G. Lebaucher, Libraire-éditeur, Montréal, 1899.
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IV


Il arriva ce qui devait arriver. Mon maître et Chrétien Swenderberg se trouvèrent au bout de quelque temps les meilleurs amis du monde. Ça ne faisait pas trop mon affaire, car je déchargeais plus souvent à la charbonnière que dans le conin. Clotilde était une véritable sirène. On croyait tout ce qu’elle voulait qu’on croit. Cependant Julien finit bien par s’apercevoir que l’intimité entre sa maîtresse et leur nouvel ami croissait de jour en jour, et que souvent il lui rendait visite, alors qu’il s’absentait. Depuis longtemps, les conversations auraient dû l’éclairer.

Généralement Clotilde et le banquier se disaient la même chose en s’absorbant :

— Bonjour, mon joli cul, saluait Chrétien.

— Bonjour, mon joli feuilleteur, répondait Clotilde.

Puis, il soulevait les jupes, regardait les mappemondes, et ajoutait :

— On va les bécoter.

— Tant que vous voudrez.

— Avec la bouche ou avec la queue ?

— Avec la bouche et avec la queue.

Ah, on avait marché depuis la scène du sommeil ! On ne se gênait plus, et mon maître s’amusait énormément à tenir la chandelle. Devant l’exaltation qui s’emparait du gros homme, après quelques longues léchades au trou du cul et sur toute la fente de Clotilde, il l’autorisait à promener sa queue dans tout le parcours de la raie, et à s’y masturber dessus. Là où le bras a passé, tout le corps suit.

Julien riait fort de cet exercice, admirait le gonflement de la queue de son soi-disant rival, à mesure que les fesses de Clotilde se resserraient elles lui retenaient le gland, il approuvait la station qu’elle faisait en arrivant devant le trou du cul, où elle saluait l’autel de la félicité, selon l’expression de Chrétien ; puis il bavait réellement déplaisir lorsque le banquier à deux genoux, se reculant d’une ligne pour saisir sa queue, la masturbait à jeu rapide, les yeux écarquillés, écartant, au bon moment, avec ses doigts crispés, les fesses de la belle prosternée devant lui, afin d’éjaculer entre elles le flot de sperme qui se précipitait.

On m’accordait quelques bonnes compensations.

Lorsque le banquier se plaçait sur la croupe de Clotilde, mon maître s’installait sur un canapé, et celle-ci me suçait. Cette scène surexcitait le plus Chrétien, et amenait promptement sa jouissance. Les deux hommes jouissaient ainsi des plaisirs qu’ils se voyaient prendre. Parfois le banquier me saisissait quand je m’apprêtais à entrer dans la bouche de la jeune femme, il roulait des yeux sur un mouvement aussi alerte qu’une toupie qui tourne, il s’affalait sur le cul de Clotilde, lequel recevait une ou deux gouttes de sperme. Au milieu de ces ivresses partagées, la gêne de Clotilde disparaissait, son appartement se remplissait d’objets d’art, de tentures, de babioles. Rien n’était ni assez beau, ni assez cher. Les fleurs ornaient tous les coins et l’antichambre, le logement devenait petit. Eût-elle trop tôt confiance en l’absolu aveuglement de son amant, elle lui parla de son désir de s’agrandir, de louer un hôtel. Le coup de cloche secoua la torpeur de mon maître. Il ne mesura pas de suite la signification de cette richesse subite, il pensa à des cadeaux de Chrétien, à des réussites de bourse conseillées par lui à Clotilde, il fallait le fait brutal pour qu’il fut fixé. Un soir qu’il ne devait pas voir sa maîtresse, il se présenta chez elle, et la surprit toute nue, léchant le cul du vieux salop. Il comprit qu’il ne jouait plus qu’un rôle auxiliaire dans leurs ébats, et il se fâcha. Clotilde, qui avait été froissée d’être surprise dans cette position, se montra très dure à son égard, on échangea de gros mots, et on se quitta brouillés. Je perdis là le joli conin, qui me donnai encore toutes sortes de délices, et je maudis la faiblesse de mon maître qui, en autorisant les premières caresses, amena le malheur qui nous frappait.

Peu de temps après, le baron Chrétien Swenderberg épousa Clotilde Béraud, et de longtemps nous ne nous revîmes plus.