpe,
Boire ensemble du miel dans leurs coupes de crêpe.
Même avant de l’avoir, un désir s’accomplit :
L’impossible s’efface, ou du moins s’affaiblit.
Joyeux, sans s’imposer la fatigue de l’être,
Et jouissant de tout, sans vouloir rien connaître,
On oublie où l’on vit, pour vivre où vont les yeux :
Chaque oubli de soi-même est un pas dans les cieux.

Si le jour, en partant, nous emporte des songes,
D’autres songes, plus grands, remplacent leurs mensonges.
L’ombre a son éloquence et ses leçons : le soir
Sait, au champ du passé, reconduire l’espoir ;
Et sur l’ébène obscur de ses pages brodées,
La nuit enfin nous ouvre un nouveau cours d’idées.
La nuit, en les voilant, semble élargir les airs,
Et, comme la pensée, agrandir l’univers,
Si c’est penser encor, que d’oublier qu’on pense ;
Sur le seuil du sommeil, on change d’existence.

Quand les arbres, couverts d’un linceul de vapeurs,
Alongent devant nous leurs fantômes trompeurs :
Quand on voit, à travers les buissons des ravines,
Un torrent de brouillards ruisseler des collines :
Quand on entend les eaux gémir sur le gravier,
Ou mariant sa plainte aux soupirs du pluvier,
L’airain patriarcal des dernières prières,
Jeter une voix sainte aux genêts des clairières :

C’est l’heure où, loin du monde, errant en liberté,
On respire le mieux l’air qu’il n’a point gâté.
Déjà sous le poignard d’une angoisse future,
Mon cœur martyrisé, que l’avenir torture,
S’abreuve avec lenteur d’un charme qui l’endort,
Et perd ce sens fatal, qui devine le sort.
Caressant mollement ma vague fantaisie,
L’Ange de la tristesse, ou de la poésie,
(C’est le même) suspend, sur mon front soucieux,
Son plumage embaumé d’un nectar radieux.
Si la lune se lève, et laisse, sur la terre,
Tomber de ses baisers le lumineux mystère,
Je crois sentir aussi son silence argenté
Rafraîchir, de mon sang, la fiévreuse âcreté.
Si la lune est absente, il reste des étoiles,
Et leurs feux, dépliés dans d’invisibles voiles,
Semblent, du fond des airs, députés sur nos bords,
Caravane suprême, y semer leurs trésors.
Je ne demande pas quelle règle éternelle
Entretient, en marchant, leur clarté solennelle,

Et si, dans les calculs de ce terrible jeu,
Le compas de Newton a su deviner Dieu ;
Que m’importe ! Une voix descend de leur lumière,
Qui m’invite à tenter leur rive hospitalière,
Et, suivant cette voix, comme le pélerin
Suit le flambeau, qui tremble au bout d’un long chemin,
Mon âme se soulève, et déjà délassée,
Sous les brises du ciel, respire balancée.

Je cherche par mon vol à démentir mes fers :
Tantôt pour aborder ces régions d’éclairs,
Jetant mes ponts d’azur d’une planète à l’autre,
Je porte dans leur monde un souvenir du nôtre ;
Tantôt d’une comète armateur fugitif,
Du globe appareillé je gouverne l’esquif,
Et vais voir des soleils les bouillans paysages,
Sous mes agrès dorés, dessiner leurs parages.
Si quelque bruit mortel interrompt mon orgueil,
Le silence bientôt engloutit cet écueil,

Et je reprends des cieux la lecture escarpée,
Bible de l’infini, radieuse épopée,
Ecrite dans l’espace en lettres d’univers,
Dont nul esprit vivant ne peut traduire un vers.
Il me semble parfois, en contemplant ces sphères,
Que j’y vois s’animer, en brùlans caractères,
Tous ces peuples éteints, qu’elles ont éclairés »,
Et passer avec eux, comme eux régénérés,
Ces empires détruits, et ces races de villes,
Qui n’ont fait qu’arranger un nid pour des reptiles.
Catacombes de feu, roulant des nations,
Les ombres dupassé flottent dans leurs rayons :
Et notre œil, sans saisir une forme certaine,
D’astre en astre élancé, sonde l’histoire humaine.



Ces plaisirs, Maria, tantôt tristes et doux,
Tantôt sombres et grands, tantôt purs comme vous,

Et comme ces tableaux, qu’éparpille Un nuage,
Changeant à chaque instant leur magique hypallage,
Ne vous semblent-ils pas valoir mieux, dites-moi’,
Que ceux d’un monde lâche, hypocrite, et sans foi,
Qui promet le bonheur, et ne tient que des larmes ;
Et croirez-vous encor, quand j’en fuis les alarmes,
La mielleuse bassesse, et la perversité,
Que je ne vais chercher, loin de sa vanité,
Qu’un mot pour la combattre, un vers pour la maudire ?
J’y cherche le repos, et jamais une lyre.
Si je l’y trouve ! ô Dieu, ne me l’enviez pas,
Cet écho confident qui me parle si bas.
Trésor des exilés, qui ne sert qu’à l’absence,
On n’a que trop souvent besoin de sa puissance.
Sa voix seule, fidèle à l’accent des douleurs,
Si je vous quitte un jour, peut vous rendre à mes pleurs.
Me rendra-t-il aussi la paix que j’ai perdue ?
Àh ! pourquoi, Maria, pourquoi vous ai-je vue ?
Pourquoi, de ma retraite, entraîné jusqu’à vous,
Et cherchant loin du mien un ciel à vos genoux,

Ai-je, à ma solitude avidement parjure,
Cru dans vous seule, hélas ! retrouver la nature ?
J’étais tranquille au moins, si je n’étais heureux.
Je jouissais des champs, sans rien exiger d’eux,
Et sans vouloir de vous exiger davantage,
Je sens que d’autres vœux ont changé mon langage.
Je sens que, malgré moi, je m’enlace à vos jours :
Séparez des fuseaux, qui se mêlent toujours ;
Je ne veux pas ternir votre éclat de mon ombre.
De ceux qui m’ont trompé n’augmentez pas le nombre :
Je sens que je vous aime, et que vous n’aimez pas ;
D’un dédale d’orage, ô préservez mes pas !
Ne brisez pas mon âme, après l’avoir ravie,
Pour la voiler de pleurs ne gardez pas ma vie.
Peut-être est-il encor possible d’oublier :
Ordonne-moi de fuir, pour que j’ose essayer.
D’un supplice de plus que t’importe l’hommage !
Sans m’ôter mon amour, donne-moi du courage,
Dis-moi de retourner dans mes anciens déserts ;
J’irai de mes forêts ranimant les concerts,

De ta voix, que j’emporte, y bercer la mémoire :
En rêvant que j’entends, je tâcherai de croire.
J’attacherai ton souffle au parfum de mes fleurs,
Ton âme à leur beauté, ta grâce à leurs couleurs :
La nature, en un mot, pleine de mon veuvage,
Aura, pour me parler, sa langue et ton image.
N’attends pas que mes pleurs aient tout pétrifié :
Tu m’as pris mon repos, mais rends-moi, par pitié,
Mon vallon, mon soleil du soir, et de l’aurore ;
Laisse-moi le bonheur de t’y bénir encore.