G. Lebaucher, Libraire-éditeur, Montréal, 1899.
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XII


Hélas, nous touchions à l’apogée de mes plaisirs ! Il y eut bien encore quelques rendez-vous, où l’on me traita comme le méritait ma vaillance. Puis, Clotilde les espaça pour mon maître sous le prétexte que son mari s’étonnait de ses visites où on ne l’admettait pas. Berthe vint souvent seule chez les Swenderberg. Je suppose que notre ancienne bonne amie joua avec la jeune fille le même rôle qu’elle joua dans le temps avec Julien, et qu’elle la livra à Chrétien. Mon maître s’en serait certainement aperçu, mais juste à cette époque, l’état de Marcelline empira et donna de sérieuses inquiétudes. La jeune femme se mourait. Elle accoucha d’un garçon et succomba des suites de ses couches. Julien ressentit un violent chagrin de cette mort. Il comprit tout le vide qu’occasionnerait autour de lui son veuvage, il regretta de tout son cœur celle pour qui il subit la prison, et qui, épouse modèle, remplit scrupuleusement à son égard tous ses devoirs, avec la plus parfaite honnêteté. Des remords naquirent dans son esprit pour ses escapades chez les Swenderberg, et devant le cadavre de celle qui n’était plus, il rougit du rôle honteux auquel il se prêta, tant en prison qu’avec Chrétien. Sa douleur fut si vive que son oncle en fut ému et résolut de l’emmener voyager. Cette nécessité s’imposait. Un étrange phénomène se produisit en lui. La douleur, jointe aux remords, provoqua, dans les jours qui suivirent, de véritables hallucinations, qui se dénouaient la nuit par des visions, au milieu desquelles apparaissait Myrtille. L’abus des plaisirs sensuels amène parfois cette maladie de l’âme. Certains philosophes avanceront que le fourreau s’usant, l’âme en sort plus facilement pour communiquer avec les amis perdus, et qui ne vivent plus qu’à l’état d’âmes.

Julien, s’éveillant en sursaut, apercevait Myrtille qui le contemplait avec tristesse et murmurait :

— Il n’y a sur terre qu’un seul amour vrai, et cet amour nous l’éprouvâmes l’un pour l’autre. Vas prier sur ma tombe.

— Myrtille, répondait-il dans un sanglot, je le sais et je le sens, je suis indigne de toi. Tu n’ignores point les plaisirs qui souillèrent mon corps.

— Le corps n’est pas l’âme, mon amour. N’ai-je pas appartenu à ton ami Paul, alors que ma destinée était de n’appartenir qu’à toi !

— Je suis un être infâme !

— Tu es un être avide de sensations, tu rachèteras tout cela.

Julien voulait saisir dans ses bras le doux fantôme, et l’apparition s’évanouissait. Longtemps plongé dans une demi-somnolence, avant de reprendre le sommeil, il entendait la voix bien aimée qui le réconfortait. Cette voix me pénétrait jusqu’au moindre de mes nerfs et m’emportait dans un ravissement incompréhensible. Il me semblait que je m’égarais dans l’Immensité, noyé dans le joli conin de Myrtille. Cependant sur le point de partir pour l’Italie avec Monsieur Dieudesfois, Julien eut la nostalgie des félicités vécues avec Clotilde et qu’il délaissait depuis plus de six semaines. Berthe avait quitté la villa après la mort de Marcelline, mais pour s’installer chez ses parents devenus propriétaires dans les environs. Ses assiduités avec les Swenderberg, loin de diminuer, s’étaient développées au point qu’elle habitait davantage chez Clotilde que chez elle.

Mon maître n’ignorait pas cette grande liaison, et il se rendit compte alors que sa maîtresse avait dû admettre sa nouvelle amie auprès de son mari. Il eut comme une bouffée enragée de désirs amoureux, et il décida de vivre dans une dernière séance, tous les plaisirs ressentis. Adieu les remords, adieu la douleur, adieu les hallucinations ! Il se présenta chez Clotilde, animé de ces libertines dispositions, et celle-ci devinant ce qui s’accomplissait dans son esprit, lui dit :

— Tu nous reviens ?

— Je pensais que vous ne m’aimiez plus, et que Berthe me remplaçait dans ta maison !

— Elle ne saurait te faire oublier. On nous a annoncé ton prochain départ. Est-il réel ?

— Oui. Et avant de partir, je veux emporter de vous un souvenir impérissable.

— Nous ne nous reverrons donc plus ?

— J’ai peur de la mort.

— Tu es un enfant. Berthe est ici.

— Tu la partages avec Chrétien ?

— Je tiens à ce qu’il jouisse.

— Je te garde pour moi aujourd’hui, tu lui donneras Berthe.

— Non : nous nous amuserons tous les quatre ensemble.

— Y penses-tu ?

— Ne t’inquiète de rien : nous serons en furie érotique, et si Chrétien s’oublie à ton égard, nous l’imputerons à notre excitation générale. Suis-moi. Je vais te costumer en femme, et notre entrée dans le salon produira le meilleur effet.

Cette dernière honte m’était réservée. Il était écrit que je viderais le calice jusqu’à la lie, et que des jupes de femme cacheraient mes nobles attributs ! Je me résignai à mon sort. La philosophie naît des épreuves. Clotilde, tandis que mon maître se déguisait, fit de même, et s’habilla en homme. Tous les deux prêts, ils apparurent au salon, bras dessus bras dessous, et surprirent Berthe sur les genoux de Chrétien qui lui chatouillait le conin.

Un peu interdite d’abord, Mademoiselle Verdier reprit tout son aplomb, courut embrasser Clotilde et mon maître, en disant :

— Plus on est de fous, plus on s’amuse, nous allons nous en fourrer jusqu’aux oreilles.

Cette petite avait le diable au corps.

— Julien reste à dîner, répondit Clotilde ; il nous consacre sa soirée, donc le temps nous appartient.

Frappée tout à coup d’une idée subite, elle poussa mon maître vers Chrétien, et ajouta :

— Je vous amène votre femme, mon cher, notre amie Julienne, moi je reste le mari de Berthe.

Sous sa robe, mon maître n’était pas trop mal, et les yeux de Chrétien pétillèrent.

Il répondit, en envoyant les mains sous les jupes de cette soi-disant femelle :

— L’idée est drolatique et je l’accepte.

Clotilde sauvait, à tout hasard, la situation aux yeux de Berthe, qui s’écria :

— Vive cette bonne farce.

On causa quelque peu, et l’heure du dîner survenant, on se mit à table.

Les conversations très épicées excitèrent de plus en plus les convives.

Clotilde, malgré le cynisme qu’elle affectait, me poussait toujours à un bandage effréné.

Au dessert, on congédia les domestiques et on poussa les verrous.

Berthe pria mon maître de lui faire minette sous la table.

— Les jupes me gêneront, observa-t-il.

— Les miennes me gênent-elles pour t’offrir mes cuisses, répliqua l’enragée créature.

Clotilde, dont Julien ne cessait de presser le genou, devina le désir que je nourrissais à son sujet et intervint en ces termes :

— Changeons de femme, l’aventure sera plaisante. Je prends Julienne, et je te passe Berthe.

— Berthe a un très joli talent de suceuse, répondit Chrétien, va pour le changement, à condition qu’elle me sucera.

Clotilde voulut-elle démontrer qu’elle possédait à fond, aussi bien que Berthe, l’art du suçage, elle s’agenouilla entre les cuisses de mon maître, s’empara de ma chère personne et l’enferma toute entière dans sa bouche.

— Duo de suçage, observa Chrétien.

— Non pas, protesta Clotilde, je ne suce pas, je fais mimi, puisque c’est une femme, et que je suis un homme.

— Mimi, si cela te plaît, mais notre chassé-croisé de femmes remet les choses en leur état naturel.

— Tu as raison, dit Clotilde en se levant et en se déshabillant, je veux être femme pour lui.

— Puisque tu donnes l’exemple, que tout le monde t’imite, et gare l’enfilage des culs.

Les deux couples se trouvèrent bientôt nus, et se lancèrent réciproquement des regards très concupiscents. Je bandais ferme, et méritais l’admiration de tous. Le priape de Chrétien s’affichait de son côté dans de très vaillantes idées.

— Enfilons-nous tous, s’écria son heureux possesseur.

— Comment cela, interrogea Berthe ?

— Ne sais-tu pas manipuler le godmichet ?

— Oh si, oh si, vous me l’avez assez enseigné pour que je ne l’oublie pas.

— Et bien, dit Clotilde, je me dévoue pour soutenir tout l’échafaudage. Julien me plantera son amour de queue dans les fesses ; toi, Berthe, tu lui planteras le godmichet au milieu des siennes, après l’avoir ajusté à ton ventre ; et Chrétien mettra sa queue dans le trou de ton cul.

— Bien, bien, bien imaginé ! En avant la musique : commencez, je serai vite prête.

Ô le cul de Clotilde, je l’adorai encore une fois dans toute sa splendeur avant de m’y enfoncer. N’étaient-ce pas mes adieux que je lui adressais ! Qui m’assurait que je le reverrais jamais. Il me fêta gentiment, comme s’il eût lu les pensées qui traversaient mon gland. Il entr’ouvrit toute sa fente pour m’en exhiber les divines sensualités, et petit à petit, avec mille raffinements, je pénétrai dans le trou. Berthe, placée derrière mon maître, le pelota d’abord, puis le claqua, et enfin darda son godmichet dans les fesses, poussée par Chrétien qui l’attaquait. Les trémoussements coururent des uns aux autres. Les queues naturelles et la queue factice combattirent avec un merveilleux ensemble. La chaîne ne tarda pas à se souder de façon absolue. Clotilde, qui supportait la colonne, tiraillée à droite, tiraillée à gauche, au milieu des secousses qui agitaient son monde, rompit la file, s’échappa de dessous mon maître, et courant comme une folle, vint sauter à cheval sur le dos de chacun.

— Hue dada, hue dada, s’écria-t-elle, que le foutre coule sur votre dos et vous noie de délices !

Mais le foutre était si bien entré, grâce à mon échauffement, que pas une gouttelette n’humectait les chairs de la belle diablesse. On la jeta à terre sur le côté, on la flanqua sur le ventre, et Berthe et Chrétien la fessèrent dru.

— Oh, les méchants, les méchants, gémit-elle. Julien, défends-moi.

Mon maître, sur les genoux, saisit Berthe aux mollets et les mordit.

— Aïe, clama celle-ci, oh, le vilain, tiens pour toi.

Et elle lui allongea un coup de pied dans les fesses.

Clotilde, dégagée, se releva prestement, et se sauvant, cria :

— Au cabinet de toilette.

Tout le monde l’y rejoignit, et on se retrouva en état de commettre de nouvelles fredaines. On se réinstalla à table, et les couples, à ma grande joie, restèrent tels que le troc les avait fixés : ils furent naturels. Pendant que mon maître mangeait, j’échangeai quelques propos d’amour et de regret avec le gentil conin de Clotilde.

— Adieu, mon joli con, je vais te quitter ; qui sait s’il nous sera permis de fêter de nouveau ensemble le divin dieu Cupidon !

— Adieu, mon vaillant queuquetton, je me souviendrai toujours de foi et je te regretterai plus d’une fois.

— Toute la vie, la soirée de ce soir sera gravée dans ma mémoire, et je veux tant et tant te baiser, que tu en conserveras toujours dans tes molécules l’essence de ma virilité.

— Je te serrerai si fort entre mes lèvres, et t’imprégnerai une telle chaleur, que tu en pleureras en foutant un autre conin.

L’exercice de la chaîne des culs avait brisé ce pauvre Chrétien. Il lutinait Berthe pour la forme, et celle-ci ne dissimulait pas sa crainte d’être mal servie. J’en eus pitié, excitai mon maître à la peloter, ce qu’il s’empressa de faire.

— Parfait, parfait, s’écria Chrétien, tu es plus jeune mon fiston, prends-les toutes les deux, ça m’amusera de vous voir travailler, moi je digère.

Clotilde et Berthe, comme si elles n’eussent attendu que cette parole, s’enlacèrent par le cou et se becquetèrent les lèvres, tandis que mon maître les caressait de la main et de la bouche.

— Hein, dit Chrétien s’adressant à sa femme, te rappelles-tu la première fois que, grâce à notre ami Julien, je vis ton joli cul. Qui se doutait alors qu’il nous unirait tous de telle façon ?

Tout le passé s’éveilla dans le cœur de mon maître ; il se remémora cet ancien amour, et embrassant les fesses de Clotilde, qui les présentait en ce moment, il dit avec mélancolie :

— Je croyais bien que je serais toujours le seul à en jouir !

— Bast, répliqua Clotilde, le plaisir est le plaisir, et tu t’es assez amusé avec nous, pour ne pas regretter une possession égoïste. Admire le cul de Berthe comme tu admires le mien. L’un et l’autre ont leur beauté particulière, et si j’étais restée pour toi seul, tu n’en aurais peut-être jamais vu un autre. Il n’y a de bon dans la vie que la jouissance d’amour, et il faut se la procurer aussi ardente et aussi variée que possible. Fais-moi feuilles de roses pour me prouver que tu l’aimes encore.

Mon maître obéit, et les deux jeunes femmes alternativement tournèrent devant lui, pour qu’il les léchât chacune à leur tour. Chrétien s’endormit. Clotilde jeta les bras autour du cou Julien et ils roulèrent sur le tapis. Ils se prirent comme des enragés, ne s’occupant pas de Berthe, qui les contemplait en se caressant du doigt le bouton, à demi pâmée.

— Ainsi tu es bien décidé à partir, à nous fuir, murmura Clotilde au milieu des spasmes de la jouissance !

— Oui, ou je perdrais la raison.

— Tu nous regretteras, mon pauvre cher : la volupté dédaignée se venge en se dérobant lorsqu’on la recherche à nouveau.

— La vie est un regret perpétuel.

— Aurais-tu sincèrement aimé d’amour une autre femme, Julien ?

— Je ne le saurai que lorsque je ne serai plus.

— Oh, pars, pars, tu deviens, en effet, élégiaque et nos caresses finiraient par te lasser.